Secrétaire de direction dans une entreprise de la place, Christine. K a acheté à prix d’or, un complément alimentaire, appelé STC30, dont on faisait la publicité sur les réseaux sociaux. Les promoteurs le disaient bon pour booster le système immunitaire. Bien qu’il ne lui ait pas été possible d’en mesurer l’impact sur sa santé, elle a voulu se procurer un autre produit qui faisait l’objet d’une publicité agressive, toujours sur les réseaux sociaux : Arténorme. C’est alors qu’elle a prêté attention, cette fois, au récit vantant les bienfaits de ce complément alimentaire.
Des indices intrigants
Les publications qui en vantent les bienfaits prêtent à un cardiologue ivoirien, l’exhortation à se procurer le produit, au regard des effets bénéfiques sur lesquels celui-ci s’appesantit dans un long récit à relents scientifiques. « Je mentionne que ce produit ne contient pas de produits chimiques, uniquement des extraits concentrés d’herbes médicinales telles que le moringa, le curcuma et le gingembre aux propriétés qui aident à nettoyer les cellules sanguines. C’est pourquoi, il est si bénéfique pour l’organisme. La plupart des patients continuent de me demander conseil pour les aider à nettoyer les vaisseaux sanguins (…) Je ne leur recommande que ce produit. C’est très efficace », exhorte le supposé cardiologue.
Seulement voilà, les promoteurs attribuent différents noms à ce prétendu cardiologue ivoirien. Tantôt, c’est Dr Debingue ou Joseph Uwimana, tantôt c’est Dr. Aziz Kouassi ou Dr Rastogi ou d’autres noms encore. Une fluctuation qui n’a pas manqué d’intriguer Christine K. Par ailleurs, sous chacune des publications, certains commentaires d’internautes alertaient sur le fait qu’il s’agissait d’une arnaque aux faux médicaments. « Si tu veux mourir, il faut acheter. C’est une arnaque aux faux médicaments. C’est de la poudre de farine dans joli flacon », avertissait un certain Gnangbé Serge Koulaté. Sur quoi fonde-t-il ses certitudes ? Sur le fait que ces cardiologues seraient inconnus de l’Institut de cardiologie d’Abidjan. Toujours est-il que tout cela finit par jeter le trouble dans l’esprit de Christine K, laquelle porte l’information à notre connaissance. Nous voyons là une occasion de chercher à démêler le vrai du faux en faisant une incursion dans l’univers des vendeurs de compléments alimentaires.
Des produits contrefaits sur le marché
Nous décidons de joindre par téléphone, les contacts affichés sur les publications. À l’autre bout du fil, un certain Christian. « Notre produit a été fait en Côte d’Ivoire, en collaboration avec plusieurs cardiologues. Nous sommes les premiers à le vendre sur Internet. Vu le succès rencontré par ce produit, il a été l’objet de contrefaçon. C’est pourquoi, nous sommes en train de mettre tout en œuvre pour que l’État subventionne pour que nos produits puissent être vendus en pharmacie. Nous sommes en train de faire les papiers. Cette situation nous cause trop de préjudices. Or, nous ne sommes pas là pour nuire à qui que ce soit », soutient-il. Et de nous ramener vers leur service juridique situé en face de l’Ecole nationale d’Administration (ENA) aux II-Plateaux. Quelques jours plus tard, nous nous y rendons.
En lieu et place d’un service juridique, nous trouvons un médecin généraliste, Dr Kouassi Cyprien, installé dans un réduit d’un espace de coworking. « Pensez-vous que ce genre de produit doit être prescrit ou conseillé par un professionnel de santé comme vous ? », lui demandons-nous. « Qu’on s’entende bien : je ne prescris pas ces produits. Je ne suis pas là pour dire aux gens de les prendre ou pas. Si vous en avez acheté, que vous les prenez et que vous venez demander conseil, alors moi, je vous accompagne. Je vous conseillerai par exemple de faire des examens avant et après pour en apprécier les effets », répond-il. « Sur quoi, vous, médecin, vous fondez-vous pour dire que ce produit fait du bien à l’organisme ? », relançons-nous. « Sur le principe actif. Comme c’est naturel », se contente-t-il de répondre. Et de nous renvoyer vers un certain M. Koffi pour des questions plus embarrassantes portant sur les constituants de ce complément alimentaire et l’autorisation ou non de sa mise sur le marché par l’Autorité ivoirienne de régulation pharmaceutique (AIRP), chargée de vérifier si les produits pharmaceutiques mis sur le marché sont conformes aux normes de qualité en vigueur.
Quand nous quittons Dr Kouassi, les doutes sur la fiabilité du complément alimentaire Arténorme sont loin d’être dissipés. D’autant qu’une source proche de l’Institut de cardiologie d’Abidjan, qui a requis l’anonymat, nous confiera quelques jours plus tard, sans en apporter toutefois, la preuve : « C’est du faux. Ce sont des escrocs qui font avaler du poison aux gens ». Et la même source d’ajouter : « Ils disent que le système officiel est contre eux, qu’ils veulent sauver la population et que les Occidentaux s’y opposent. Et donc, si leurs clients appellent le « Centre » de cardiologie d’Abidjan (Nous, c’est plutôt l’Institut de cardiologie), on leur dira que le produit est un faux. Ils leur donnent donc un numéro de l’Institut de cardiologie. Évidemment, nous disons à ceux qui nous appellent que nous ne savons rien de ce produit ».
Des propos peu rassurants que conforte la position sans équivoque de l’AIRP sur le complément alimentaire Arténorme : « Nous n’avons connaissance ni du produit ni du fabricant ». Nous décidons alors de pousser la curiosité un peu plus loin, en nous intéressant à d’autres promoteurs de compléments alimentaires, d’autant que selon l’AIRP, il y a bien des faux parmi les compléments alimentaires vendus sur le marché. « Faux en termes de produits non homologués c’est-à-dire n’ayant pas obtenu d’autorisation de commercialisation et faux en terme qualitatif c’est-à-dire ne répondant pas aux critères de qualité », admet sa direction.
L’origine de certains compléments alimentaires
Par l’entremise de Mlle Sandrine B., qui tient une boutique où sont vendus les produits Botamill à Abidjan, nous adressons nos préoccupations à la direction de l’entreprise, pour en savoir davantage sur ses produits vendus à grand renfort de publicité sur les réseaux sociaux. « Les produits sont fabriqués en France par un laboratoire certifié par l'agence de sécurité alimentaire », nous rassure l’entreprise sur la crédibilité de ses produits. Puis, de nous situer sur les composantes de ces compléments alimentaires : « Chaque complément alimentaire de la marque Botamill a une formulation bien spécifique. Le point commun est que nous nous assurons que les intrants principaux utilisés pour leur fabrication soient naturels. Par exemple, Slimmer, qui est notre brûleur de graisse abdominale, contient du charbon végétal et de la poudre de graines de carvi ». Une volonté de transparence et une preuve du sérieux de l’entreprise dont ne font pas preuve d’autres acteurs du milieu.
Toujours selon cette entreprise française, ses compléments alimentaires sont « sont généralement vendus sans ordonnance ». Ce que confirme Sandrine B., la tenante d’une boutique qui les vend à Abidjan. « Les gens n’achètent pas nos produits sur prescription médicale. Ils achètent en se fiant aux publicités que nous faisons sur les réseaux sociaux ou aux explications que nous leur donnons », nous fait-elle savoir.
Un autre complément alimentaire est vanté sur les réseaux sociaux : le Ganoderma. Il tonifierait le cœur. Vrai ou faux ? N’est-ce pas un autre faux alicament ? Approchés pour en avoir le cœur net, les promoteurs soutiennent qu’il fait partie d’une gamme de compléments alimentaires produits par une entreprise basée en Inde, appelée Vestige et qui est spécialisée dans la production de produits naturels. « Ce sont des produits faits à base de fruits, plantes et tout ce que l’on peut trouver dans la nature », fait savoir Dominique Karidioula, un des distributeurs des produits de cette entreprise. « Donc, si je vous demande de prendre le Calcium (un produit de la gamme, Ndlr) alors que vous devez prendre le Flax Oil (un autre produit de la gamme, Ndlr), ça ne va rien vous faire », lâche-t-il. Et de renchérir : « J’ai 12 boîtes de compléments alimentaires que je prends chaque jour, sans aucune prescription. Le matin, je ramasse tout, je bois. Le soir, je ramasse encore, je bois. J’ai ainsi anticipé sur beaucoup d’affections ». Une telle attitude peut cependant exposer à la survitaminose ou l’hypervitaminose, c’est-à-dire un excès de vitamines, qui peut être toxique pour l’organisme.
Des produits vendus à la tête du client
Selon lui, la qualité de ces compléments alimentaires a été prouvée par plusieurs certificats à l’international. Ils ne sont donc pas des produits contrefaits. « Les produits quittent directement en Inde pour venir et ceux qui ont la possibilité d’avoir ces produits, sont ceux qui sont dans le circuit. En dehors du circuit, vous ne pouvez avoir ces produits ailleurs. Si quelqu’un en vend, c’est que c’est un distributeur reconnu par l’entreprise. Si vous voulez acheter un produit de Vestige, vous devez avoir un identifiant. En d’autres termes, vous ne pouvez pas voir une femme au marché en train de vendre nos produits. Le système est tellement bien rodé qu’on ne peut pas être confronté aujourd’hui à un problème de falsification. Peut-être bien plus tard», assure-t-il.
Une des caractéristiques de ces compléments alimentaires vendus via les réseaux sociaux essentiellement, c’est la non-homologation des prix. Chacun y va de son prix de vente pour un même produit. Le STC30 par exemple, est vendu sur JUMIA à 35 000 FCFA la boîte contre 45 000 FCFA la boîte et 80 000 FCFA pour 2 boîtes chez un autre vendeur. La boîte d’Arténorme est proposée tantôt à 24 900 FCFA en promotion au lieu de 49 800 FCFA, tantôt à 50 000 FCFA pour 3 boîtes par un autre distributeur. Quant aux produits de l’entreprise indienne citée plus haut, leurs prix fluctuent également en fonction de celui qui vous le vend. « On peut dire que le prix homologué d’un produit vendu à 20 000 FCFA est 16 000 FCFA. On parle de prix SP, qui est le prix de vente sur le plan national. C’est en Inde qu’on fixe ce prix. Mais on essaie d’augmenter un peu pour avoir notre bénéfice. Le Calcium par exemple que je prends à 4000 FCFA, je peux le vendre à 7000 FCFA, voire 8000 FCFA », explique Jean César, un des distributeurs de la gamme.
Assane Niada