
Bonjour M. Losseni Diomandé …
Losseni Diomandé : Bonjour
Vous êtes juriste, spécialiste du droit public…
Losseni Diomandé : J’ai été assistant de droit public dans une université de la place en Côte d’Ivoire. Depuis plus de 8 ans, je suis employé dans un organisme international et juriste pays au sein de cet organisme.
Quel est l’intérêt pour vous de participer au débat sur la question de la nationalité de M. Thiam ?
Losseni Diomandé : Je suis un citoyen Ivoirien, spécialiste de droit public et j’estime avoir le droit de me prononcer sur cette question qui semble diviser l’opinion publique ivoirienne. Je suis de près ce débat, même si je suis à des milliers de kilomètres et il est bon, en ma qualité de juriste d’éclairer la lanterne des Ivoiriens.
Nous avons lu Me Faustin Kouamé, ancien ministre de la Justice sous Henri Konan Bédié, qui ne cesse justement de clamer que M. Thiam n’a aucun problème à la lumière de l’interprétation de l’article 48 du Code de la nationalité Ivoirienne.
Losseni Diomandé : Pour un ancien ministre, l'analyse qu'il a faite est surprenante. Me Faustin Kouamé a été ministre de décembre 1993 à août 1996 et je m'étonne qu'il n’ait pas eu connaissance de la circulaire interministérielle du 25 avril 1962 en application du Code de la nationalité juste après son adoption. Pour un ancien ministre, c'est donc surprenant qu'il fasse ce genre de déclaration et d'interprétation portant Code de la nationalité qui est en totale contradiction avec la circulaire du 25 avril 1962 prise en application de ladite loi. Il faut rappeler que cette circulaire a été signée par l'ancien ministre de la Justice à l'époque, Alphonse Bony, celui-là même qui a présenté la loi portant Code de la nationalité à l'Assemblée nationale. Je rappelle que la circulaire qui est disponible et qui est consultable a été signée par le ministre des Finances, Raphaël Saller, le ministre de l'Intérieur, Germain Koffi Gadeau, le ministre de la Défense, Jean Konan Banny et le ministre de la Santé et de la population, Amadou Koné. Cette circulaire qui est rentrée dans l'ordonnancement juridique ivoirien était adressée aux magistrats.
Relativement à l'article 48 et à la perte de la nationalité ivoirienne, une distinction nette est faite entre l'alinéa 1 qui concerne l'Ivoirien majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère (dans ce cas, la perte a lieu d'office sans que le gouvernement soit tenu de prendre un décret) et l'alinéa 2 qui concerne les personnes de sexe masculin qui doivent obtenir l'autorisation du gouvernement pour prendre une nationalité étrangère pendant un délai de 15 ans à compter de leur inscription sur le tableau de recensement. Si on doit appliquer cet alinéa 2 de l’article 48 à M. Tidjane Thiam, ce sera à lui d'apporter la preuve qu'il a été autorisé par décret à prendre la nationalité française.
On a invoqué l'arrêt TIOTE, mais ce dernier est toujours sur la liste électorale pourtant ! Comment peut-on expliquer cela ?
Losseni Diomandé : C'est purement une question de suivi d’application d’une décision. La décision TIOTE a été prise le 17 novembre 2011. En principe, cette décision aurait dû être signifiée à la Commission électorale indépendante (CEI) pour obtenir la radiation de TIOTE Souhalio. Dans la mesure où l'effet immédiat de la décision était le rejet de sa candidature, c'est ce qui a prévalu, de sorte que l'intendance n'a pas suivi, c'est à dire que la décision n'a pas été transmise pour exécution. Je voudrais profiter de l'occasion pour attirer votre attention sur la liste électorale provisoire actuelle sur laquelle subsistent des cas de personnes décédées ou condamnées. Dès l'instant où la radiation n'est pas demandée, ces personnes y resteront. C'est dire qu'on a toujours des personnes décédées ou condamnées sur la liste pour lesquelles les demandes de radiation ou les décisions de condamnation ne sont pas encore parvenues à la CEI.
Quelle est la situation juridique de Tidjane Thiam ?
Losseni Diomandé : Qu'entendez-vous par situation juridique ?
Au moment de cette interview, quelle est la nationalité de M. Thiam exactement ?
Losseni Diomandé : En application de l'alinéa 1 de l'article 48 et avec la publication qu'on a pu voir du décret de naturalisalisation de M. Thiam, il n'y a aucun doute sur la nationalité française de l'intéressé. Le fait de posséder des documents ivoiriens n'empêche pas la loi de s'appliquer à M. Thiam. Il faut plutôt s'interroger sur la manière dont ces documents ont été obtenus. D'après ce qu'on a pu voir et entendre, M.Thiam a pu obtenir un certificat de nationalité en 2020, 2022, voire même en 2023 ou 2024.
C'est probablement avec l'un de ces certificats qu'il a pu obtenir des documents administratifs. Si l'on s'en tient à la jurisprudence TIOTE du Conseil constitutionnel, tous ces actes encourent l'annulation parce qu'au moment de leur établissement, l'individu était Français et avait perdu la nationalité ivoirienne. Ce qui veut dire que depuis le 24 février 1987, date de sa naturalisalisation, M. Thiam a perdu d'office la nationalité ivoirienne. Il est donc Français jusqu'à ce qu'intervienne son décret de perte de la nationalité française. Lorsque vous lisez le Code de la nationalité et la circulaire d'application, il est indiqué à l'article 98 du code de la nationalité que le certificat de nationalité fait foi jusqu'à preuve du contraire. Cela signifie que si la preuve est rapportée que ce certificat de nationalité n'aurait pas dû être établi au profit de M.Thiam parce qu'il était de nationalité française, celui-ci perd le bénéfice de ce certificat. Il en est de même pour son inscription sur la liste électorale et pour tous les actes administratifs qu'il a obtenus.
Tidjane Thiam ne court-il pas le risque d'être un apatride comme le disent certains ?
Losseni Diomandé : Vous savez, il faut bien lire le Code de la nationalité pour bien le comprendre. Si vous aviez bien suivi l'interview du Pr Ouraga Obou dans les médias et sur les réseaux sociaux relativement à l'obtention de la nationalité ivoirienne, celui-ci explique fort bien que le Code de la nationalité distingue la nationalité ivoirienne d'attribution, d'origine ou subie de la nationalité d'acquisition. Dans la nationalité d'attribution, d’origine ou subie, il s'agit de ceux qui sont nés d'un parent Ivoirien. Ceux-ci sont Ivoiriens d'origine parce que l'un de leur parent est Ivoirien.
Ils tiennent leur nationalité de ce parent. Par contre, dans la nationalité d'acquisition, la personne devient Ivoirienne, soit parce qu'elle a été adoptée par un Ivoirien, soit par le lien matrimonial qu'elle a avec un Ivoirien, soit par le fait de l'autorité publique (naturalisalisation), soit par la réintégration (c'est à dire l'étranger naturalisé Ivoirien qui renonce à sa nationalité ivoirienne et qui revient la demander encore, il est réintégré), soit par déclaration (ce cas n'existe plus aujourd'hui). La nationalité ivoirienne est exclusive de toute autre nationalité, c’est à dire que la règle c’est l’absence de la double nationalité en Côte d’Ivoire.
Les seules exceptions à cette règle sont d’une part les personnes dont l’un des deux parents est de nationalité étrangère et pour lesquelles les textes de ce pays étranger autorisent cette personne à avoir la nationalité de ce pays. D’autre part on a l’hypothèse où l’Etat de Côte d’Ivoire autorise son citoyen à avoir la nationalité étrangère tout en conservant la nationalité Ivoirienne. Cette autorisation est faite par décret. Enfin, on a la situation du conjoint Ivoirien d’un étranger qui opte pur la nationalité de ce pays sans répudier la nationalité ivoirienne. Je ne pense pas que M. Thiam se trouve dans l’un de ces cas. Il faut donc en tirer les conclusions.
Quel est le cas de M. Thiam ?
Losseni Diomandé : M. Thiam se trouve dans le cas de la nationalité d'attribution, ou nationalité d'origine ou encore nationalité subie. Il était Français par naturalisation et avait perdu la nationalité ivoirienne. Avant de venir se faire établir un certificat de nationalité ivoirienne, il aurait dû renoncer à sa nationalité française et se présenter devant les autorités judiciaires avec son décret de renonciation et les pièces de ses parents. Le certificat de nationalité aurait pu être établi légitimement et légalement. Or il ne l'a pas fait. Et les juges qui ont délivré ces documents l'ont fait dans l'ignorance de la nationalité française puisque M. Thiam ne le leur a pas dit. L'administration judiciaire n'est donc pas en faute. C'est plutôt M. Thiam qui leur a caché une information essentielle. Si M. Thiam obtient donc son décret de renonciation, il redevient automatiquement Ivoirien. Il pourra se présenter devant le juge avec une copie du décret et les pièces de ses parents pour obtenir légitimement et légalement un nouveau certificat de nationalité. Il n'a pas besoin d'un décret de réintégration. Pour me résumer, je peux dire que M. Thiam est d'origine ivoirienne. L'acte qui lui a fait perdre la nationalité ivoirienne est la naturalisation française. Dès lors que le décret disparaît, il redevient ivoirien. L’article 48 alinéa 1 est explicite comme je l'ai dit tantôt. Autant il n'y a pas eu de décret pour lui faire perdre la nationalité ivoirienne, autant il n'a pas besoin de décret pour qu'il redevienne Ivoirien. C'est la théorie du parallélisme des formes.
Quelles sont les options qui s’offrent à M. Thiam après l’obtention du décret français de renonciation ?
Losseni Diomandé : Comme je l’ai indiqué, il doit se présenter devant le juge avec ce décret pour régulariser sa situation. C’est maintenant qu’il est redevenu Ivoirien et ce décret, plus les pièces de ses parents pourront lui permettre d’obtenir légalement et légitimement un certificat de nationalité. À partir de cet instant, il pourra faire sa carte d’identité ou tout autre document. Cela veut dire que les actes passés sont frappés d’inexistence juridique. Ils sont nuls et de nul effet.
Si des recours sont exercés contre M. Thiam et que sa nationalité est remise en cause au moment de son inscription sur la liste électorale, à quel moment pourra-t-il se faire recenser sur la liste électorale ?
Losseni Diomandé : M.Thiam devra patienter jusqu'à la prochaine révision de la liste électorale. S'il est radié, il devra attendre une autre révision pour se réinscrire en apportant la preuve qu'il a recouvré la nationalité ivoirienne.
Quelles seraient au regard de ce que vous venez de dire les conséquences de l’obtention par M. Thiam, d’un décret de fin d’allégeance à la nationalité française ?
Losseni Diomandé : Ce qu’il faut savoir c’est que ce décret est un acte administratif français et non ivoirien. Il est pris pour produire ces effets en France et non en Côte d’Ivoire. En France ce décret est un acte juridique qui va produire ses effets pur l’avenir. Il n’a pas rétroactif c’est-à-dire qu’il n’a pas vocation à effacer tous les acte accomplis par M.Thiam depuis le 24 février 1984. La nationalité française de M. Thiam du 24 février 1984 jusqu’à la date de l’obtention de son décret de fin d’allégeance à la nationalité française demeure.
Cependant ce décret contient des informations utiles pour les autorités administratives et judiciaires ivoiriennes. Ces informations ont pour but de faire connaitre aux autorités ivoiriennes que telle personne qui est originaire de votre pays et qui avait fait allégeance à la France, a été libéré de cette allégeance. Il s’agit d’une information qui peut être utilisé par son bénéficiaire comme une preuve pour recouvrer la nationalité ivoirienne perdue.
Bien évidement cette preuve ou cette information n’est opposable aux autorités ivoiriennes que pour l’avenir et non pour le passé. Il ne s’agit pas d’une information qui peut être rétroactive. Elle ne joue que pour l’avenir en ce qui concerne M. Thiam. Le passé français de M. Thiam demeure et demeurera. Cela lui est rattaché de façon indissociable.
Entretien réalisé par téléphone par Yacouba DOUMBIA