Société

Reportage /Parc national de la Marahoué: Voyage au cœur d’un patrimoine écologique menacé de disparition

reportage-parc-national-de-la-marahoue-voyage-au-coeur-dun-patrimoine-ecologique-menace-de-disparition
Notre envoyé spécial aux portes du Parc de la Marahoué à Gobazra (Ph : JD)
PARTAGEZ
L’Avenir a entrepris une expédition au cœur du Parc national de la Marahoué pour toucher du doigt, les réalités de cette aire protégée fortement impactée par les activités anthropiques. Grâce à l’appui de la Convention de la Société Civile Ivoirienne (CSCI), dans le cadre du projet Benkadi, financé par le Ministère des Affaires Etrangères des Pays-Bas, notre reporter vous livre la vie au cœur de ce parc, vaste de 101 000 hectares.

Le Parc national de la Marahoué couvre une superficie de 101 000 hectares et s’étend entre les départements de Daloa, Bouaflé et Zuénoula. Sa végétation est composée d’une mosaïque d’environ deux tiers de forêt et d’un tiers de savane. Il est vrai que l’État de Côte d’Ivoire a mis en place, une politique pour la protection du couvert végétal en créant des parcs et des réserves. Mais cette forêt a abondamment mué sous l’influence de l’action de l’homme qui en a fait un usage abusif et désordonné, allant largement au-delà du simple besoin de l’exploitation vitale. Pour toucher du doigt cette réalité, nous embarquons à bord d’un car de transport. Destination, Bonon, chef-lieu de département situé à environ 350 kilomètres de la capitale économique, Abidjan. Après six heures de route, nous voici à Bonon. Ce dimanche 21 août 2022, la ville est relativement calme. Selon les témoignages, l’ambiance des dimanches tranche avec celles des bruyants vendredis, jours de marché. Grâce à une population dynamique composée d’autochtones Gouro, d’allogènes et d’allochtones venus de toute la Côte d’Ivoire, mais également de sa forte communauté ouest-africaine, Bonon connaît un développement fulgurant, ces dernières années.

 

A lire aussiParc national de la Marahoué: Le plaidoyer des populations du poumon vert de la région

 

Le lendemain, lundi, nous enfourchons une moto. Direction, le Parc national de la Marahoué. Mais il faut faire un tour à Bouaflé, à 31 km de Bonon, pour annoncer notre présence à l’Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR), et notre projet de reportage dans la réserve. Un cadre de cette institution qui nous a reçu, se montre méfiant. Il est réticent à nous autoriser à poursuivre notre randonnée… Mais il ne nous empêche non plus de continuer la route. Tant mieux !

Sur la piste, nous tombons sur un contrôle de routine de la Police nationale. Un motocycliste visiblement non en règle, plaide pour une clémence des Forces de l’ordre. Pour notre part, aucun désagrément. Les pièces de notre moto KTM sont en règle. Le dispositif est levé pour nous faire passer. Dix minutes après ce premier "check-point", nous tombons sur un autre barrage. Cette fois-ci, ce ne sont pas des forces régulières. Ce sont des chasseurs traditionnels, communément appelés "dozos". Ici, pas de contrôle de pièces. Il faut absolument débourser 100 francs F CFA. C’est, selon eux, une contribution pour la sécurité de la zone. Nous nous soumettons à cette exigence afin de pouvoir poursuivre notre randonnée. A quelques mètres de là, un autre "check-point".

A lire aussiDifficile mise en œuvre du projet de restauration

Là, c’est un poste mixte composé de gendarmes, policiers et d’agents des Eaux et Forêts. C’est le dernier contrôle avant de pénétrer dans le parc. Quinze minutes plus tard, nous traversons des champs d’anacarde, d’hévéa, de teck, de café et de cacao. Nous sommes en plein cœur de cette ‘‘aire protégée’’. Le premier campement qui nous accueille : Gbangbokouadiokro. C’est l’un des plus gros campements au cœur du parc. Ici, tout est organisé. Nous sommes d’abord conduits à la chefferie, puis chez le président des jeunes. Ensuite, nous rencontrons la présidente des femmes. Toutes les mines sont renfrognées et les visages anxieux, ce jour-là. On se méfie très souvent des inconnus. Ne sait-on jamais. Surtout quand l’on squatte un espace classé. Visiblement, les occupants nous soupçonnent d’être un agent des Eaux et Forêts. Mais une heure après, la confiance est établie.

 

Vivre dans la hantise d’un déguerpissement

 

« Actuellement, un détachement des agents des Eaux et Forêts sévit dans les hameaux. Ils détruisent les plantations sous prétexte d’un déguerpissement du parc. Ils ne sont pas encore à notre niveau. Mais nous savons qu’ils viendront.  Nous sommes en train de lever des cotisations avant la grande réunion prévue le vendredi 26 août 2022 à Yobouékro (un autre campement hors du parc, ndlr) », nous confie Assigno Kouakou Olivier, président des jeunes de ce gros campement. Le montant individuel de la cotisation exceptionnelle est de 1000 FCFA. Les agents de l’OIPR accepteraient de reporter le déguerpissement, en échange d’une bonne somme d’argent. La situation est préoccupante pour les squatteurs, parce que le gouvernement ivoirien a lancé un vaste projet de déguerpissement des forêts classées et réserves depuis quelques années.

Dans le cadre dudit projet, quatorze hectares de cacao plantés illicitement dans le Parc national de la Marahoué ont été détruits par des agents de l’OIPR de Bouaflé, lors des patrouilles de surveillance effectuées dans le deuxième et le troisième trimestres de l’année 2021.

 

7 735 habitants dans une aire protégée !

 

A Bonon, un administrateur, qui a requis l’anonymat, nous révélait qu’en ce qui concerne le Parc de la Marahoué, cette opération de déguerpissement des populations est un projet « mort-né ». Il évoque le cas de ces familles qui y vivent et bénéficient d’infrastructures sociales comme des écoles privées où les parents déboursent la somme de 15 000 F par enfant pour les frais de scolarité. A Gbangbokoudiakro, l’un des plus gros campements du parc, 8 écoles accueillent près de 3 000 enfants. Chaque année, pas moins de 400 enfants sont recensés au CM2 pour ce seul campement. Ils composent même aux épreuves de CEPE à Bonon. Assigno Kouakou Olivier confirme qu’un recensement a été fait en 2020 par le Programme multisectoriel de nutrition de développement de la petite enfance (PMNDPE), qui a dénombré 3922 enfants.

A lire aussiReportage/ Métro d’Abidjan-La libération des emprises impactées a repris

Outre ce programme, un autre recensement a été fait et a pu dénombrer 7735 personnes, hormis les enfants et ceux qui ont refusé de prendre part à cette opération. « Nos enfants sont traumatisés par ces menaces de déguerpissement », s’inquiète le président des jeunes, qui révèle également que cette partie de la région est un réservoir électoral pour bien d’acteurs politiques. « Dans ce parc, nous avons une multitude de campements. Il m’est difficile de donner la liste exhaustive. Mais chez nous, à Gbangbokouadiokro, nous prenons part à toutes les joutes électorales. Nous avons un centre de vote avec quatre bureaux », soutient Kouakou Olivier.

Le plus important, selon notre administrateur qui a requis l’anonymat, c’est l’aspect économique. La Côte d’Ivoire, pays agricole, occupe la première place sur le plan mondial en matière de culture de cacao. Cependant, force est de constater que le verger ivoirien est vieillissant. Certaines récoltes proviennent de ces parcs nationaux, dont les sols sont très riches. Ces parcs constituent, selon cette autorité administrative, une alternative pour non seulement conserver ce positionnement, mais contribuer au renouvellement du verger.

A lire aussiReportage / Cherté de la vie: Dans la peau d’une ménagère

Djué Koffi Jeannette, Présidente de la coopérative agricole des femmes de Gbangbokouadiokro, nous confie que « ce sont en moyenne, deux tonnes de bananes qui sortent pour la ville de façon journalière dans cette zone du parc. Pour faire sortir nos produits, nous déboursons 500 F CFA par sac de bananes que nous payons aux agents des Eaux et Forêts qui sont sur les pistes, sans oublier le transport de la marchandise pour approvisionner les marchés ». A une échelle un peu plus grande, ce sont des dizaines de tonnes de produits vivriers qui sortent du parc, chaque jour. Bénié Bi Zan Modeste Armand, Président des jeunes de Dabouzra, village situé sur la nationale A6, axe Bouaflé-Bonon, (loin du parc) est catégorique : « Il faut déloger tous les occupants et initier des actions pour la préservation du peu qui reste ». Pendant ce temps, la vie suit son cours à l’intérieur de cette aire protégée où des milliers d’occupants vaquent à leurs occupations, la peur au ventre.

 

Joël Dally, envoyé spécial

Newsletter
Inscrivez-vous à notre lettre d'information

Inscrivez-vous et recevez chaque jour via email, nos actuaités à ne pas manquer !

Veuillez activer le javascript sur cette page pour pouvoir valider le formulaire