Les femmes n’ont que ces mots à la bouche : « Tout est devenu cher. L’argent du marché ne suffit plus !» Face à la récurrence des plaintes, notre équipe de reportage s’est rendue sur le terrain, afin de partager au mieux, la galère des ménages.
Marché de Bingerville. Il est 09 heures 34 minutes ce mercredi 27 avril 2022. Déjà, l’affluence est de mise. Difficile de se frayer un chemin. Selon un adage, « au marché, les premiers arrivés sont les mieux servis ». L’actuel site qui abrite le marché provisoire de l’ancienne capitale de la Côte d’Ivoire est exigu, ce qui amène les commerçants à exercer dans le désordre. Mais ceux-ci sont constamment rappelés à l’ordre par des agents municipaux d’une brigade mixte appartenant à la mairie.
Sachet en main et disposant d’un budget de 5 000 F CFA pour une sauce censée durer 02 jours pour une famille de 6 membres, nous fonçons droit devant les différents étals. Aussitôt, des vendeuses qui ont deviné la raison de notre présence, ne cessent de héler. « Monsieur, venez voir ici, on va vous arranger !!! », lance une sexagénaire. Elle nous présente des tas de petites aubergines au prix de 100 F CFA, incroyable ! Il nous faut un peu plus, au moins des tas de 1500 F CFA, dans l’espoir de cuisiner une sauce consistante. Après un tour de réflexion, nous faisons la promesse à notre interlocutrice de lui revenir incessamment, après avoir fait d’autres achats. Malheureusement, la ronde que nous effectuons dans le secteur, ne change rien à nos attentes. « Les choses sont devenues chères, on ne trouve plus de condiments. Comme c’est vous, je vais vous arranger. Vous voyez, je mets un tas en guise de cadeau pour vous », a-t-elle déclaré avec un sourire dans le coin des lèvres. Dans notre démarche, nous rencontrons des femmes et des hommes venus également faire des emplettes. Chacun de son coté, apprécie individuellement son aventure.
« Quand on vous dit que c’est dur, vous ne croyez pas. Dieu merci que vous êtes vous-mêmes présents pour constater de vos propres yeux, la réalité », a fait remarquer une dame, en réponse à notre stupéfaction. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. 4 boules de tomate de petites formes, sont proposées à 200 F CFA. C’est le même cas pour le gombo qu’on vend à partir de 250 F CFA. Quant à la graine de palme, une quantité mesurée à l’aide d’une ancienne boîte de tomate, coûte 500 F CFA. « Ce n’est pas à notre niveau. Nous achetons très cher au marché Gouro d’Adjamé pour venir les revendre ici. On n’a pas le choix. Soit, tu arrêtes de vendre, soit tu continues avec moins de bénéfices. Comme on a des enfants qui vont à l’école, une famille à nourrir, je ne peux pas rester comme ça sans rien faire », a confessé une des commerçantes. La question qui trotte dans notre tête, est de savoir si les 5000 F CFA dont nous disposons suffiraient pour le marché. À côté, le boucher nous apprend que le kilogramme de la viande de bœuf avec os est à 2800 F CFA, celui de sans os est vendu à 3000 F CFA.
Nos regards se tournent vers le stand réservé à la vente de poissons. Là aussi, ce n’est pas chose aisée comme nous le croyions. Les discussions entamées avec les vendeuses n’ont pu aboutir à un accord. Elles proposent la paire de petits poissons fumés « magni » à 500 F CFA, 04 apollos à 1000 F CFA et des quartiers de thon blanc à 1000 F CFA chacun.
Il faut le reconnaître, le marché provisoire de Bingerville, en plus de servir les populations locales, est un véritable vivrier pour les habitants d’autres quartiers tels que Cocody. Chaque matin, de nombreuses ménagères provenant de divers horizons, prennent d’assaut, la direction de l’ex-capitale ivoirienne pour se ravitailler en condiments.
N'ayant pas obtenu gain de cause auprès des vendeuses de poissons fumés, nous nous rabattons sur une poissonnerie de proximité. Un jeune vendeur dont la blouse blanche de travail a perdu la clarté d’antan, nous informe que le kilogramme du poisson « chinchard » est à 1500 F CFA.
Nous comprenons qu’il nous faut faire un repli stratégique dans un endroit moins bruyant, avant d’opérer un choix définitif pour celui de la viande de porc. « Avant, lorsqu’on prenait le carton de côtelettes, on y trouvait 10 morceaux. Aujourd’hui, cela est passé à 8 et le prix du carton est passé de 8000 F CFA à 10 000 F CFA », a justifié une des vendeuses.
C’est donc à notre corps défendant que nous achetions deux pattes de porc qu’elle nous concède le tout à 2000 F CFA.
Pourquoi l’État doit taper du poing sur la table
La cherté de la vie, pour la plupart des commerçants, est perçue comme un moyen de « chantage » qu’utilisent des fournisseurs véreux pour s’enrichir davantage, dans un système où la demande est avérée plus forte.
D’ailleurs, ces commerçants ne cachent pas leur souhait de voir l’État veiller au strict respect de l’ordre dans le secteur.
Au marché d’Adjamé, plusieurs zones de stockage de vivres approvisionnent le grand Abidjan. Cependant, nous avons été fort agréablement surpris que notre déplacement dans cette chaude commune n’en valait pas la peine. Les prix sont pratiquement devenus standards.
Diallo Kadidiatou épouse BA, commerçante au marché Gouro d’Adjamé, vendeuse détaillante d’oignons, de tomates pâtes, d’huile rouge, de pâtes d’arachide, déplore cette forme d’injustice qui est en train de prendre forme dans le secteur du commerce en Côte d’Ivoire.
« C’est auprès des fournisseurs qu’il y a problème. Ils disent que là où ils vont prendre leurs marchandises, les prix ont grimpé. (…) Il y a des gens qui ont stocké leurs marchandises et qui font grimper les prix. Actuellement, Akadi qui vient du Sénégal, est en rupture sur le marché. Le carton qui était à 7500 F CFA, est à 10 000 F CFA. "Adja" qu’on appelle "Djonkai", de 7000 F le carton, on est à 12 000 F CFA. Le kilo de poivre était à 4 000 F CFA, il est à 6000 F CFA aujourd’hui. Nous sommes obligés de défaire les sachets qui avaient été attachés pour réduire la quantité. Sinon, tu ne pourras pas avoir de bénéfice. Le sac d’oignon de 6000 F CFA est passé à 8000 F CFA. On prenait le bidon d’huile à 20 000 F FCFA, voire 22 000 F CFA, aujourd’hui, c’est 26 000 F CFA. Quand nous vendons en détail, on fait le litre à 1700 F FCFA ou 1800 FCFA », a-t-elle indiqué.
Avant d’interpeller le gouvernement en ces propos : « Nous demandons au pouvoir de nous aider. Les fournisseurs disent que les taxes sont chères. Les impôts sont trop sur les marchandises. Il y a des produits que nous ne commandons plus, parce que les prix ont augmenté et les clients se plaignent. Quand tu veux t’approvisionner à nouveau, c’est aussi difficile, puisque l’argent récolté à la vente de l’ancienne marchandise ne te permet plus de t’approvisionner encore ».
N.D, également commerçante détaillante au Forum d’Adjamé, « pleure » les dures réalités du terrain : « Le sac de carotte est passé à 15 000 FCFA, celui de la pomme de terre à 10 000 F CFA au lieu de 8000 F CFA, le kilogramme de la tomate est à 1200 F CFA. Tu prends un stock, dès qu’il est épuisé et que tu retournes chez le fournisseur, les prix ont changé », a-t-elle regretté.
Le plaidoyer de certaines coopératives de femmes du vivrier
« Au niveau de la tomate, de la banane, l’avocat…, il y a une période pour ces produits. Quand leur période arrive, on en trouve en quantité sur le marché d’ici. Mais au niveau de l’huile, du riz, du sucre, du cube maggi… c’est là qu’il y a des problèmes. Ce sont des articles qui ne sont pas périodiques et ce sont les prix de ces marchandises qui augmentent. Nous demandons à l’État de subventionner les cultivateurs de produits vivriers. Cela pourrait atténuer un tant soit peu, la souffrance des populations. L’État aura plus d’emprise sur les fournisseurs, il lui faut revoir les taxes et impôts sur les marchandises », ont soutenu sous le couvert de l’anonymat, des membres d’une coopérative.
En retour, des fournisseurs, par la voix de leur représentant qui a refusé de décliner son identité, a rétorqué pour dire qu’ils n’étaient en rien, responsables de la hausse du prix des marchandises. Il a fait savoir qu’eux aussi, se plaignent des taxes trop élevées qui leur sont demandées de payer, surtout qu’ils doivent se dégager de certaines charges fixes intermédiaires. « Les taxes sont chères. Les impôts sont trop sur les marchandises. Nous aussi, lorsque nous passons les commandes, nous les déduisons sur les articles », a-t-il conclu.
Ces actions du gouvernement qui vont changer la vie des Ivoiriens
Le gouvernement ivoirien tient le bon bout dans sa politique de conduire la Côte d’Ivoire vers l’ère de la mécanisation pour booster la production nationale et garantir l’autosuffisance alimentaire des populations.
En visite à Bouaflé, le jeudi 7 avril 2022, le Premier ministre a levé un coin de voile sur la détermination des femmes du secteur agricole de Côte d’Ivoire, en particulier, celle de la région de la Marahoué, qui force admiration et considération. Dans le but d’apporter un appui au secteur du vivrier pour les efforts visant à booster la production et à réduire la pénibilité des travaux, Patrick Achi a offert à 19 coopératives, la somme de 2,5 milliards de FCFA d’équipements en matériels et en intrants agricoles. Il a fait la promesse de la mise à disposition des femmes commerçantes, de 6 camions de 40 tonnes pour le transport de leurs produits sur les différents marchés, et ce, pendant 6 mois.
À ces dispositions, s’ajoutent le renforcement des circuits de distribution, de conservation et de stockage sur les marchés, ainsi que l’installation de 31 comités de lutte contre la vie chère sur l’ensemble du pays. De même que la construction de 40 marchés de proximité à travers le financement de l’État, la construction de 3 marchés de gros et 10 autres marchés relais financés par la Banque mondiale. Ces mesures ont requis de la part de l’État, un financement de 145 milliards de FCFA, depuis le mois de janvier 2022 et un montant en investissement en termes de projets structurants qui commencent aujourd’hui et se poursuivront dans les mois à venir, de 356 milliards de FCFA.
Venance Kokora