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« La question de la dette est une question un peu technique. Et on veut en faire un sujet politique. Que ce soit à l’Assemblée nationale ou ailleurs, on m’a plusieurs fois posé des questions sur le niveau de la dette de la Côte d’Ivoire. Mais c’était à dessein. Ils veulent juste tirer ma langue pour pouvoir dire que la dette à 25 000 milliards est de trop. Un chiffre nominal de la dette en lui-même ne veut rien dire. Revenons à des exemples que le monde connaît. Un jeune cadre qui a commencé à travailler peut n’avoir aucun crédit, parce qu’il n’en a pas les capacités. Son niveau de dette est zéro. Son grand patron qui a pris un crédit à la banque de 50 millions pour construire une maison a une dette de 50 millions. Devant cette situation, des gens viendront dire que le grand patron a 50 millions de dettes et que le jeune cadre qui n’a aucune dette, a une bonne situation par rapport au grand patron. C’est le type de raisonnement qu’on fait très souvent. Les gens disent que, comme la Côte d’Ivoire a plus de 25 000 milliards de dettes, alors le pays est dans une situation terrible. Une dette, il faut toujours la comparer à vos revenus. Il y a différents types d’indicateurs. Je ne vais pas rentrer dans des détails techniques.
Si vous avez contracté une dette de 50 millions pour construire une maison avec un salaire de 1 million par mois et que l’on vous coupe 200 000 F par mois, il n’y a aucun problème pour vous, parce que vous avez un niveau de salaire conséquent pour pouvoir vivre après le remboursement. Mais celui qui a une dette de 500 000 F avec un salaire de 50 000 F à qui l’on coupe 30 000 F CFA par mois, c’est très très compliqué pour lui. Quand vous contractez une dette, on regarde votre niveau de richesse. Quand le président Ouattara arrivait au pouvoir, le PIB de la Côte d’Ivoire était de 13 000 milliards. Mais ce PIB est passé de 13 000 à 50 000 mille milliards aujourd’hui. Le budget de la Côte d’Ivoire est passé de 3 000 milliards à 13 000 milliards aujourd’hui (avril 2024, NDLR). Les ressources du pays se sont accrues de façon importante. Rapportée à ces ressources, on a une dette qui est largement soutenable. Mais là encore, ça ne suffit pas pour tirer des conclusions sur la dette. Monsieur Brou Aka Pascal qui est ici présent et moi, pouvons avoir contracté une même dette de 10 millions de F CFA auprès de deux banques différentes. Moi, je rembourse ma dette sur 15 ans à 5% de taux d’intérêt. Monsieur Brou Aka Pascal rembourse la sienne sur 5 ans à 8% de taux d’intérêt. Même si nous avons le même niveau de dette, Monsieur Brou Aka va avoir des problèmes par rapport à son rythme de remboursement, alors que moi, je ne vais pouvoir continuer à vivre sans problème.
Quand on analyse la dette d’un pays, on regarde tous ces aspects, c’est-à-dire les indicateurs de liquidité. Est-ce que le service de la dette qu’un État ou une entité paie par rapport à ses revenus lui permet de tenir ? Dans ce type de situation, la Côte d’Ivoire tient sans problème. Quand on regarde le service de la dette de la Côte d’Ivoire, rapporté à ses recettes fiscales, quand on regarde le service de la dette, rapporté aux recettes d’exportation, est-ce que le pays peut tenir ? Je précise que les recettes d’exportation sont importantes, parce que la dette ne se rembourse pas en Francs CFA, mais Euros ou en Dollars, et ces devises s’acquièrent, entre autres, par les recettes d’exportation. Toutes ces données font l’objet d’analyse avant de tirer des conclusions.
Mais, il y a encore une erreur plus importante que les gens font. Quand les gens critiquent l’endettement, ils parlent du niveau nominal de la dette. Or, les techniciens qui font des analyses, ne l’utilisent pas comme un instrument de mesure. Ceux-ci font des analyses sur la base de la valeur actuelle de la dette. C’est le premier indicateur, pas le niveau nominal. Quand on va s’endetter, il y a un taux d’intérêt qu’on paie. Si vous avez contracté 50 millions auprès d’une banque, à la fin de la période, vous devez rembourser peut-être 60 millions de F CFA. C’est le vrai chiffre de votre situation de dette et non les 50 millions que vous avez contractés.
Dans le cas de la Côte d’Ivoire, quand on a fini tout le travail que je viens de développer, on estime que le taux de surendettement est modéré
Ce sont ces indicateurs qu’on regarde pour voir comment vous vous comportez par rapport à votre situation de dette. Et cela ne se fait pas sur une année, deux ou cinq. Cela se fait sur une période de 20 ans. C’est après cela qu’on peut dire que la dette est soutenable ou pas. Mais même là encore, ce n’est pas suffisant pour tirer des conclusions. On peut se dire que dans la vie d’un individu tout comme dans la vie d’un État, il peut avoir des situations difficiles. Un accident ou un incident peut arriver dans la vie d’un État, telle que la chute brutale des prix des matières premières. On se pose la question suivante : Si un tel scénario se produit, est-ce que vous pouvez continuer à payer la dette ? On fait donc des tests de résistance sur cette hypothèse et aussi des scénarios rares, mais plausibles. C’est quand on finit tout ce travail qu’on dit que votre risque de surendettement est soit faible, modéré, élevé, soit avéré.
Dans le cas de la Côte d’Ivoire, quand on a fini tout le travail que je viens de développer, on estime que le taux de surendettement est modéré.
Mais même si par extraordinaire, on venait à dire que le risque de surendettement est élevé, cela ne veut pas dire que le pays va s’écrouler. Je prends le cas du corps humain. C’est comme la tension artérielle. Si vous avez une tension de 14, vous une tension un peu plus élevée que la normale. Mais cela ne veut pas dire que vous allez mourir demain. Cela veut dire que vous devez vous surveiller, contrôler votre alimentation, faire des exercices physiques, etc. Si vous respectez toutes ces consignes, vous pouvez vivre plus longtemps que quelqu’un qui a une tension normale de 12. Ainsi donc, si par extraordinaire, on venait à dire que le risque de surendettement est élevé, cela ne veut pas dire que le pays est proche de la banqueroute. Cela voudrait dire que le pays doit mieux surveiller la mise en œuvre de ses politiques pour que globalement, les choses se passent mieux.
Mesdames et Messieurs, voici en de termes simples, ce que l’on peut dire sur la dette. Ce qui est triste, ce que c’est que la question de la dette est une question technique et les techniciens travaillent là-dessus et sortent des rapports. Malheureusement, des politiques s’en emparent, ils tirent un chiffre et à partir de ce chiffre, ils tirent toutes les conclusions sur la vie d’un État, alors que pour tirer les premières conclusions sur le niveau de la dette, en plus de tout ce que je viens de dire, il faut au moins analyser cinq variables ».
Lavenir.ci