Le chasseur, dit-on, raconte l’histoire de la chasse en la tournant à son avantage. C’est ce qu’a tenté de faire le président du PPA-CI au cours du Comité central de son parti, qui s’est tenu le samedi 4 janvier 2025. A l’occasion, il est revenu sur plusieurs faits qui ont marqué l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. Il est notamment revenu sur le charnier de Yopougon et les violences sociopolitiques qui s’en sont suivies. « J'ai été élu le 22 octobre (2000). J'ai prêté serment le 26 octobre. Nous avons fait le premier conseil des ministres le 27 octobre. On était au conseil des ministres quand on m'a dit qu'il y a des morts à Yopougon. Le charnier de Yopougon », raconte-t-il cet épisode tragique de l’histoire de la Côte d’Ivoire post-Houphouët-Boigny.
La vérité sur le charnier de Yopougon
On peut le dire, l’ancien chef de l’Etat dépeint avec un simplisme affligeant cet événement qui eut, à l’époque, l’effet d’une onde de choc dans l’opinion nationale et même internationale. Il semble laisser croire que son régime avait à peine pris ses marques qu’il découvre, avec stupeur ce charnier. On devine donc qu’il veut en déduire que ni lui ni son pouvoir en cours d’installation n’ont rien à y avoir. Loin s’en faut ! Bien au contraire. Les faits tels qu’ils se sont déroulés à l’époque jurent avec ce récit caricatural qu’en donne Gbagbo.
On se souvient que c’est suite à sa prise de pouvoir dans des conditions calamiteuses que des forces de défense et de sécurité, acquises à sa cause et ses partisans, vont s’en prendre violemment aux partisans d’Alassane Ouattara, sortis massivement dans les rues pour réclamer la reprise de l’élection présidentielle d’octobre 2000.
En effet, suite à l’élimination des candidatures d’Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, par Tia Koné, alors président de la Cour Suprême, Laurent Gbagbo et le chef de la junte, Robert Guei, notamment vont se disputer le fauteuil présidentiel. Alors que les résultats étaient en train d’être proclamés par la Commission électorale, alors dirigée par Honoré Guié, les militaires vont interrompre le processus pour finalement proclamer des résultats que le candidat Laurent Gbagbo juge non conformes au verdict des urnes. Il dénonce une « victoire volée ». Aussitôt, il se proclame vainqueur du scrutin et appelle les Ivoiriens à descendre dans les rues pour se dresser contre ce qu’il considérait comme étant un hold-up électoral.
Estimant que le processus électoral est entaché d’irrégularités depuis la mise à l’écart de leur leader jusqu’à la confusion autour de la proclamation des résultats, les partisans d’Alassane Ouattara descendent dans les rues, le 26 octobre 2000 pour réclamer la tenue de nouvelles élections. Ils seront pourchassés et subiront les pires exactions de la part des partisans de Gbagbo et d’officiers acquis à sa cause. C’est que revendiquant la victoire, celui-ci a ordonné aux forces de l’ordre de rétablir l’ordre « par tous les moyens ». Le lendemain, 27 octobre, un charnier de 57 corps est découvert dans la forêt du Banco à Yopougon. Arrivé au pouvoir dans des conditions qu’il a qualifiées lui-même de calamiteuses, Laurent Gbagbo aura créé les conditions du charnier de Yopougon.
A l’origine de la rébellion
Tout comme son pouvoir a créé les conditions qui ont favorisé la tentative du coup d’État de janvier 2001 et de la rébellion de septembre 2002 qu’il a subis. De cette tentative du coup d’État de janvier 2001, voilà ce qu’il en dit : « La première attaque, j'étais au village. Ils nous attaquent le 6 janvier (2001). Je dis mais, je suis arrivé au pouvoir à la fin octobre (2000). Novembre, décembre, début janvier, on nous attaque. J'ai fait quoi en deux mois pour qu'on nous attaque ? ». Et d’ajouter à propos de la rébellion qui surviendra 21 mois plus tard : « J’ai fait quoi qui mérite qu’une rébellion nous attaque ? ». On devine, sous ces interrogations que Gbagbo laisse entendre qu’il n’a pas mérité ces actes subversifs qui ont secoué son pouvoir. C’est au mieux faire preuve de mauvaise foi, au pis, de révisionnisme.
Car, la tentative de coup d’État de janvier 2001 et celle qui lui succédera en septembre 2002, pour finalement se muer en rébellion, sont deux moments tragiques qui tirent leur source des conditions calamiteuses dans lesquelles Laurent Gbagbo a accédé au pouvoir et de ses premiers mois de gestion approximative du pouvoir. Parvenu aux affaires sur fond de division des populations, il a raté l’occasion de recoudre le tissu social déchiré par les exactions et crimes ayant ensanglanté le fauteuil présidentiel dans lequel il venait de s’installer. Il a, en effet, déchiré les recommandations du Forum national de réconciliation, qui s’était tenu du 9 octobre 2001 au 18 décembre 2001 et qui l’appelaient à poser des actes forts de réconciliation. Par ailleurs, son régime avait repris à son compte l’odieuse idéologie de l’ivoirité en la mettant en pratique. Ainsi, des hommes en boubou, des Ivoiriens, soupçonnés de nationalité ivoirienne douteuse, voyaient leurs cartes d’identité arrachées et parfois déchirées. Autant d’exactions qui ont poussé les militaires, auteurs de l’insurrection militaire du 19 septembre 2002, à prendre les armes. C’est du moins l’explication qu’en avait donné le leader de la rébellion, Guillaume Soro.
Eligibilité de Ouattara : les aveux de Tia Koné qui changent tout
Autre fait historique qu’a tenté de réécrire Gbagbo en sa faveur, c’est la décision qu’il avait prise d’autoriser, via l’article 48 de la Constitution, Alassane Ouattara à participer à l’élection présidentielle de 2010. « À l'époque, quels sont les sacrifices qu'on n'a pas fait pour lui ? (…) À Pretoria, c'est moi qui ai pris l'initiative de dire à Tabo MBeki, « Frère, je n'ai pas peur qu'Alassane soit candidat. », a déclaré l’ex-chef de l’État. La vérité, c’est que Gbagbo n’a fait que réparer une injustice vécue par Alassane Ouattara, lequel avait été victime d’une décision inique prise par feu Tia Koné à travers un arrêté en 2000, en sa qualité de président de la Cour suprême, à l’époque, seul habilité à valider les candidatures à l’élection présidentielle. Celui-ci avait recalé la candidature de Ouattara pour « nationalité (ivoirienne) douteuse ». Une décision sur laquelle l’homme était revenu des années plus tard, avant son décès. Il avait, en effet, admis qu’il s’était fourvoyé et avait remis en cause son propre jugement. Or, c’est sur cette décision inique que l’on se fondait en 2010 pour dire que Ouattara était frappé d’inéligibilité à l’élection présidentielle. Une injustice que Gbagbo n’a eu d’autre choix que de rétablir, sous la pression internationale.
Assane Niada