Quel regard portez-vous sur les douze années écoulées après le 11 avril 2011 ?
Autant de blessures, autant de suspicions, autant de rejets, autant de cœurs blessés. Toute ma génération et celle qui est avant moi, iront dans la tombe avec ce souvenir atroce de cette guerre-là. On n’en avait pas besoin. On aurait pu trouver des mécanismes pour régler autrement ce conflit. Malheureusement, l’histoire est derrière nous. Il faut assumer les conséquences. La preuve, le président Gbagbo qui a été trainé devant le tribunal international et éloigné de la Côte d’Ivoire, a repris la vie politique. Mais il est revenu, il a repris la vie politique. Je pense qu’on pourrait retrouver les trois candidatures encore en 2025. C’est la Côte d’Ivoire qui a énormément perdu, parce que c’est la haine qui a été semée dans les cœurs et ça sera difficile d’avoir un projet d’avenir commun, avoir une histoire commune.
Est-ce que selon vous, 12 ans après, la Côte d’Ivoire a réussi le pari de la réconciliation ?
La cohabitation pacifique oui, même s’il y a des différends sur le fond quelquefois, mais au moins l’autorité du préfet, du commandant de brigade, du commissaire de police est reconnue. Dans nos différentes missions à l’intérieur du pays, l’autorité de l’État est reconnue. Mais parler de cohésion sociale, c’est quand même fort, parce que les Ivoiriens parlent en termes de région, il n’y a pas d’avenir commun. Ça n’existe pas.
L’État est venu s’y mettre encore avec tout ce que la République a fait, les biens de Soro et Affoussiata vendus. Il y a une cohabitation pacifique c’est vrai, mais ce n’est pas ça la cohésion sociale ni la paix durable. Il faut encore trouver d’autres mécanismes endogènes, parce que les mécanismes judiciaires ne sont pas la solution. On expérimente depuis 2011, mais il y a encore des blessures dans les cœurs. Il y a récemment les populations de Guitrozon qui avaient saisi les instances judiciaires internationales. On ne sort pas de ce genre de chose aussi facilement parce que les souvenirs atroces sont encore-là.
Que pensez-vous de cette gouvernance de 2011 à ce jour ?
Il y a eu les infrastructures comme des voies, des ponts, quelques édifices, ce n’est pas à discuter. Lorsqu’on parcourt la Côte d’Ivoire, on voit cela un peu partout. La Côte d’Ivoire est revenue dans le concert des nations même si je pense que certaines choses devraient être discutées autrement. Pour preuve, Bretton Woods fait encore des prêts. On vient encore de recueillir plus de 3,5 milliards de dollars pour un pays comme le nôtre, cela dénote que la confiance est revenue dans les relations économiques internationales. Nous n’arrivons plus à réfléchir en termes de nation, mais plutôt en considération clanique et tribale. Ce sont des choses qu’il faut revoir en renforçant la gouvernance sur ce côté, pour que les Ivoiriens puissent s’imaginer un avenir commun et un passé commun.
Que faire pour éviter de subir une autre crise électorale en 2025 ?
Nous avons fait notre lobbying qui n’a pas pris. C’était de modifier la clause d’âge qui devait être limitée à 75 ans pour qu’il y ait moins de passion et moins d’émotion.
La constitution ivoirienne définit les conditions de sa modification en son article 74. À ce stade, nous ne pouvons parler que de sensibilisation, de formation des leaders communautaires, des Forces de défense et de sécurité pour leur impartialité, de la CEI qui va étudier les dossiers de candidature de façon juste et équitable. Certes, il y a le passé qui nous hante, mais on espère que les uns et autres pourront accepter une transition pacifique de sorte qu'il y ait une continuité administrative et que le vainqueur soit reconnu vainqueur et que ça ne soit pas un vaincu qui soit reconnu vainqueur pour que cela suscite encore des troubles. Voici ce qu'on peut espérer.
Réalisée par Assane Niada