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Interview/Coulibaly Souleymane, (ex-chargé de mission de Balla Keïta et ex-conseiller spécial d’IB) parle…« Voici comment Guillaume Soro est arrivé à Ouagadougou »

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Il fut chargé de mission de Balla Keïta, ex-ministre de Félix Houphouët-Boigny et Conseiller spécial du sergent-chef Ibrahim Coulibaly, dit IB. À l’occasion des numéros spéciaux que nous avons consacrés au 20e anniversaire du coup d’État manqué de septembre 2002 qui s’est mué en rébellion, Coulibaly Souleymane a décidé de s’ouvrir à L’Avenir. Dans cette interview exclusive, ce sachant de l’histoire contemporaine de la Côte d’Ivoire, nous livre des détails de certains faits qui sont déjà dans le domaine public et livre des confidences inédites sur la rébellion de septembre 2002, depuis les préparatifs jusqu’à l’exécution de ce projet.

Vous avez décidé de donner de la voix à l’occasion du 20e anniversaire de l’éclatement de la rébellion de septembre 2002 de laquelle vous êtes un témoin privilégié. 20 années après, quel regard jetez-vous sur cette crise majeure de l’histoire de la Côte d’Ivoire ?

Je voudrais d’abord m’incliner devant la mémoire de tous nos compatriotes qui ont perdu la vie à la suite de l’éclatement de cette rébellion et de tous les événements qui ont suivi. 20 années après, pour avoir été conseiller spécial d’Ibrahim Coulibaly et pour avoir été chargé de mission du ministre Balla Keïta, je pense modestement qu’après les numéros spéciaux que votre journal a consacrés à la rébellion de septembre 2002, je me dois de parler, pas pour remuer le couteau dans la plaie, mais pour rétablir certaines vérités, surtout sur la paternité de cette rébellion.

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Je peux vous informer également qu’il y a d’autres sachants, qui ont occupé ou qui continuent d’occuper de très hauts postes dans le pays, qui étaient également dans le secret des dieux et qui pourront attester de la véracité de tout ce que je vais dire. Ceci dit, ces 20 ans représentent pour moi, beaucoup de choses. La rébellion est née du refus de la démocratie, de l’ostracisme dont a été victime une partie de la population, de l’exclusion, de la xénophobie, etc. Aujourd’hui, avec tout ce que je vois, je pense que le combat n’a pas été vain. On ne parle plus d’Ivoiriens de souche multiséculaire et d’Ivoiriens de circonstance, il n’y a plus de contrôles intempestifs, la loi est la même pour tout le monde, le jeu démocratique est ouvert, etc. Quand on regarde tout cela, on peut tout de même dire que le combat a abouti. Ce qui me réjouit particulièrement, c’est le développement prodigieux dans lequel est engagée la Côte d’Ivoire sous le leadership du président Alassane Ouattara.

Vous avez été le chargé de mission de feu le ministre Balla Keïta et vous soutenez avoir été dans le secret des dieux en 2002. Alors, dans quel environnement cette rébellion a-t-elle été préparée ?

20 années après, je pense que nos compatriotes méritent de connaître la vérité. Je dirais que le point de départ a été la mauvaise organisation des élections de 2000 à la suite du coup d’État de 1999. Mon ancien patron, le ministre Balla Keïta, au sortir d’une interview à la télévision nationale, a été pris à partie dans les locaux de la RTI par des militaires qui avaient déjà infiltré le dispositif du général Gueï, à la solde de l’ancien président Laurent Gbagbo. C’était au plus fort de la contestation électorale qui a opposé le Général Gueï à Laurent Gbagbo à la suite de l’élection calamiteuse du 22 octobre 2000.

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Au sortir de la RTI, Balla Keïta a été enlevé, emmené manu militari au Camp Gallieni et c’est là-bas qu’il a reçu un coup de cross sur la tête. Il a été pris pour mort.  C’est une dame médecin colonelle je crois, ayant constaté que son pouls battait encore, l’a fait évacuer à la PISAM. J’ai été surpris du folklore qui a suivi avec les visites que lui ont rendu certains caciques du régime de l’époque.  Par le biais de certains amis européens, on n’a pu l’évacuer en Suisse pour des soins appropriés. C’est après sa sortie de l’hôpital que nous nous sommes retrouvés au Burkina Faso.

Après sa convalescence à Genève, pourquoi et comment Balla Keïta s’est retrouvé au Burkina Faso avec les concepteurs de la rébellion ?

Il est arrivé à Ouagadougou en fin novembre 2001 par le biais de certains amis. Nous étions ensemble et nous avions pris nos quartiers à l’Hôtel Silmandé. Il est bon de noter qu’une fois au Burkina Faso, le ministre Balla suivait de très près, ce qui se passait dans son pays. Il a estimé, face aux dérives du nouveau régime Gbagbo, qu’il fallait faire quelque chose, sinon le pire allait se produire dans le pays de Félix Houphouët-Boigny.

On sait que Balla Keïta était très proche du Général Robert Gueï et les deux ont été tués dans la même période. Est-ce qu’une fois au Burkina Faso, Balla avait des connexions avec son ancien patron Gueï qui avait déjà créé un parti politique, l’UDPCI ?

 Des confidences sur la mort de Balla Keïta…

Évidemment, les deux étaient en contact pour avoir eu à travailler ensemble. Je vous ai dit que Balla a été conseiller spécial de Gueï. Mais au-delà de la connexion entre les deux hommes, cette question me permet de faire la genèse de la création de l’UDPCI. Toute modestie mise à part, je peux dire que je suis le fondateur de l’UDPCI, puisque tout été inspiré d’un mouvement que j’ai créé. Rappelez-vous qu’il y a eu le mouvement dénommé le Rassemblement pour le Consensus National (RCN). C’est moi qui ai créé ce mouvement avec la bénédiction du président Gueï et du ministre Balla. Le jour de la conférence de presse en août 2000, à l’hôtel Sofitel au Plateau, un haut cadre de la République encore en fonction aujourd’hui, est venu me voir pour dire qu’il n’était pas opportun de créer un tel mouvement. Nous n’avons pas voulu entendre raison et nous avons continué.

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Devant les sons de cloche différents, le président Gueï nous a dit d’arrêter et qu’il allait créer un mouvement plus large et plus fédérateur. Je me rappelle comme si c’était hier. Ce jour-là, le général Gueï était entouré de Balla Keïta, Paul Akoto Yao, Alassane Salif N’Diaye, Mabri Toikeusse et d’autres encore.  C’est ainsi qu’en lieu et place du Rassemblement pour le Consensus National, l’UDPCI a été créé en 2001. Voici donc comment est née l’UDPCI à partir des germes de notre mouvement, le Rassemblement pour le Consensus National. Je peux même ajouter que dans la mouture originale de l’organigramme, Gueï était le président du parti, Balla Keïta le secrétaire général et Mabri son adjoint.

Pour en revenir à la rébellion, 20 années après le 19 septembre 2002, chaque fois quand on parle de cette rébellion, ce sont les noms de Guillaume Soro et Ibrahim Coulibaly. On sait qu’IB était déjà sur le sol burkinabé. Comment Guillaume Soro s’est retrouvé parmi les concepteurs de la rébellion au Burkina Faso ?

Cette question me permet de mettre fin à une imposture qui dure depuis maintenant 20 ans. En 2001, Guillaume Soro était à Abidjan. Il a même participé à une compétition électorale. Un jour, je suis allé voir IB et il m’a dit que Mariko Oumar (Un homme politique malien, NDLR) l’appelé pour lui soumettre le cas Soro.  À la vérité, c’est la femme de Camara H qui l’a introduit auprès de Mariko Oumar.  Soro est donc passé par la femme de Camara H pour être reçu par Oumar Mariko pour lui exposer un problème : il voulait partir aux États-Unis pour, dit-il, poursuivre ses études. Voilà comment Mariko Oumar va appeler IB pour lui soumettre le cas Soro. Avant qu’il ne vienne à Ouaga, IB avait demandé mon avis sur la question. Je lui ai dit que je le connaissais, c’est un jeune qui est éloquent et parle très bien et qu’il pouvait le recevoir. Voici donc comment Guillaume Soro atterrit à Ouagadougou. Il est arrivé dans le courant du mois de février 2001 en transitant par Bamako. Quand je l’ai trouvé chez Major (Ibrahim Coulibaly, dit IB, NDLR), Soro avait porté une simple culotte kaki.

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Quand il a commencé à le côtoyer, IB s’est effectivement rendu compte que le jeune Soro parle très bien, il est à l’aise dans les débats, il a un contact facile avec les journalistes. À partir de ce moment, il est parvenu à le convaincre à renoncer à son voyage sur les États-Unis et être à ses côtés dans la dynamique du projet qui était en cours. Il faut dire qu’à l’époque, IB était beaucoup sollicité par les médias après l’échec de la première tentative de renverser Gbagbo, le 7 janvier 2001 que les médias ont appelé « Le complot de la Mercédès noire ».  Voilà comment Soro qui est allé chercher des moyens au Burkina chez IB pour aller poursuivre ses études aux États-Unis, va rester à Ouagadougou auprès d’IB. 20 années après, je suis très bien placé pour dire que Soro est arrivé dans la rébellion par accident. Quand IB lui a fait cette proposition, au lieu de partir aux États-Unis, lui qui était déjà habitué à la vie publique dans les médias, y a vu une opportunité pour rebondir, surtout quand il a su que c’était IB qui était derrière le « complot de la Mercedes noire ». Et comme c’est un très bon opportuniste, il a saisi la perche et vous connaissez la suite du film.

La vérité sur la création de l’UDPCI

Soro est venu trouver des militaires et vous autres politiques. Comment la vie était organisée à Ouaga ?

Je dirais que tout se passait bien. Le seul hic, c’est que Soro est parvenu à influencer IB dans ses prises de décisions. IB était un homme comme tout le monde, il avait donc ses défauts. C’est un homme qui fait rapidement confiance et qui se confie aux gens une fois la confiance établie. Une fois qu’il a confiance en quelqu’un, il ne va plus croire à tout ce que tu vas venu lui dire par la suite et c’est comme ça que Soro est parvenu à le manipuler. D’ailleurs, quand Soro est arrivé à Ouaga, IB lui a donné une chambre qui était juste après la sienne. Et vers la fin, tout passait par Soro qui était devenu incontournable dans le dispositif.

 C’est dans cette ambiance qu’intervient l’assassinat de Balla Keïta. Vous qui étiez son homme de main, est-ce que vous aviez senti les choses venir ? Était-il en rupture de ban avec certains militaires exilés ou avait-il des connexions avec des hommes du régime d’Abidjan ?

Je dois avouer que, personnellement, je n’ai pas vu l’assassinat venir. La seule certitude que j’avais, c’est que le régime Laurent Gbagbo savait que Balla Keïta était au Burkina Faso et qu’il préparait certainement quelque chose. Il a d’ailleurs reçu plusieurs messages de menaces de mort de la part de certains caciques du régime d’Abidjan. Quand il a été assassiné, moi, je n’étais pas sur place à Ouagadougou. Il m’avait envoyé en mission hors du Burkina.

 Quand vous êtes revenu à Ouaga, vous, en tant que chargé de mission, 20 années après les faits, qu’est-ce qui s’est passé réellement dans la nuit du 1er au 2 août 2002 où Balla Keita a été assassiné ?

Comme je vous l’ai dit, il m’avait envoyé en mission. Je n’étais donc pas sur place. Une fois de retour, on m’a dit que le soir de son assassinat, il était avec une femme et c’est cette dernière qui l’aurait d’abord empoisonné, avant de l’assassiner. N’étant pas en place, je ne peux pas relater avec certitude, ce qui s’est passé cette nuit-là. J’ai une seule certitude, c’est que les choses sont parties d’Abidjan.

Jusque-là, un mystère plane sur cet assassinat. Balla Keïta habitait un quartier pourtant sécurisé de Ouagadougou. Comment une dame a pu avoir accès au domicile et perpétrer un assassinat sans avoir été interpellée ?

Effectivement, le Conseil de l’entente est un quartier sécurisé. Il y avait des militaires commis à la surveillance du secteur. Ce sont ces derniers qui disent avoir aperçu Balla avec une jeune dame, la fameuse ‘‘dame en noire’’ dont on a parlé tant. Je ne suis pas en mesure de donner des détails que vous me demandez, parce que le jour de l’assassinat, je n’étais pas sur place.

 Deux thèses s’affrontent sur la mort de Balla. Certains soutiennent qu’il a été empoisonné et pour d’autres, il a été poignardé. Qui dit vrai ?

Une chose est certaine : la personne qui a été aperçue avec lui, est incontestablement l’auteur du crime. Quand je suis retourné à Ouaga, j’ai pu moi-même visiter le lieu du crime. Le jour-j, ils ont déjeuné ensemble et les enquêteurs ont trouvé des traces de poison dans le reste du plat de Balla. Et après l’épreuve du poison, il a été poignardé. Cela voudrait dire que la dame en question était partie avec une motivation claire : tuer Balla par tous les moyens. Mais je pense que les enquêteurs du Faso sont mieux placés pour en parler

La dame en question a-t-elle été interpellée par les autorités burkinabés ?

Je ne suis pas dans le secret de l’enquête ou de l’instruction. Peut-être aussi que c’est une affaire d’État. Je ne peux donc rien dire là-dessus. Cependant, je prie qu’un jour que l’on puisse trouver l’assassin de mon patron.

Balla Keita meurt le 2 août 2002, le 19 septembre, la Côte d’Ivoire est attaquée. Est-ce que vous pouvez dire que c’est la mort de Balla Keita qui a précipité les choses ?

Je pense que l’attaque a été anticipée, puisqu’après la mort de Balla, il y a des fuites d’informations et Abidjan se préparait plus ou moins à faire face à une attaque par l’échec de janvier 2001. Il fallait donc faire vite pour éviter que le coup ne soit éventé. Je vous informe qu’au départ, il n’était pas question de faire une rébellion. C’était un coup d’État pur et simple. C’est quand le coup a échoué que l’opération s’est muée en rébellion.

(La suite de cette interview dans notre numéro de demain mardi 25 octobre 2022)

Interview réalisée par Kra Bernard

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