Dans une publication diffusée sur Facebook, le 26 mars 2024, un inter[1]naute s’interrogeait, à juste raison, sur ce que devient cet argent. « Que devient l’argent qui se trouve dans les comptes mo[1]bile money (on peut étendre cela aux banques, NDLR) des personnes décédées ? », se demande-t-il ? « C’est cet argent qu’Orange prend pour donner crédit aux vivants », commente, sur un ton railleur un internaute.
Le grand public ignore la procédure
En réaction, un autre qui semble mieux informé sur le sujet, explique ce qu’il sait de la procédure. « Avez-vous déjà assisté des ayants droit qui sont entrés en possession de leurs fonds ? », l’apostrophe un autre. Des commentaires qui en disent long sur le peu d’informations dont dispose le grand public sur le sort des avoirs qui dorment dans les comptes bancaires et mobile money des personnes décédées. C’est ce qui explique que veuve Yoro et ses enfants n’ont pu bénéficier de l’argent que son défunt époux a laissé dans son compte bancaire. Faute de savoir comment s’y prendre, ils n’ont entrepris aucune démarche à cet effet depuis 2009 que cet ancien agent de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) est décédé.
Ce qui a naturellement constitué un handicap pour se reconstruire après le décès de celui qui était le « parapluie » de la famille. Ils ne sont pas les seuls à ignorer les formalités à remplir pour toucher ces fonds. C’est le cas de M. Touré, rencontré le 23 juillet 2024 à l’entrée du Service Succession de la SGBCI, sis au Plateau. « J’ai perdu mon frère le 5 juillet 2024 et c'est aujourd'hui que j'ai décidé de venir prendre les informations au service succession de sa banque pour savoir comment les ayants droit peuvent toucher ce qu'il aurait laissé dans son compte. J'avais jusque-là une vague idée de la procédure. C'est maintenant que je viens pour qu'ils m'expliquent comment faire », nous fait-il savoir.
Les banques entretiennent le mystère
Rencontrée dans le hall du Service Juridique de la BICICI le 23 juillet, dame Georgette dit être venue s’informer de la procédure après qu’une connaissance lui en a donné une idée. Ce jour-là, elle s’est munie d’un acte de décès de son défunt mari, décédé à Abidjan et de son relevé bancaire. « Ils m’ont donné les informations sur les documents à fournir et m’ont dit qu’ils vont commencer par bloquer tout accès au compte désormais », lâche-t-elle. Cette méconnaissance de la procédure alimente tous les fantasmes autour du sort de ces avoirs des défunts. Pour une certaine opinion, les banques entretiennent un mystère autour de la question, parce que cet argent des morts leur revient quand personne ne vient pas le réclamer. Une légende, bien sûre, fausse. « Le délai au-delà duquel on est forclos pour entamer cette démarche est de 10 ans à compter de la date de la dernière opération sur le compte. Passé 10 ans, nous sommes obligés de ramener l’argent à la BCEAO qui reverse les fonds par la suite à l’État de Côte d’Ivoire.
Ça obéit au même régime que les comptes dormants », nous explique un cadre du Service Juridique de la BICICI. Mais l’attitude des établissements bancaires, consistant à ne pas vulgariser l’information sur la démarche à suivre en pareille situation, est de nature à nourrir les idées pas toujours fondées qui circulent sur le sort des avoirs se trouvant dans les comptes bancaires des personnes décédées. À la question de savoir pourquoi les banques ne communiquent pas sur le sujet, l’agent du même établissement bancaire cité, avance : « On se dit que nul n’est censé ignorer la loi, puisque tout cela est dans la loi, sauf qu’ici, on l’applique au secteur de la banque ». C’est sans doute ce qui explique que, sollicitées régulièrement par courrier pour qu’elles nous informent sur la procédure à suivre, les quatre banques approchées n’ont pas daigné donner suite à notre requête, en dépit de multiples relances durant plus d’un mois (Voir encadré 2). Nous avons dû nous mettre tantôt dans la peau d’un parent de défunt, tantôt dans celle d’un client qui se veut prévoyant en cherchant à s’informer par anticipation. « Généralement, quand les gens sont encore en vie, ils ne s’intéressent pas à ces questions », nous fait remarquer un agent d’une des banques contactées.
Ce que disent les usagers ayant engagé la procédure
Est-ce pour cela que le Service Juridique ou le Service Succession de ces établissements, en charge de cette question, ne grouillent pas de citoyens venus engager la procédure ? En effet, partout où nous sommes passé, il n’y avait pas grand monde les jours de réception. Ils ne reçoivent que dans la mi-journée et seulement un jour par semaine dans certaines banques. Ceci explique-t-il cela ? En dépit de ces écueils, qui pourraient décourager les moins endurants, certains parents de défunts entreprennent les démarches en vue de toucher l’argent que ces morts ont laissé dans leurs comptes bancaires. C’est le cas de K. Marcellin, instituteur à Minignan. Rencontré au sortir du Service Succession de la SGBCI, il est venu engager la procédure pour espérer entrer en possession de l’argent que l’assurance pourrait verser à sa défunte épouse. « C’est parce que je suis déjà engagé, sinon j’allais laisser tomber, car ça me coûte beaucoup d’argent », nous confie-t-il. C’est que l’instituteur est contraint de quitter sa ville de Minignan pour venir à Abidjan déposer son dossier et faire le suivi. « Ça fait la deuxième fois que je viens ici. J’ai pu me faire établir tous les papiers qu’ils ont demandés et je suis venu les déposer aujourd’hui. Il s’agit, entre autres, d’une déclaration de décès, d’un acte de décès, d’un acte de notoriété, d’un certificat de non appel », explique-t-il. Selon lui, la procédure ne traîne pas en longueur : « Le seul problème, c’est ma disponibilité ; c’est ce qui fait retarder quelque peu le dossier.
Etant enseignant à l’intérieur du pays, ce n’est que pendant les congés que je peux venir faire les démarches relatives au dossier ». Deux dames rencontrées le même le jour dans les locaux de la même banque estiment que la procédure est loin d’être la mer à boire et peut aboutir. « On n'a pas rencontré de difficultés particulières. Si difficultés il y a, c'est peut-être pour réunir tous les documents demandés, surtout si l'ayant droit n'est pas lettré comme c'est le cas de ma sœur, qui a perdu son mari. Si vous fournissez tout ce qui est demandé pour constituer le dossier, la banque paie. Dans notre cas, la SGBCI a effectivement payé et ça n'a pas mis trop de temps », explique l’une des deux femmes. « Si toute la documentation est réunie, le paiement ne dure pas », assure l’agent du Service Juridique de la BICICI.
Qu’en est-il des comptes mobiles money
À en croire deux notaires approchés à la sortie du Service Succession de la même banque, la procédure se solde par un succès, surtout si elle est confiée à un notaire. « On peut vous assurer que les ayants droit touchent effectivement l'argent déposé dans le compte du défunt au terme de la procédure. Ils peuvent choisir de faire eux-mêmes les démarches comme ils peuvent confier le dossier à un notaire s’ils veulent que les choses se passent de façon sécurisée », explique l’un d’eux. « Si ce que nous devons reverser à l’ayant droit est d’un million et plus, celui-ci doit obligatoirement s’attacher les services d’un notaire.
Dans ce cas, c’est lui qui établit toute la documentation et on lui reverse les fonds et lui, à son tour, les remet aux ayants droit », précise pour sa part, le cadre de banque précédemment cité. Du côté des entreprises de téléphonie mobile MTN et Moov, que nous avons approchées, on assure également que la procédure aboutit quand les documents demandés sont fournis dans les délais. Toutefois, elles n’ont plus, ne communiquent guère sur la démarche à suivre pour que des ayants droit entrent en possession des fonds laissés par un défunt dans son compte mobile money. Leurs services n’ont cependant pas fait de difficultés à nous expliquer la procédure et nous indiquer les documents à fournir en cas de décès d’un client ayant de l’argent dans son compte mobile money.
Assane NIADA