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Opinion

Mémoire des soldats africains morts pour la libération de l’Europe : Il est temps pour l’Afrique de s’approprier la commémoration des sacrifices consentis

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Il y a 80 ans, des soldats africains sous l’appellation de tirailleurs sénégalais débarquaient sur les côtes de la Provence ( photo dr)
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Le débarquement de la Provence du 15 août 1944, la complémentaire à Overlord qui permit la libération des côtes sud et sud-est de la France, dans le cadre de la seconde guerre mondiale était encore cette année sous les feux des projecteurs, jeudi dernier, à Saint-Raphaël dans le département du Var, en région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

A la nécropole de Boulouris et où sont enterrés 466 soldats morts pour la France, en présence de plusieurs personnalités africaines dont Paul Biya donc, Faure Gnassingbé (Togo), Faustin-Archange Touadéra (Centrafrique), Azali Assoumani (Comores), Brice Oligui Nguema (Gabon) et Aziz Akhannouch (chef du gouvernement marocain), le président Emmanuel Macron rendait un hommage à tous ces morts sur l’autel de la liberté.

Il y a 80 ans, des soldats africains sous l’appellation de tirailleurs sénégalais débarquaient sur les côtes de la Provence, aux côtés des Alliées, des tirailleurs nord-africains, des volontaires et militaires de la France métropolitaine.

Baptisée « opération dragoon », complément de l’opération overlord, cette campagne établit la jonction au niveau du Rhin avec les troupes alliées de l’opération débarquées pour leur part le 6 juin 1944, et foncer ensemble sur Berlin. Les troupes de débarquement prirent prioritairement d’assaut Toulon et Marseille, deux villes lourdement défendues par l’armée allemande. Ces cibles étaient classées prioritaires car elles abritent des ports en eau profonde, indispensables à l’acheminement de toute la logistique nécessaire au succès des opérations.

Plus de la moitié des 450 000 soldats ayant participé à l’opération dragoon viennent du continent africain.

Ils appartiennent à l’Armée B, ex- 2ème Armée. Chargée exclusivement en janvier 1944 de la libération du territoire national français, elle est forte de 250 000 hommes répartis entre cinq 5 divisions d’infanterie : La moitié de ces effectifs provient de l’ « Armée d'Afrique », composée de deux grands groupes : les troupes métropolitaines (les chasseurs d'Afrique, les zouaves), les soldats originaires des colonies ( tirailleurs nord africains, tirailleurs sénégalais, goumiers etc). Originaires de la Côte d’Ivoire, du Niger, du Soudan, du Sénégal, de la Guinée, du Dahomey, du Togo, de l'Afrique Equatoriale Française, les corps de tirailleurs sénégalais sont estimés à 15 000 personnes.

À 8 heures du matin, 100 000 soldats alliés lancent l’assaut sur 18 plages entre Cavalaire et Saint-Raphaël.

Dragoon connut un succès rapide. A cause du succès des opérations préliminaires et surtout la relative défense allemande dégarnie deux mois plus tôt des forces considérables, pour monter en Normandie en vue de contrer l’avancée des troupes du débarquement. En deux semaines, la Provence est libérée. Fin août 1944, Toulon puis Marseille, Aix-en-Provence… où, aux côtés des autres frères d’armes, les Africains livrèrent des combats héroïques. Sous l’impulsion de cette dynamique, en septembre 1944, Lyon, Villefranche et des régions de la Vallée du Rhône sont pacifiés. Dans les Alpes-Maritimes, Nice brise ses chaines le 28 août 1944. Plus rien ne semble arrêter la déferlante. Le 12 septembre 1944, à Nod-sur-Seine, est établie la jonction avec la 2e division blindée partie de la Normandie.

Durant les opérations les pertes de l’Armée B s’élèvent à 9800 tués, des disparus et 3732 blessés dont des Africains.

Environ 35 000 Allemands ont été capturés. Ces morts d’Africains pour la libération de la France ont commencé bien avant l’opération Dragoon. Avant la signature de l’armistice de 1940, un nombre important de soldats subsahariens perdirent la vie face aux allemands. Le 19 juin 1940, à Chasselay-Montluzin, près d’une cinquantaine de tirailleurs sénégalais faits prisonniers, sont exécutés par la tristement célèbre division SS-Totenkopf. La boucherie entre dans l’histoire sous le nom de « massacre de Chasselay ». A l’appel du 18 juin 1940, le succès de la mobilisation de la France s’est réalisé grâce aux troupes coloniales africaines. Sans elles, les batailles importantes de la seconde guerre mondiale (conquêtes de l’AEF et l’AOF-pro vichy, Bir-Hakeim, El-Alamein, la libération de Paris etc) n’auraient pas sans doute le couronnement connu de tous.

 

Le blanchiment des troupes coloniales et la chute dans l’oubli…

 

Pourtant, ces sangs versés par l’Afrique restèrent durant des décennies dans l’oubli. Certains déplore une tentative d’annihiler le rôle prépondérant de l’Afrique noire dans l’instauration d’un monde libre à la fin de la première moitié du XXe siècle qui tire ses origines du blanchiment des troupes coloniales. Le 25 août 1944, commandée par le général Leclerc, la 2e Division Blindée ayant participé à la libération de Paris défile sans ses libérateurs africains. Le choc est brutal pour l’histoire. La conscience collective ne perçoit alors aucun Noir dans les colonnes des vainqueurs qui marchent fièrement sur les champs d’Elysée, sous les acclamations et liesses populaires des parisiens, heureux de la fin de quatre années d’occupation allemande. Pour plusieurs chercheurs, c’est la pression des Etats-Unis encore ségrégationnistes qui a fait plier le général Leclerc. Les 3603 tirailleurs sénégalais de la 2e DB sont contraints à la démobilisation ou une affectation dans une unité d’infanterie coloniale. Un second blanchiment intervient quand le 28 août, le chef du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) annonce l’intégration des FFI et la dissolution de leurs états-majors. Privés des satisfactions des dernières batailles finales sur le nazisme, 1500 tirailleurs sénégalais sont retirés des différents fronts, cantonnés dans les camps de transit et rapatriés en Afrique. A ce blanchissement des troupes comme facteur de la méconnaissance des efforts des tirailleurs africains, s’ajoute le manque d’engouement international pour mieux médiatiser les sacrifices des africains lors de la seconde guerre mondiale.

 

Au-delà des représentations de routine…

 

A ces festivités marquant le quatre-vingtième anniversaire, la présence de l’Afrique ne s’est pas limitée aux Chefs d’état cités plus haut. La Côte d'Ivoire, le Sénégal et la Tunisie ont envoyé un ministre, tandis que le Tchad, le Bénin étaient représentés chacun par leur ambassadeur. « Officiers de l'Empire ou enfants du Sahara, natifs de la Casamance ou de Madagascar, (...) ils n'étaient pas de la même génération, ils n'étaient pas de la même confession, (...) ils étaient pourtant l'armée de la nation, armée la plus fervente et la plus bigarrée », a indiqué le président Macron. Il poursuit en ajoutant que « la France n’oublie rien des sacrifices ». Cette déclaration nous amène à remettre en question l’engouement des pays africains quant à honorer comme il se doit la mémoire de leurs fils morts, de 1939 à 1945, pour le respect du droit international. En réalité, au front, au-delà des victoires militaires sur le 3eme Reich, ces soldats africains combattaient surtout tous les préjugés sous lesquels l’Africain ployait à cette époque. Ils avaient à cœur de marquer d’une pierre blanche l’apport de l’Afrique dans l’avènement d’un ordre mondial meilleur, bâti sur le socle de la liberté et de l’égalité, dans lequel leur descendance devrait vivre. Leur mémoire doit être alors mieux célébrée et personne ne pourra mieux le faire que les Africains eux-mêmes. A l’heure où le sentiment panafricaniste renoue avec une vitalité certaine, les Africains, dans leur ensemble, devraient saisir tous ses ressorts de l’histoire pour exalter les grandeurs de l’Afrique.

Nos chefs d’état doivent être donc plus que des invités et spectateurs aux festivités commémoratives.

C’est à la communauté africaine notamment subsaharienne de donner des contenus africains aux différentes commémorations, aux cultes ou rituels à leurs ancêtres enterrés dans différents cimetières disséminés sur le territoire français. Le débarquement de la Normandie n’aurait pas un écho aussi retentissant sans cette forte volonté des Américains, Anglais et Français d’immortaliser les sacrifices consentis.

 

 

TRAORÉ Siaka

Historien militaire,

Enseignant-chercheur au département d’Histoire,

Université Alassane OUATTARA de Bouaké.