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Reportage/Lutte contre le terrorisme par des actions de développement: Quand le travail détourne les jeunes de l’aventure djihadiste

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Leg1 : Grâce aux programmes et leur activité, ces veuves de Ferké sont sorties de la précarité.
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Pour prévenir le basculement des populations dans les mouvements terroristes qui menacent les frontières Nord de la Côte d’Ivoire, le gouvernement a mis en œuvre un ambitieux programme, dénommé Programme de lutte contre la fragilité dans les zones frontalières du Nord. Au-delà des assurances données par les gouvernants quant au succès de ce programme, qu’en est-il réellement ? L’Avenir est allé toucher la réalité du doigt dans la région du Tchologo.

*La stratégie du gouvernement qui a transformé le Tchologo

Lancé le 22 janvier 2022 par le Premier ministre, Patrick Achi, le Programme de  lutte contre la fragilité dans les zones frontalières du Nord, comprend 6 composantes : l’Insertion professionnelle et emploi des jeunes ; Accès à l’éducation de base et à l’apprentissage ; Accès à l’électricité ; Accès à l’eau potable ; Entretien Routier et désenclavement des territoires et les Filets sociaux et la lutte contre l’extrême pauvreté. Ce vaste programme, mis en place par l’Etat vise à renforcer la résilience économique et sociale des populations du Nord qui font face au spectre djihadiste. Il est doté d’un budget de 265 milliards Fcfa.

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Sa composante 1, c’est-à-dire l’insertion professionnelle et emploi des jeunes, est l’affaire du ministère de la Promotion de la jeunesse, de l’Insertion professionnelle et du Service civique, dirigé par le ministre Mamadou Touré. A son lancement en 2022, il s’agissait de toucher 22.912 bénéficiaires. A la fin 2022, ce sont finalement 23.892 personnes qui en ont bénéficié sur l’ensemble des dispositifs, soit un taux de réalisation de 104%. Pour la région du Tchologo uniquement, le programme a permis de prendre en charge 3696 personnes, sur un objectif initial de 3742 soit un taux de réalisation 99%. Ce qui est perceptible sur le développement de la région, dont les activités socioéconomiques connaissent un regain de dynamisme. Les business mis en place par les bénéficiaires des différents programmes d’aide contribuent, en effet, de façon considérable, à booster l’économie locale et à réduire le chômage.

Les populations de Ferké saluent les initiatives d’insertion  

En témoignent les nombreux témoignages recueillis sur place. A Ferkessédougou, chef-lieu de région, les succès se comptent par centaine. 100, c’est le nombre de personnes qui composent la Coopérative de production de beurre de karité, portée par l’Association des veuves et orphelins de Ferké, que nous avons rencontrée ce dimanche 2 juillet 2023. Elle a bénéficié d’un appui de 4.5 millions fcfa dans le cadre des MPE. Aujourd’hui, selon sa présidente Koné Wallo, les conditions de vie de ces femmes ont complètement changé. « Nous produisons le soumara café et le beurre de karité. Quand nous avons postulé pour les fonds, l’Agence emploi jeune nous a aidés avec les formations. Nous avons reçu 4.5 millions f que nous avons utilisés pour acquérir une presseuse. Avec cette machine, notre capacité de production est plus importante. Nous pouvons produire 5 tines (sacs) par jour et cela accroit notre rentabilité. A côté de cela, toutes les femmes ont bénéficié des Filets Sociaux, tout cela nous rend plus autonomes. Je salue toutes ces initiatives qui contribuent à sortir les populations vulnérables de la précarité », se félicite la présidente Koné.

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L’Association des cultivateurs de piment ‘’Wobè wognan’’, qui signifie « mettons-nous ensemble pour réussir », est aussi un exemple patent de réussite.  Ouattara Namogo est le président de ce groupement de 10 hommes et femmes. Située à la périphérie de la ville de Ferké, l’association occupe une parcelle de 7 hectares pour leur culture. « Nous avons choisi le piment, parce que ça marche bien. Nous sommes 10 membres, mais les jours de récolte, nous pouvons employer plus de 50 personnes. Quand on récolte, l’association peut s’en tirer avec 2 millions fcfa comme bénéfice », explique Ouattara Namogo. A l’en croire, ces bénéfices ont été rendus possibles grâce aux fonds (3 millions fcfa), qui ont été utilisés pour acheter un tricycle et une machine pour arroser le champ. « Aujourd’hui, nous faisons 200 sacs de piment à chaque récolte. Nous sommes devenus largement autonomes. Avec ce que fait le gouvernement, j’encourage les jeunes de la région à s’inscrire et surtout à travailler », exhorte-il.

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Devant la cour familiale au quartier Lanviara, Yeo Issa, a construit un poulailler depuis quelques années. Mais par manque de financement, l’enclot était vide, jusqu’à ce qu’il obtienne un financement AGR d’un million fcfa pour son projet d’élevage de poulets. « Il me manquait l’argent pour véritablement démarrer. Les moyens de l’Etat m’ont permis d’acheter les poussins. Ils sont à terme aujourd’hui, je vais entamer la vente. J’ai estimé mes gains à 800.000 f. Cela va me permettre d’être autonome. Je vais augmenter mon activité », ambitionne-t-il. « J’ai été étudiant, j’ai plusieurs fois tenté les concours, rien n’a marché. J’encourage les jeunes à s’investir dans l’entreprenariat. Aujourd’hui, je m’occupe de ma famille sans difficulté. C’est vrai que les financements ont tardé, mais il ne m’est jamais arrivé de penser à ce que les gens proposent pour intégrer les rangs des djihadistes. J’ai toujours cru en ce programme », confie ce père de 2 enfants. Sous la supervision du responsable de l’Agence emploi jeune de Ferké, Casimir Dje-Bi, et de ses équipes, ces milliers de projets mis en œuvre dans la ville portent leurs fruits. 

Koumbala, un exemple de réussite

Autre lieu, même réalité. Lundi 3 juillet 2023. A Koumbala, ville située à quelques 8 kilomètres de Ferké, les bénéficiaires savourent les succès de leurs activités. Yeo Kagbogo et son épouse comptent parmi les plus chanceux. Sa compagne et lui ont bénéficié de prêts AGR et THIMO. « J’ai eu un premier prêt de 400.000 fcfa, puis un deuxième de 500.000 fcfa. J’ai déjà tout remboursé. Je cultive du riz, du maïs et du coton. Ces fonds m’ont beaucoup aidé. J’ai acheté des bœufs de culture et j’ai pu cultiver une plus grande surface. Aujourd’hui, je suis un homme heureux, car mes revenus m’ont permis de réaliser beaucoup de choses. Je possède 6 bœufs. Je fais louer certains et ça me rapporte de l’argent. Les projets jeunes, c’est du concret, c’est la réalité. J’exhorte les jeunes encore hésitant à s’inscrire », exhorte Yeo Kagbogo.

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Autour de ses activités champêtres, gravite tout un système économique. Mme Yeo a pris part aux activités THIMO aux côtés de nombreuses femmes de la ville. Avec ses revenus, elle a pu agrandir son restaurant (vente d’attiéké-poisson). « J’ai utilisé l’argent pour renforcer mon commerce. Ça m’a permis de construire un petit restaurant. J’ai acheté des ustensiles. Aujourd’hui, j’arrive aussi à faire face à certaines  dépenses de la maison. Je ne suis plus assistée à 100%. Et si j’ai l’occasion, je vais souscrire à des prêts », témoigne-t-elle.

Pour renforcer la boutique qu’il tient à Koumbala, Ouattara Benoit Yves a bénéficié de 2 catégories de prêts. Félicité par la responsable de l’Agence Emploi jeune de la localité, Siata Ouattara, pour sa capacité à rembourser, l’homme a bénéficié d’un financement AGR (1 millions fcfa) et FASI (200.000fcfa). « J’ai fait les achats pour renforcer ma boutique. J’ai utilisé mes bénéfices pour acheter des bœufs que je mets en location chez les cultivateurs. J’ai 9 bœufs en tout. Je tiens également un kiosque à café. Tout cela a été possible grâce aux prêts que j’ai pris. Aujourd’hui, j’ai presque tout dans ma boutique, ça me rapporte plus. Je travaille avec 3 autres personnes qui sont rémunérées. Je suis père de 5 enfants, avec une femme à charge. Aujourd’hui, je n’ai aucun problème à subvenir à leur besoin. Je dis sincèrement merci au Président Alassane Ouattara et à l’Agence Emploi Jeunes pour tout ce qu’ils font », déclame-t-il, visiblement comblé.

Kafolo retrouve la joie de vivre

Deux après l’attaque de Kafolo, le calme est revenu. Mieux, les jeunes sont pour la plupart occupés à travailler. Le village martyr a bénéficié des nombreux dispositifs déployés. Siberi Prissy, comme de nombreuses femmes du village de Kafolo, a pris part aux THIMO. Les revenus qu’elle en a tirés lui ont permis de renforcer son salon de coiffure. « J’ai acheté des articles (mèches, perruques, faux cils, ongles…) et mon salon est de plus en plus très fréquenté. Grâce à mes revenus, j’arrive désormais à me prendre en charge toute seule », se satisfait-elle. « Je remercie le gouvernement pour ces prêts. Mon appel, c’est de permettre aux jeunes de Kafolo de bénéficier de montant plus importants », souhaite-elle.

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Ce mardi 4 juillet, Ouattara Lassina, ferronnier dans ledit village est particulièrement heureux. Après un long moment d’attente, l’homme a reçu la veille, son permis de conduire toutes catégories grâce aux dispositifs. « C’est un soulagement. Désormais, j’ai tous les papiers et je peux circuler avec ma moto tranquillement. Nous attendons la deuxième vague des bénéficiaires, pour avoir les prêts », renchérit-il. Ousmane Sall, lui, est pêcheur et père de 5 enfants. Secrétaire général et porte-parole des jeunes du village de Kafolo il a bénéficié d’un prêt AGR. Ce qui, avoue-t-il, lui a été d’une grande aide. « J’ai obtenu un financement pour mon activité de pêche, avec un montant de 500.000fcfa Cela m’a permis d’acheter des filets et une pirogue. Mon activité a été boostée, j’arrivais à couvrir toutes mes charges », se souvient-il. Sauf qu’aujourd’hui et malheureusement, l’attaque du village a plombé son activité. Car, déplore-il, « il nous est difficile d’aller pêcher, car nous craignons toujours d’être attaqués par les djihadistes ».

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Selon le porte-parole des jeunes, « une partie du fleuve (Comoé) se trouve au Burkina Faso. Aujourd’hui, impossible de s’y aventurer, c’est difficile. Les rares fois qu’on le fait, c’est juste pour nourrir la famille ». « Je remercie l’Etat pour tous les efforts, mais il reste encore de nombreux jeunes en attente d’insertion et de financement. Les programmes sont réels, je demande aux jeunes de Kafolo, d’être patients. Il ne faut pas céder aux chants des sirènes », lance-t-il. « Personne ici, ne veut faire le pas, vers le terrorisme. Nous sommes en sécurité au sein du village, Dieu merci. Mais en brousse, la question est plus complexe. Nous souhaitons que les choses entrent dans l’ordre », assure ce porte-parole des jeunes de Kafolo.

Outre ces dispositifs, Kafolo a bénéficié également d’infrastructures. Les ouvriers s’activent pour les travaux de finition du collège, notamment le plafonnage des salles. L’établissement, selon nos sources, devrait être disponible pour la rentrée 2023-2024. Le dispensaire, lui, est déjà opérationnel. Une seconde antenne de réseau téléphonique a été installée pour accroitre l’accès au réseau. S’agissant du bitumage de la route, les travaux ont démarré.  

La jeunesse de Kong en veut plus

A Kong, Traoré Daouda, a souscrit au programme AGR. Les 500.000 fcfa reçus, lui ont permis de renforcer son activité (kiosque à café). Depuis lors, ses bénéfices journaliers avoisinent les 6000 fcfa chaque soir. Il emploie 2 personnes dans son établissement. Père de famille, avec à sa charge 12 personnes, Traoré Daouda arrive aujourd’hui à s’en sortir. « Le prêt qui m’a été accordé m’a beaucoup aidé. Aujourd’hui, je m’en sors. J’arrive à mieux faire face aux besoins de la famille. J’emploie des gens que je paie régulièrement. La politique d’insertion des jeunes mise en place par le gouvernement, selon moi, marche bien. Aujourd’hui, les jeunes n’ont plus les regards ailleurs. J’exhorte l’Etat à en faire davantage pour ces millions de jeunes qui attendent encore  », exhorte-il.

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Comme lui, Kambiré Watel, a emprunté 400.000 fcfa dans le but de renforcer son commerce de barils. Ce prêt lui a permis d’avoir des ressources additionnelles, pour ouvrir un nouveau business (une buvette). « J’ai deux enfants, avec les ressources que j’ai aujourd’hui, je réponds aisément aux attentes de ma famille. C’est un véritable soulagement pour moi et j’encourage tous les jeunes à adhérer. C’est une réalité, il faut postuler. J’invite les jeunes oisifs à travailler, car seul le travail paie », encourage Kambiré Watel.

Pour renforcer le rendement de son marché situé à Kong, Palé Oho Tchowena, a obtenu un financement AGR de 300.000 fcfa.  « Depuis que j’ai renforcé mon activité, les choses vont pour le mieux. Mes bénéfices peuvent avoisiner les 100.000 fcfa. Je travaille avec deux filles que je paie. Aujourd’hui, avec mon activité, je ne suis plus très dépendante de mon homme, comme par le passé. Quand il est absent, je prends en charge les dépenses urgentes sans problème. C’est vraiment une fierté personnelle et je remercie l’Agence Emploi jeunes. L’Etat a vraiment pensé aux jeunes avec ces programmes », confie-t-elle, le visage joyeux.

 

Manuel Zako, envoyé spécial dans le Tchologo

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