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Reportage/Transport/Ils défient la mort et jouent avec la vie des passagers: Dans l’univers des adolescents conducteurs de ‘‘Saloni’’ de Yopougon

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Ici, tous les conducteurs de ces taxis-tricycles sont des adolescents à peine sortis de l’enfance.
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À Yopougon Agbayaté, les taxis-tricycles, communément appelés ‘’Saloni’’, sont les seuls moyens de transport en commun. Devant l’âge juvénile des conducteurs et des nombreuses dérives, les populations n’ont pas vraiment le choix, sinon de s’y accommoder. L’Avenir à fait le constat.  

Depuis 2021, ils ont interdiction formelle, selon une note de la mairie, de circuler à Yopougon, notamment sur les grands axes (Siporex – Palais de justice, de Sable – Koweït, BAE – Gesco...). Ils ne peuvent uniquement circuler que dans les sous-quartiers. Eux, ce sont les taxis-tricycles. On les appelle généralement «Saloni». Ils doivent leur nom au personnage personnel d’un téléfilm indien qui a eu beaucoup de succès en Côte d’Ivoire. A l’origine ce sont des moto tricycles aménagés pour transporter des passagers contrairement aux tricycles ordinaires exclusivement consacrés au transport de biens et de marchandises.

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À Abidjan et souvent bien au-delà, la majorité des endroits où ils ont autorisation de circuler, ces engins à trois roues sont abandonnés par les propriétaires, entre les mains des adolescents à peine tirés de l'enfance. Aux guidons de ces motos à trois roues, ces gamins se permettent tout, et absolument tout, malgré la présence à bord, de passagers qui pourraient être leur père et mère, au vu de leur âge. Ils ne se sentent aucunement dissuadés.  À Yopougon Agbayaté, les populations de ce nouveau quartier en plein essor, considèrent ce moyen de transport comme un mal pour un bien. Elles n'ont d'ailleurs pas tellement le choix.

Ici, c'est le seul moyen de déplacement en commun. C’est à prendre ou à laisser. À défaut, il faut pouvoir vraiment faire confiance à la force et l’endurance de ses pieds, et sa capacité à marcher sur une longue distance, très souvent, avec des bagages. Ce dimanche 5 mars 2023, l'affluence est particulière à la gare des taxis-tricycles d'Agbayaté. Les nombreuses personnes qui vont et viennent, en ce jour du Seigneur, constituent une clientèle plus que juteuse pour ces enfants taximen, présents en nombre en ces lieux. Il est 13h35, Abdoul Konaté a déjà effectué plus de tours que d'ordinaire.

Ici on roule à haut vol, Dieu fera le reste

Il ne faut pas plus de 10 minutes pour voir les 4 places de son véhicule toutes occupées. Au guidon de son engin, ce gamin d'à peine 17 ans, se sent comme poussé des ailles, au point de vouloir s'envoler à toute vitesse. Lui et ses clients avec. Sur cette voie non bitumée, parsemée de nids-de-poule et de flaques d'eau, Abdoul fonce à vive allure. À l'arrière, ce sont les passagers qui encaissent les effets des secousses. Ici, chaque seconde passée à bord des «Saloni» est comparable à des montagnes russes. Même pour les habitués. Si ce n'est pas la tête qui frappe contre le haut de l’habitacle, c'est tout le corps qui est soumis aux multiples cahots. Le leitmotiv est le même sur toutes les lèvres : le temps, c'est de l'argent. La recette la plus belle sera à celui qui aura fait le plus de tours. Alors, pas question de perdre une miette de temps. « Ces enfants sont vraiment incorrigibles. Chaque fois, on leur parle, on les exhorte à la bonne conduite, mais ils n'en font qu'à leur tête », peste Christophe Koua, un habitué de ces engins.

Alcool dans les nerfs, guidon aux mains...

Pour lui, « le problème, c'est qu'il n'y pas d'alternative pour l'instant. Sinon, monter dans ces taxis, c'est un vrai calvaire, surtout pour les femmes enceintes, les malades ou les personnes âgées. Surtout quand ils consomment leur boisson-là, ce n'est plus la peine de leur parler, ils n'entendent plus rien ». Yvonne Kouakou n’habite ce quartier que depuis quelques mois.

Elle se dit déjà très agacée par l’attitude de ces jeunes adolescents sur la route. « C’est un bon moyen de transport, mais ce sont ces enfants au guidon qui deviennent le problème. Ils n’ont pas l’âge d’avoir le permis de conduire et c’est à eux qu’on laisse ces engins. Malheureusement, c’est nous qui souffrons, parce qu’il n’y a pas d’alternative. C’est le seul moyen de transport ici », fulmine-t-elle. « Un moment, j’avais décidé de ne plus emprunter ces tricycles, parce que ça me rendait malade.

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Mais, quand on a des bagages, il est difficile de marcher. Ce qui m’énerve par-dessus tout, c’est quand ces enfants consomment des substances. Il faut qu’un regard soit porté par les autorités », exhorte la jeune dame. L'Alcool, ici, c'est l'une des plaies qui gangrènent l'activité. À en croire MK, un des responsables de la gare, la consommation d'alcool et souvent de stupéfiants, est à la base de ces comportements qui mettent en danger, l'intégrité physique des passagers. Une chose est sûre, quand on a déjà ingurgité plusieurs sachets de « calao », « 1-2-3 » et qu'on a ajouté à ce cocktail, quelques cannettes de Vody, il n'est pas rare pour un adolescent, de se sentir invincible. Et quand on leur pose la question, ces enfants assument pleinement. « Vieux père, ce sont des choses qu'on prend pour se mettre en ''tas'' (dans un état second) », avoue Abdoul, qui s'estime être un bon conducteur. Sans permis de conduire, ce sont ces gamins qui font la loi et dictent le tempo au milieu des véhicules personnels et autres, sur cet axe.

Des conducteurs à peine sortis de l’adolescence

Comme Abdoul, ils sont nombreux, dans pratiquement la même fourchette d'âge, à avoir fait de ce métier, leur gagne-pain quotidien. Et à leur suite, d'autres d'à peine 12, 13 où 14 ans, rêvent, et attendent impatiemment le moment où ils pourront enfin démarrer un de ces engins, conduire des passagers et surtout gagner des sous. Si la plupart se considèrent toujours comme des élèves, on est en droit de se demander comment leurs parents veillent sur eux. « Je suis élève en classe de 4e. Je viens ici quand je n'ai pas cours», nous apprend Abdoul. Si, ce qu’il dit est avéré, alors où trouve-t-il donc le temps d'étudier ? MK lui, croit en savoir plus: « Il raconte n'importe quoi. Il ne va plus à l'école, il est tout le temps à la gare.

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Sinon, on ne confie pas un taxi à un élève». Si ces adolescents sont prêts à sacrifier leur vie scolaire, c’est à cause des sous qu’ils gagnent au travers de cette activité. Selon Abdoul, la recette journalière est fixée à 7000 Fcfa. « Les jours où ça marche bien, en plus de la recette et du plein de carburant que je fais pour le véhicule, je peux me retrouver avec un gain personnel de 5000 f. Quand ça ne marche pas trop, c’est 3000 f », nous susurre-t-il. C’est donc cette manne financière qui attire ces gamins et leur fait prendre toutes sortes de risques, sans se soucier du confort de leurs passagers. Que peuvent bien faire ces adolescents avec tout cet argent. « J’utilise cet argent pour subvenir à mes besoins. Souvent, j’aide aussi mes parents », répond notre ami Abdoul.

Manuel Zako

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