Après la valse de putschs qui ont secoué le Mali, le Burkina Faso et le Niger, les nouvelles autorités de ces pays avaient affiché leur intention de quitter la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO). Ceci a été acté le 28 janvier 2024, après la création de l’Alliance des États du Sahel, le 16 septembre 2023, qui devrait remplacer la CEDEAO. Mais si pour les autorités de ces pays, la sortie de la CEDEAO est actée, le protocole de l’organisation sous-régionale ne pourra faire suite à cette requête qu’une année après, c’est-à-dire le 28 janvier 2025.
À quelques jours de cette échéance, la vie quotidienne des habitants de Niamey oscille entre espoir de souveraineté retrouvée et crainte d'un isolement préjudiciable. Dans les rues de Niamey, l'atmosphère est paisible. Le sable fin, porté par l’harmattan, s’infiltre partout, et, à chaque coin de rue, dans les marchés animés et les cafés bondés, les conversations tournent inlassablement autour de cette décision historique et de ses conséquences encore floues. Les visages, parfois masqués pour se protéger du vent poussiéreux, laissent transparaître à la fois, la fierté nationale et l'angoisse de l'avenir.
Cette période charnière, accentuée par les rigueurs de l’harmattan, reflète la situation même du pays : une lutte où l’espoir d’une souveraineté nouvelle se heurte à la réalité d’incertitudes.
Ferveur nationaliste en plein essor
Dans les rues du centre-ville de Niamey, les scènes de mobilisation se multiplient. De jeunes patriotes, arborant fièrement les drapeaux du Niger, du Mali, du Burkina Faso et de la Russie flottant au vent, sillonnent les boulevards, scandant leur soutien à l’Alliance des États du sahel (AES). Ces manifestations, loin d’être de simples démonstrations sporadiques, incarnent une volonté populaire de rupture avec une CEDEAO perçue par beaucoup comme partiale et inefficace.
« Au départ, les populations ressentaient une méfiance envers le régime militaire après le coup d’État, mais cette réticence s’est transformée en soutien actif aux autorités de transition, dirigées par le général Tiani. Cela est dû à la menace d’intervention militaire brandie par la CEDEAO », explique Diori Abouba. Ce revirement de l’opinion publique témoigne d’une solidarité nationale renforcée, face à ce qui est vu comme une pression extérieure injuste.
Au cœur de la commune II, les traditionnels « grins » — ces cercles de jeunes réunis autour d’un thé — jouent toujours leur rôle de vigie sociale. « Pendant les jours où l’on redoutait une intervention militaire pour rétablir Mohamed Bazoum, ces jeunes étaient en première ligne », confie un habitant. Aujourd’hui encore, ces rassemblements demeurent un symbole de résistance et de cohésion communautaire.
Chez une partie de la jeunesse nigérienne, le sentiment nationaliste prend le dessus. Abdoulaye G., étudiant en sciences politiques à l’Université de Niamey, sur l’autre rive du fleuve Niger, voit dans le retrait de la CEDEAO, une affirmation nécessaire de souveraineté. « Nous devons prouver que nous pouvons nous débrouiller seuls. La CEDEAO n’a pas toujours été équitable envers nous. Une alliance entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso pourrait nous rendre plus forts », soutient-il, en sa qualité de membre de l’Union des scolaires Nigériens (Usn), comparable à l’ex-FESCI en Côte d’Ivoire.
Cette volonté de rupture traduit également un rejet croissant des interventions étrangères, jugées inefficaces ou biaisées, notamment dans la lutte contre le terrorisme. La création de l’AES est perçue par beaucoup comme une réponse adaptée aux défis sécuritaires communs que rencontrent ces trois pays sahéliens, une alliance prometteuse pour une région en quête de stabilité et d’indépendance réelles.
Coût économique lourd à supporter
Mais derrière cette ferveur nationaliste, le quotidien des Nigériens demeure difficile. Bio A., gérant d’un hôtel à Niamey, illustre bien ce dilemme. Originaire du Niger, mais né à Daoukro en Côte d’Ivoire, avant de revenir s’installer dans son pays natal, il exprime son ambivalence : « Je suis fier que mon pays défende son indépendance, mais économiquement, nous en payons le prix ». Depuis le départ des expatriés, son établissement, autrefois prospère, est presque désert, frappé de plein fouet par les conséquences économiques des sanctions et des tensions régionales.
Le constat est le même pour les entrepreneurs locaux. « Mes voitures de luxe et mes blindés ne trouvent plus de preneurs. Les Allemands étaient mes plus gros clients », déplore un jeune chef d’entreprise, spécialisé dans la location de véhicules haut de gamme. L’économie de Niamey, déjà fragilisée par les sanctions de la CEDEAO, peine à se relever face à la perte de ces partenaires commerciaux étrangers.
Cependant, des voix plus prudentes s’élèvent pour tempérer l’enthousiasme général. A.K., politologue nigérien, souligne que « le retrait de la CEDEAO pourrait isoler le Niger sur la scène internationale et fragiliser des accords régionaux essentiels. » Il rappelle que, malgré ses défauts, la CEDEAO a longtemps été un pilier de l’intégration économique et de la stabilité régionales. « Cette organisation a favorisé les échanges commerciaux et une coopération multilatérale qui ne pourront pas être facilement remplacés », insiste-t-il.
Ainsi, tandis que le pays aspire à une souveraineté retrouvée, le défi sera de concilier fierté nationale et réalité économique, dans un contexte où l’avenir reste incertain.
Futur incertain
Entre ces deux options, Niamey oscille. Les drapeaux flottants et les chants patriotiques traduisent une soif de renouveau, mais les marchés, les écoles et les cafés révèlent aussi une inquiétude profonde. Mariam, commerçante au grand marché, s’interroge sur l’avenir : « Si la libre circulation des biens et des marchandises n’est plus une réalité pour nous, ressortissants de l’AES, que deviendront nos affaires ? »
Pour beaucoup, la CEDEAO représente bien plus qu’un simple sigle. C’est un réseau vital d’échanges commerciaux et de mobilité. Le retrait pourrait bouleverser la vie quotidienne de millions de personnes. Un artisan et vendeur de tissus, installé près du Musée, partage également ses préoccupations : « Nous dépendons beaucoup des produits qui viennent du Nigeria et du Bénin. Si les frontières se ferment, notre business prendra un coup ».
Le Niger, enclavé, repose largement sur ses voisins pour ses échanges commerciaux. Un isolement accru pourrait aggraver une situation économique déjà fragile. Pourtant, pour les jeunes patriotes, ce sacrifice est le prix à payer pour une liberté retrouvée. Leur détermination semble inébranlable, portée par l’espoir d’un avenir souverain et affranchi des influences extérieures.
Ainsi, dans les rues de Niamey, l’avenir se dessine sous les couleurs de l’AES, entre espoir de renouveau et doute sur le coût de cette indépendance. Dans les ruelles de Koubri, de Plateau et de la Francophonie, l’avenir reste incertain, façonné par des décisions prises loin des marchés animés et des écoles bondées, mais dont les répercussions toucheront profondément chaque habitant.
Olivier Yeo, envoyé spécial au Niger