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Reportage/ Victimes de violences conjugales: Des femmes jetées à la rue racontent leur galère

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Séance d'écoute au cours de laquelle les jeunes femmes racontent des violences vécues ou dont elles ont été témoins. (Photo : AN)
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Sur les 2.744 cas de Violences Basées sur le Genre(VBG), rapportés en 2018, 91,91% ont été commis sur les personnes de sexe féminin dont 37,75% sont des filles, souligne le Rapport d’analyse statistique sur les VBG en Côte d’Ivoire, réalisé par le ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant. Pas étonnant donc que nombre de jeunes femmes victimes de VBG échouent au Centre d’hébergement créé par l’ONG SOS Enfance Jeunesse Africaine(EJA), situé à Koumassi.

Visage rayonnant, physique imposant, avec ses rondeurs d’awoulaba, Awa Cissé est plutôt d’apparence assez soignée ce vendredi 14 juillet 2023, quand nous la rencontrons au Centre d’hébergement EJA, situé à Koumassi, dans les environs de l’EPP Kankankoura. Rien dans son apparence ne laisse deviner le piteux état physique dans lequel elle était au moment où elle arrivait dans ce Centre d’hébergement. Encore moins les déchirures intérieures qu’elle y a traînées. Cela fait maintenant trois mois qu’elle y a été recueillie, flanquée de son fils, Hamed, âgé d’un an cinq mois.

Poussées dans la rue

Âgées de 31 ans, Awa Cissé était une âme fêlée au moment où elle arrivait dans ce Centre. Venue seule de son Mali natal, elle vivait de son petit commerce à Abidjan jusqu’à ce qu’elle fasse la connaissance d’un jeune Ivoirien avec qui elle finit par se marier traditionnellement et se mettre en ménage. Tout baignait pendant cinq ans dans leur domicile à Marcory. Mais, quelque temps après, les choses vont se gâter. « Mon mari a quitté la maison pour aller prendre une autre femme. Je suis musulmane et lui chrétien. Sa famille ne voulant pas qu’il épouse une musulmane, il m’a abandonnée un matin dans la maison. J’étais enceinte quand il est parti. Je me suis retrouvée seule et sans argent. Entre-temps, j’ai accouché d’un petit garçon. Ne parvenant plus à payer le loyer, le propriétaire a fini par nous demander de libérer la maison. Voilà comment je me suis retrouvée dans la rue », raconte-t-elle. « J’errais comme une âme en peine, avec mon fils, qui a fini par tomber malade. C’est ainsi que je me suis rendue dans une cour pour aller demander de l’eau chaude pour le laver. Après m’avoir donné de l’eau et la nourriture, ils m’ont accompagnée dans un centre social, qui m’a emmenée ici ».

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Revenant sur les douleurs subies du fait de l’attitude de son ex-mari, elle bredouille, la voix étreinte par l’émotion : « Il avait entamé une autre relation à mon insu et avait changé. C’est le même jour où j’ai su que j’ai accouché parce  que j’avais tellement mal ». C’est avec une certaine gêne qu’elle revient sur les durs moments vécus dans la rue. « Moralement, ce n’était pas facile ; je pleurais souvent parce que je ne pouvais pas imaginer que je pouvais me retrouver dans cette situation un jour. A certains moments, je pensais à me suicider. Même quand je suis arrivée ici, je n’avais plus envie de vivre mais pour mon fils, j’ai décidé de tenir le coup », relate-t-elle.

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Pensionnaire du Centre d’hébergement EJA elle aussi, depuis huit mois, Tété Michelle Djédjé, 27 ans, est également passée par des moments douloureux. Vivant en couple avec un jeune musulman avec qui elle a eu des jumeaux, elle a fini par se séparer de lui sous la pression de ses parents, opposés à ce qu’il épouse une non-musulmane. Quelque temps après, elle s’est mise en ménage avec un autre homme mais là encore, la relation n’a pas fait long feu. « J’ai été malmenée par une personne que j’aimais beaucoup : mon cousin avec qui j’étais mariée coutumièrement depuis trois ans. Suite à une vérité que je lui ai révélée à propos de ma santé, il n’a pas accepté la situation. Il a jugé bon de me fuir. A ce moment-là, je ne savais même pas que j’étais enceinte de lui. Deux jours après, je me suis retrouvée à l’hôpital et c’est là-bas que j’ai su que j’étais enceinte », raconte-elle. Poursuivant, elle renchérit : « Quand je l’ai appelé plus tard pour l’informer que je suis enceinte, il m’a dit qu’il n’en avait rien à foutre et qu’il voulait refaire sa vie ailleurs ».

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Répudiée par son mari, elle ne trouvera pas consolation auprès des siens. « Quand j’ai expliqué la situation à mes parents, eux aussi m’ont rejetée donc je n’avais plus d’espoir. Le choc était tellement fort que je n’ai pas pu supporter. J’ai même tenté de me suicider », se souvient-elle. S’ensuivra alors une vie d’errance dans la rue. « A l’époque, j’étais couturière mais mon magasin a été détruit quand la mairie a cassé tous les magasins qui étaient en bordure des routes. N’ayant plus d’activité, plus de mari et rejetée par ma famille, je me suis retrouvée dans la rue avec une grossesse. J’y ai beaucoup galéré », se rappelle Tété Michelle. Qui va finalement se retrouver au Centre d’hébergement EJA. « J’ai finalement donné naissance dans la rue à des jumeaux avant qu’on ne me conduise à l’hôpital. C’est de l’hôpital que je me suis retrouvée ici quatre jours plus tard, avec mes jumeaux, qui ont aujourd’hui huit mois », nous confie-elle.

Le Centre EJA, un refuge salvateur

Elle et Awa Cissé ont fini donc par trouver refuge dans ce Centre où elles cohabitent aujourd’hui avec une dizaine d’autres jeunes femmes. Créé par l’ONG SOS EJA, fondée par Nicolas Vako en juillet 2022 et fonctionnel depuis janvier 2023, ce Centre n’accueille que des femmes victimes de Violences basées sur le genre et qui de ce fait se retrouvent dans la rue, livrées à elles-mêmes. Selon son PCA, Guéi Ben Nesserou, il n’accueille que les filles qui leur sont référées par un centre social. Elles y séjournent pendant trois mois, renouvelables une fois. Sous certaines conditions. Les pensionnaires sont, en effet, soumises à un règlement intérieur. Si elles sont autorisées à sortir, elles ne peuvent en revanche rentrer après 20h. Il y est, par ailleurs, interdit de fumer, de consommer de l’alcool ou tout autre produit illicite, d’y introduire une arme blanche ou à feu ou de se livrer à des actes de violence sur les encadreurs et les autres pensionnaires. « Nous avons dû renvoyer une pensionnaire pour non-respect répétitif du règlement intérieur. Elle a violenté une autre pensionnaire en usant d’une arme blanche. Le licenciement s’est fait après une procédure qui part d’une saisine du centre social qui nous l’a référée », explique Jean Louis Koffi, un bénévole, qui fait office d’intendant du Centre.

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Logées, nourries et soignées gracieusement, les femmes accueillies au Centre EJA se disent quelque peu soulagées du tourment dans lequel elles étaient empêtrées avant d’y arriver, parfois accompagnées d’enfants. « Quand j’arrivais ici, j’étais dans un piteux état. Je portais les mêmes vêtements sur une semaine. Mais aujourd’hui, vous pouvez le constater vous-même, je me porte mieux. Le Centre nous a beaucoup aidés, moi et mon enfant. Je leur en suis infiniment reconnaissante », lâche Awa Cissé. « Je suis satisfaite des conditions de séjour ici. Je ne paie ni eau ni courant, ni nourriture. Je leur dis merci», déclare pour sa part Tété Michelle. C’est qu’elles y bénéficient d’une assistance qui leur permet de reprendre goût à la vie à leur sortie. « Elles ont droit à une prise en charge psychologique, prennent trois repas par jour. Car, au moment où elles arrivent ici, nous constatons après les avoir écoutées, qu’elles sont confrontées à un problème qui est leur dénominateur commun : la violence basée sur le genre. Elles sont souvent dans un état post-traumatique. Le psychologue a pour rôle de restaurer leur stabilité mentale », ajoute Jean-Louis Koffi.

En l’absence d’un psychologue dédié, c’est le médecin Tiédé qui assure une psychothérapie de soutien. « J’apporte un soutien moral et médical en passant là-bas de temps à autre pour des consultations car le Centre ne dispose pas d’infirmerie en tant que telle. Notre souhait, c’est d’avoir un Centre médical pour leur administrer des soins in situ », nous explique-t-il.

Assane Niada

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