À cette époque, c'est le ministère de l'Intérieur qui proclamait les résultats. Il y avait les bulletins multiples et l'urne totalement opaque, qui facilitaient la grande corruption et favorisaient la tricherie. C'est l'opposition, conduite par la gauche, et plus tard, par le Front républicain (coalition entre la gauche et le Rassemblement des républicains), qui a pu arracher, de haute lutte, le vote à 18 ans, l'urne transparente et la Commission électorale indépendante (CEI). Le PDCI en a d'ailleurs, profité en 2010, pendant la présidentielle et toutes les élections qui en ont découlé. Quand le PDCI partageait le pouvoir et ses privilèges, dans le cadre du RHDP, de 2011 jusqu'à la scission en 2018, la CEI était irréprochable. Il a suffi que l'ancien parti unique, après la rupture, s'installe dans l'opposition, pour qu'il constate que cette institution n'est plus crédible. Un ami me disait qu'en Côte d’Ivoire, tout est beau jusqu'à ce que l'on se retrouve du mauvais côté, sous-entendu dans l'opposition.
Le triste passé de l’ivoirité
Les cris d'orfraie du PDCI sont donc normaux. Mais ce qui choque, c'est la campagne de dénigrement systématique orchestrée contre cette CEI qu'elle a pourtant dirigée, à travers deux de ses éminents cadres à l'époque : Robert Beugré Mambé, actuel gouverneur du District d'Abidjan, et Youssouf Bakayoko. Aujourd'hui, le PDCI a gommé d'un trait, ce passé pourtant, pas si lointain. La posture du PDCI est d'autant plus hypocrite, qu'elle incite à lui rafraichir la mémoire, par un petit rappel historique. Quand le parti de Konan Bédié affirme que la CEI est une menace pour la paix sociale, il feint d'oublier qu'il est lui-même l'artisan d'une succession de graves crises politiques qui ont failli coûter à la Côte d'Ivoire, son effondrement.
Notre histoire commune nous enseigne que le PDCI, à la mort du père de la Nation, Félix Houphouët-Boigny, son successeur, le président Bédié et son régime ont conçu, mis en œuvre et entretenu, de 1993 à 1999, une abjecte politique de discrimination entre les citoyens. Certains furent baptisés d’"Ivoiriens multiséculaires" tandis que d'autres étaient qualifiés de "citoyens de circonstance". Ce concept pompeusement appelé "Ivoirité", né des fantasmes mal contenus d'un président haineux et revanchard, sera à l'origine de la grave fracture sociale qui affectera durablement, l'unité nationale. Érigé presqu’en doctrine d'État, il faisait de tout citoyen originaire du Nord ou considéré comme tel, un Ivoirien à la nationalité douteuse. Obtenir des papiers d'identité, pour cette catégorie, relevait d'une gageure, un véritable parcours du combattant. Bédié écrira même un livre à cet effet : "Les chemins de ma vie". Certains cadres du PDCI, dans un excès de zèle à l'époque, iront jusqu'à traiter les populations du septentrion ivoirien, d'étrangers. Les abus qui ont découlé de ce concept, ont conduit à la partition du pays, au début des années 2000, puis à la guerre post-électorale de 2010-2011.
Le vrai souci du PDCI
N'ayant tiré aucune leçon de cette tragédie ivoirienne, le PDCI de Bédié a pris la tête d'un Conseil national de transition en 2020, à la faveur de la présidentielle, pour tenter de renverser le pouvoir, avec à la clé, plusieurs dizaines de morts, d'importants dégâts matériels dans plusieurs localités. Quand on a été ce tristement célèbre tragédien de l'histoire, on doit pouvoir tirer leçon de son théâtre au goût amer et, surtout, savoir quitter la scène. Que non ? Que si !
Monsieur Bédié et ses "suiveurs" doivent comprendre qu'une élection se gagne essentiellement sur le terrain. N'est-ce pas que c'est avec cette CEI que le PDCI a pu remporter de nombreux sièges. Aux dernières municipales et législatives, l'opposition a conquis plusieurs grandes communes à Abidjan : Plateau, Cocody, Marcory, Port-Bouët, Yopougon. Même EDS, devenu plus tard PPA-CI, malgré son absence de la CEI, a gagné à Yopougon, une commune pourtant dirigée par le RHDP après 2010. Ce n'est donc pas la CEI, le problème.
Les pleurs du PDCI trouvent leurs justifications ailleurs. Le parti de Bédié est en chute libre et ne fait donc plus rêver. Chaque élection consacre un peu plus, sa régression. Et la peur de se retrouver enfermé dans une cabine téléphonique, pour parler comme feu Laurent Dona Fologo, lui fait perdre le sommeil. Il faut déjà préparer les esprits à la révolte, en faisant passer des défaites pour des fraudes organisées contre lui. Voilà la vérité. Et les cadres du PDCI les plus virulents, sont ceux qui sont menacés dans leurs régions d'origine par la montée en puissance, du RHDP. Le PDCI gagnerait à utiliser son énergie pour développer une stratégie de reconquête des bastions perdus. J'ai appris qu'il veut reconquérir le Nord. Voilà une initiative louable. Ce n'est pas en essayant de casser le thermomètre, qu'il fera chuter la température.
Yacouba Doumbia