Économie

Enquête / Tracasserie, agression, incivisme routier… Révélations sur l’activité de livreurs à moto

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Les livreurs à moto sont aperçus dans toutes les rues d'Abidjan. (Photo VK)
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L’activité de livreur à moto est de plus en plus développée avec l’essor du e-commerce. Mais le secteur reste confronté à bien des difficultés dont les agressions et autres pénibles conditions dans lesquelles travaillent ces livreurs. Incursion dans cet univers à mille tiroirs.

 

  • Ce qu’ils subissent en cas de perte de colis
  • Attention aux voleurs qui ont infiltré le secteur !

 Les livreurs à moto doivent en grande partie, leur salut au développement de l’Internet. L’activité a connu un déclic avec la crise sanitaire mondiale de COVID-19 qui a davantage, révolutionné le commerce de la vente en ligne.

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Ils ont été fortement sollicités par les populations pendant la période de « restriction » sanitaire, pour être la courroie de transmission entre les vendeurs et les clients. Depuis lors, le métier connaît un succès fou au point de s’imposer dans le quotidien des habitants du grand Abidjan et même des villes de l’intérieur.

Nombre d’entre les livreurs ont intégré le milieu d’abord, pour arrondir leurs fins du mois.  C’est le cas de Michel Terra, par le passé, étudiant en informatique et sciences du numérique, première promotion de l’université virtuelle de Côte d’Ivoire.

« En 2018, nous étions de jeunes étudiants, nous nous sommes connus à l’université. Nous avons décidé, à nos heures perdues, de nous mettre en groupe, histoire de créer des activités qui pouvaient nous permettre d’avoir un peu de sous, de sorte à ne pas dépendre des parents. Nous avons commencé par tout ce qui était vente en ligne, y compris la nourriture. C’est grâce à Internet que nous avons commencé le travail et ça nous a beaucoup servi. Nous avons eu recours aux livreurs. Après, nous nous sommes engagés nous-mêmes sur le terrain pour faire la livraison de nos produits. Par la suite, nous avons acheté des motos, créé notre service de livraison et recruté des personnes pour travailler avec nous », relate-t-il.

Les articles les plus prisés

Dans la structure de Michel Terra, le travail commence à partir de 7 h du matin par un rassemblement de tous les livreurs, avant qu’ils ne soient déployés dans différentes zones. La journée s’achève entre 16 h et 17 h. En général, c’est en moyenne plus de 10 livraisons qui sont effectuées au quotidien par son entreprise. Selon lui, tous les domaines d’activité de la vente en ligne sont prisés, mais les articles concernant les femmes, constituent l’attraction des clients.

« Nous vendons presque tout. Mais ce sont les articles du secteur de l’imprimerie et celui des femmes qui sortent le plus souvent », fait-il savoir.

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Hormis les articles cités, M. Terra soutient que son entreprise est souvent sollicitée par des organisations pour les dépôts de courriers d’invitation, des demandes d’aide dans des entreprises, etc., ainsi que des expéditions. Et parfois, des sommes d’argent « quand elles sont accompagnées de colis ».

Un autre employeur de livreurs à moto, une dame dont nous taisons volontairement le nom, a confirmé la ruée vers les articles pour femmes, tout en admettant que d’autres articles sont également prisés.  

« Chez nous, tout sort, les vêtements de femmes, les produits cosmétiques, les chaussures… il n’y a pas de colis spécifiques », précise-t-elle.

Un travail qui nourrit son homme

La livraison à moto est un secteur d’activité économique en plein essor et les jeunes qui s’y aventurent, gagnent honnêtement leur vie.

« C’est un métier que tout être humain peut faire pour nourrir sa famille. La preuve, parmi nos livreurs, il y a des pères de famille qui, grâce à ce métier, s’en sortent aujourd’hui. C’est le cas d’un collaborateur à qui on avait donné, au départ, une moto, qu’il utilisait pour livrer les colis. Mais cette année, avec les revenus qu’il a obtenus, il a lui-même acheté sa moto et comme ça, les pourcentages changent », rapporte un autre acteur du secteur.

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Selon lui, des barèmes sont établis par des employeurs, en fonction de certains paramètres. Quand le travailleur dispose de sa propre moto, il bénéficie de 70% de la somme recueillie après ses prestations et l’entreprise empoche les 30%. Par contre, quand il utilise la moto de la structure, il ne perçoit que 30% et le reste, c’est-à-dire les 70%, est reversé à l’employeur. Selon le même interlocuteur, ces pourcentages s’appliquent aux frais de transport payés à la livraison par les clients. Ils varient et sont de l’ordre de 1000 F CFA pour les communes de Cocody et Plateau ; 1500 FCFA pour Koumassi, Marcory, Port- Bouët, Yopougon, Adjamé… et 2000 FCFA pour les banlieues telles que Grand-Bassam, Anyama, Bingerville…

« Grâce à ce métier, des livreurs ont pris leur indépendance. Ils ne sont plus en famille, ils louent leur propre maison. Ils ont des salaires qui vont jusqu’à 300 000 F CFA avec des primes mensuelles. Et chaque jour, en fonction de la livraison, il y a des bonus. Ce ne sont pas des salaires fixes en tant que tels. En général, ce sont les livreurs indépendants qui se taillent la part du lion. Ils peuvent se faire entre 15 000 et 20 000 F CFA par jour.

Pour les livreurs qui travaillent en société, le salaire va de 90 000 F CFA à 150 000 F CFA pour ceux qui ont le permis. Ceux qui ne l’ont pas, on les paie de 60 à 75 000 F CFA, une partie du salaire étant retenue pour l’aider à avoir son permis. La paie dépend des performances : il y a des gens qui sont performants et arrivent à trouver les raccourcis qu’il faut pour gagner en temps. Quand on sent qu’ils se démarquent des autres, on n’hésite pas à les payer à 150 000 FCFA », explique dame AK. Selon elle, ce business était très rentable. Ce qui lui a permis de pouvoir amortir son investissement au bout de 06 mois.

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« L’achat des motos, les documents, l’achat des sacs… en quelque sorte, tout ce que j’ai dû investir pour mettre mon activité en place. C’est maintenant que je rentre dans mes fonds. Personnellement, je suis organisé parce que j’ai mis en place, un système qui me permet de suivre mes activités. Le soir, on me fait mes points. J’arrive à suivre toutes mes livraisons », se réjouit-elle.

L’envers du décor

Tout n’est pas rose pour qui s’aventure dans ce business de livreur : les accidents de la route, les agressions, les clients difficiles, le racket et les détournements d’argent y sont légion. Tous les livreurs à moto sont confrontés aux mêmes difficultés, qu’ils égrènent dès que vous les abordez, comme s’ils s’étaient passé le mot. Il arrive qu’ils soient victimes d’accident de la route. Il ne se passe de jour sans qu’on enregistre de livreurs à moto blessés et quelquefois, tués sur les artères d’Abidjan. Par ailleurs, certains d’entre eux sont victimes d’agressions, suivies de vol de leurs engins. « Les vols de motos nous amènent à surseoir à nos activités à une certaine heure de la journée. Quand il est 16 h, on arrête les activités. Nous sommes victimes d’agresseurs qui nous tendent des embuscades pour arracher les colis, l’argent et les motos. Nous sommes également exposés aux accidents de la circulation. Les chauffeurs de taxi nous rendent la vie difficile, parce qu’ils nous voient comme des concurrents », confie un livreur.

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Et un autre de se plaindre du comportement de certains clients difficiles et des tracasseries routières. « Dans le cas de la livraison de vêtements par exemple, le client peut avoir demandé une taille L au vendeur et le vendeur nous fait livrer une taille XL. Généralement, en pareille situation, c’est le vendeur qui paie la livraison. Mais il y a des clients qui sont cool et acceptent de payer la livraison et demandent au livreur de revenir avec la bonne taille. La difficulté vient souvent des femmes. Nous venons avec plusieurs robes de différentes tailles et nous sommes obligés d’attendre qu’elles finissent d’essayer tous les habits. Ça fait perdre du temps, puisqu’il y a d’autres livraisons à faire. Certaines personnes attendent l’arrivée du livreur avant de chercher la monnaie. D’autres refusent de payer la somme indiquée pour la livraison, parce qu’elles estiment qu’elles ne se sont pas entendues sur le prix de la marchandise avec le vendeur », explique-t-il. 

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Concernant leurs déboires avec les agents des Forces de l’ordre, notamment les policiers, l’un des responsables du mouvement des sociétés de livraisons de Côte d’Ivoire (MSLCI), une sorte de faitière, nous fait savoir qu’ils sont liés à la carte grise.  « On a eu un problème il y a trois mois, c’était vraiment difficile de travailler avec les histoires de carte grise. Il n’y avait pas de décret qui disait clairement si les motos (à moteur) 50 avaient besoin de cartes grises. Nous avons des soucis, parce que nous n’avons pas un montant fixe. Quand tu vas à la SICTA, on te fait sortir un document de 75 000 CFA, mais au bout du compte, tu te retrouves avec 120 000 F CFA. On propose qu’on nous donne un prix fixe pour faciliter l’activité des jeunes entrepreneurs que nous sommes. C’est la seule chose qu’on demande à l’État. Cela contraint beaucoup à rester dans l’informel », déplore cet      acteur du secteur.

Des voleurs infiltrés dans le secteur

Les livreurs à moto ne sont exempts de reproches. En leur sein, se trouvent des voleurs qui se sont infiltrés dans le milieu. Les cas de plaintes sont légion. En témoigne, la situation qu’a vécue un proche de cette patronne d’entreprise de livraison. « Je reviens du tribunal parce qu’un de mes collaborateurs avait engagé un livreur, il y a à peine deux semaines et celui-ci a disparu avec tout. Or, dans l’argent qu’on recueille, il y a la part du fournisseur. Nous ne sommes que des intermédiaires entre le fournisseur et celui qui réceptionne le colis. Donc, quand le livreur remet le colis, nous reversons la part du fournisseur. Ce livreur a disparu avec la somme de 435 000 FCFA et c’est le 08 septembre 2022 qu’on a pu mettre la main sur lui, grâce à l’un de ses frères qui nous a dit où il était.

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Et, avec l’aide de la police, nous l’avons attrapé. La victime a finalement accepté de retirer sa plainte pour que l’affaire puisse être réglée à l’amiable. Il y a plein de personnes de mauvaise foi, voire des voleurs qui se sont introduits dans le milieu. Ces personnes s’introduisent dans le système en faisant croire qu’elles cherchent du boulot et quand elles viennent, vous leur remettez votre moto, le client leur remet de l’argent et elles disparaissent avec. On prie pour tomber sur des gens de bonne foi », rapporte cette responsable d’entreprise, sous couvert d’anonymat. 

Pas de couverture sociale

Dans l’univers des livreurs à moto, la couverture sociale est une denrée rare. Seuls quelques rares employeurs s’en soucient. Généralement, les livreurs ne sont pas couverts par une assurance maladie. Certains employeurs ne prennent l’assurance que pour les engins. « L’assurance couvre le livreur et l’engin, mais généralement, certains ne prennent que les assurances pour les engins. En cas d’accident, pour les soins du livreur et en cas de décès, il y a également un montant qui est versé à l’ayant droit pour les condoléances. Sinon, les pertes de colis sont remboursées soit par l’employeur avec le livreur, soit par le livreur seul », nous confie une source.

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Ses propos sont confirmés par un autre employeur de livreurs à moto : « En cas de perte de marchandises, l’assurance ne les couvre pas. Cela est à leur charge, ils remboursent le colis du client ». On le voit, le métier de livreur à moto n’est pas de tout repos. Il comporte beaucoup de risques bien qu’il reste, pour bien des jeunes gens, un moyen de s’en sortir dans la vie.  

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