
Vous êtes connu pour votre engagement à la promotion de la paix. Ce qui vous a d'ailleurs valu votre distinction du Prix national d'excellence de la paix. Quelles sont vos motivations ?
Il y a deux sources de motivation. La première source est religieuse. Je suis chrétien catholique et le Seigneur Jésus-Christ nous a toujours recommandé la paix. La paix est une recommandation divine, spirituelle et religieuse. Pour moi, la paix est le sens de la vie. Pourquoi ne pas donc m’impliquer dans la promotion de la paix, parce que sans paix, il n’y a pas de développement. Et pour moi, tout le monde doit s’engager dans la promotion de la paix. La deuxième motivation est l’appel de feu le Président Félix Houphouët-Boigny. Il affirmait à la télévision nationale que chaque Ivoirien doit s’interroger s’il a fait et bien fait ce qu’il doit faire pour son pays. Pour répondre de façon affirmative à cette question, il fallait que je sois un acteur de paix, parce que pour moi, c’est la meilleure façon de contribuer à l’édification d’une nation de paix, d’une société pacifique.
Il y a déjà un ministère chargé de la cohésion sociale, sans compter les religions chrétienne et musulmane qui promeuvent régulièrement la paix. N'est-ce pas suffisant pour vous ?
Tout le monde doit contribuer à la promotion de la paix. Je salue le président de la République Alassane Ouattara, pour avoir eu cette idée ingénieuse de créer un tel ministère, je le félicite. Je félicite également tous les religieux qui parlent de paix, parce que la paix est la base de la religion. Ce n’est pas insuffisant, mais tout le monde doit contribuer à l’édification d’une paix durable. La paix a toujours été menacée dès le premier jour de la création de l’humanité. Comme je le dis tous les jours, il n’y a pas de paix définitive. Il y a des paix durables. Il faut mener des activités, apporter sa contribution à l’édification de la paix pour que cette paix soit durable. Qu’il y ait des ministères en charge de la paix, est une très bonne chose ; qu’il y ait des religions qui en parlent, est aussi une activité salutaire ; qu’il y ait des organisations internationales qui s’en soucient et en font leurs projets d’activité, c’est très encourageant. Tout le monde doit parler de paix.
« La paix repose sur quatre piliers essentiels : l’humilité, la tolérance, le dialogue et le pardon. C’est bien ce que son enseignement va apporter aux élèves ou à la jeunesse, l’avenir de demain »
Vous aviez suggéré lors d'une rencontre avec la ministre de l'Éducation nationale que l'enseignement de la notion de paix soit inscrit au programme scolaire comme une discipline. Pouvez-vous donner les raisons ?
L’école est le creuset de la formation. La paix naît dans l’esprit et les cœurs. C’est dans l’esprit qu’il faut inculquer les valeurs de paix. Il faut un changement de mentalité. Mais il n’y a pas de discipline qui enseigne la paix à l’école. Il faut que l’école qui est le creuset de l’éducation, puisse commencer à former, à changer les mentalités, à inculquer les valeurs de paix à tous les jeunes. C’est vrai qu’il y a le civisme, mais la paix va au-delà de tout cela. Il faut apprendre ces choses aux enfants, de sorte qu’à l’âge adulte, ils soient de véritables artisans de paix. En dehors des disciplines classiques qui nous servent, certes, il faut un gros programme de formation qui véhicule les valeurs de paix, les respects des institutions, de l’aîné, de l’Homme… Si nous y parvenons, nous aurons une société de plus en plus pacifique.
Qu'est-ce que l'enseignement de la paix va apporter réellement à la formation des élèves et pour quels débouchés ?
La paix se construit autour de trois valeurs essentielles : la confiance, la vérité et la justice. Lorsque vous inculquez à quelqu’un le savoir-être et le savoir -vivre, il va être discipliné et aura la confiance en soi et la confiance en l’autre. La vérité se rapporte à un référentiel. L’école va donc permettre d’apprendre à ces élèves, les respects de la discipline, du civisme, des institutions, de l’éthique, de l’Homme et des droits de l’Homme, de sorte que plus tard, lorsque certains deviendront des hommes politiques, ils ne seront pas dans la démagogie. Ils auront des référentiels comme la justice. Vous savez, quand vous respectez un aîné, vous montrez à cet aîné qu’il est une valeur, une source de connaissance, de sagesse. En le respectant, vous vous rendez disponible à l’écoute de ses expériences. Cela vous fortifie et vous donne l’avantage d’éviter certains obstacles dans la vie. Mais lorsque vous ne respectez pas un aîné, parce que vous pensez que vous connaissez tout, c’est de l’orgueil. La paix repose sur quatre piliers essentiels : l’humilité, la tolérance, le dialogue et le pardon. C’est bien ce que son enseignement à l’école va apporter aux élèves ou à la jeunesse, l’avenir de demain.
Les élèves ne sont-ils pas déjà formés sur ces valeurs que vous avez énumérées ?
Il faut faire beaucoup d’efforts. En 1990, les enfants ont été dans la rue pour crier « Houphouët voleur ! ». Parmi eux, certains n’avaient même pas l’âge des petits fils du père de la Nation. Ce n’est pas de la discipline. Mais des années après, tout le monde reconnaît que Félix Houphouët-Boigny a bien gouverné la Côte d’Ivoire. Lorsque des élèves ne respectent pas le chronogramme des congés scolaires, c’est de l’indiscipline. Même au niveau des travailleurs, lorsque certains projettent de faire une grève sans respecter ce que prévoient les textes en la matière, c’est de l’indiscipline. Pour faire une grève, il y a des étapes et les différentes étapes doivent être respectées.
Ne pensez-vous pas que votre projet est surréaliste, d'autant plus qu’il va nécessiter des ressources humaines qualifiées en la matière, sans compter ses implications budgétaires pour l'État ?
Il y a déjà des matières telles que l’EDHC dans lesquelles on retrouve le civisme et les droits de l’Homme. Mais ça ne suffit pas. Il faut renforcer ces matières par d’autres thématiques, mais aussi il faut que ces disciplines fassent partie des sujets à grand tirage lors des examens scolaires. Lorsqu’une matière ne figure pas parmi les sujets à grand tirage, elle est souvent négligée.
La Côte d'Ivoire s'apprête à vivre un nouveau cycle électoral conformément au calendrier constitutionnel. Avez-vous des inquiétudes relatives à la préservation de la paix sociale ?
Je n’ai pas d’inquiétude, mais il faut continuer à sensibiliser les Ivoiriens sur les valeurs de la paix dont je vous ai parlé au début de l’entretien : la confiance, la vérité et la justice. Ces trois valeurs existent malheureusement très peu en politique.
« Les arguments et les idées contradictoires, avec un bon ton, sont les armes que les Ivoiriens doivent avoir pendant la période électorale »
Et pourquoi selon vous ?
Simplement parce que dans la conquête du pouvoir, les gens se méfient les uns des autres. Ils disent des choses qui ne sont pas vraies. Souvent, ceux-ci font entorse à la justice. Or, si ces trois valeurs ne sont pas respectées, il y aura forcément des frictions, des velléités, des troubles. C’est pour cette raison que je demande aux politiques de respecter au moins ces trois valeurs pour consolider la paix. Il faut que les politiques aient confiance aux institutions de la République, que la justice soit appliquée et que la vérité soit dite. Je dis que je n’ai pas peur parce que la politique est un jeu. Je n’ai pas peur parce que j’ai confiance au président de la République et à son gouvernement qui travaillent dans la sécurité et dans le respect des droits de l’Homme. Ils œuvrent suffisamment pour que la Côte d’Ivoire soit pacifiée. Il faut donc que le dialogue entre les hommes politiques continue et la Commission électorale indépendante(CEI) communique assez pour traduire la vérité du droit. Que les hommes politiques ne fassent pas de la démagogie d’où qu’ils soient. Les arguments et les idées contradictoires, avec un bon ton, sont les armes que les Ivoiriens doivent avoir pendant la période électorale
En tant qu'ambassadeur de la paix, que fait votre Fondation pour prévenir d'éventuels conflits lors de la prochaine élection présidentielle de 2025 ?
Nous avons fait deux choses. La première, ayant été lauréat du Prix national d’excellence du meilleur artisan de paix et de cohésion sociale, nous avons sollicités des audiences auprès du chef de l’État pour nous mettre à son entière disposition afin que nous puissions être mis en mission étatique pour parler aux Ivoiriens sur tout le territoire national. Ensuite, nous avons créé nous-mêmes l’école de la citoyenneté pour former des bénévoles de paix. Nos bénévoles de paix ont été déjà recensés et à partir du mois de mars 2025, nous allons les former sur les thématiques que nous sommes en train de peaufiner. Ils seront des lanceurs d’alerte et nous ferons des rapports que nous allons remettre à l’autorité compétente.
Réalisée par Ernest Famin