Société

Enquête/Phénomène d’enlèvement et de disparitions: Tout savoir sur le mode opératoire des criminels

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Kossia Eudoxie a été retrouvée après cet avis de disparition, tout comme Jean Emmanuel, enlevé après "hypnose". (Ph : DR)
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Il est de plus en plus courant de voir, dans les rues ou sur les réseaux sociaux, des avis de disparition de personnes, notamment d’enfants. Que deviennent ces enfants annoncés comme disparus ? L’Avenir a enquêté.

Le mercredi 11 septembre 2024, Yohou Emmanuella, 19 ans, a été retrouvée morte dans une résidence meublée à Cocody Vallon. Elle aurait été assassinée par son petit ami. Au dire de sa sœur aînée, Marie Dominique Yohou, elle n’est pas rentrée à la maison depuis le vendredi 7 septembre précédant la découverte de son corps sans vie. Soit 4 jours plus tôt. 4 jours au terme desquels elle a été retrouvée morte. C’est pour éviter une telle issue fatale que nombre de parents ont tendance à alerter l’opinion un, deux ou quelques jours seulement après qu’ils sont sans nouvelles d’un proche.

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À cet effet, ils placardent les avis de disparition dans les rues ou les publient sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook, avec l’espoir de retrouver vivante, la personne annoncée disparue. C’est le cas de Jean Emmanuel, élève en classe de première, dont le visage candide a circulé, à la mi-août 2024, sur les réseaux sociaux, en illustration d’un avis de disparition. « Aidez-nous à retrouver notre neveu Jean Emmanuel, enlevé par des individus, hier, dans la journée à la Palmeraie, pour une destination inconnue », alertait l’annonce, avec la photo du jeune garçon en t-shirt bleu turquoise.

Son fils et sa fille, « hypnotisés », puis enlevés

  • Le 27 août, soit près de deux semaines après, nous avons joint par téléphone, sa mère, Mme Memel, pour savoir s’il avait été retrouvé. « Il a été retrouvé 48h après l’avis de disparition », nous répond-elle, au bout du fil. Et la mère du jeune garçon de revenir sur les circonstances dans lesquelles il a été enlevé : « Le jour des faits, il revenait des cours de vacances avec son petit frère, au niveau du feu de nouveau goudron sur la route de Bingerville. Il était en train de manipuler son portable sur la route et ils ont voulu le lui arracher. C’est quand il a voulu résister qu’ils sont partis avec lui. Il a été comme hypnotisé. Plus tard, quand il a repris ses esprits, il a constaté qu’il était dans un immeuble inachevé à la Riviera Palmeraie, en pleine nuit. Il nous a raconté qu’ils voyaient défiler des gens peu recommandables. Il s’est caché jusqu’à ce qu’il fasse jour et a dû marcher sur une bonne distance avant d’accoster un passant pour lui demander de l’aide. Voilà comment ils nous ont appelés et nous sommes allés le chercher ». Selon elle, son fils n’a pu lui dire comment il s’est retrouvé dans cet immeuble inachevé. « Il ne se souvient plus de tout ce qui s’est passé. C’est un flou total, c’est comme un trou noir », soutient la mère, qui ajoute que c’est l’absence prolongée de son fils (au-delà de 20h) qui l’a alertée, celui-ci n’étant pas habitué à rester si tard dehors. « Si on n’avait pas lancé l’alerte tôt, peut-être que les choses se seraient passées autrement », renchérit-elle. Tel un coup du sort, la mère de Jean Emmanuel a déjà vécu le même scénario avec sa fille, il y a quelques années. « Ils ont fait la même chose à ma fille. À l’époque, elle devait avoir dans les 15-16 ans. Elle devait être en seconde. C’était aux environs de 15h. Ce jour-là, elle allait se coiffer », se souvient-elle. « Ils se sont présentés comme des pasteurs. Le premier a dit qu’il était pasteur ; puis un deuxième est apparu pour dire que l’autre était effectivement un pasteur qui a déjà prié pour lui. Et comme ma fille était, à l’époque, très engagée dans les choses religieuses, cela a suffi pour qu’ils l’appâtent. Elle s’est mise à les écouter. Au moment où elle revient à elle, elle était, on va dire, à 3 km de la maison. Elle s’est retrouvée, du feu de Faya au village d’Abatta. C’est quand ils sont partis, qu’elle s’est rendu compte qu’elle n’avait plus sa paire de lunettes ni le sac qu’elle portait sur elle », relate Mme Memel.

Une autre victime des « hypnotiseurs »

Elle rapporte, par ailleurs, une mésaventure similaire qu’a vécue la compagne du chauffeur d’un taxi qu’elle a emprunté récemment, quand elle racontait ce qui est arrivé à son fils. « Il a dit qu’ils ont demandé à sa femme de fixer quelque chose et quand elle a fixé cette chose, elle ne s’est plus retrouvée. Ils l’ont alors envoyée quelque part qu’elle ne connaissait pas », nous raconte la mère de Jean Emmanuel. Ce phénomène d’enfant enlevé suite à ce qui apparaît comme une hypnose ou un envoûtement, nous semblait jusque-là une de ces légendes qui, tel un phénomène de société, affole la cité sans qu’aucun témoignage en atteste l’existence. Mais voilà qu’un autre témoignage de parent d’enfant annoncé disparu, vient confirmer les dires de la mère du jeune Jean Emmanuel.

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Joint par téléphone fin août, le père de Christ Yannick, M. Nanami Prince, nous apprend que son fils a été retrouvé, alors qu’il a été annoncé disparu via les réseaux sociaux. « Il a quitté la maison au km18 à Abobo N’dotré, le dimanche 11 août 2024, à 15h. Il a été retrouvé le mardi suivant, 13 août à 17h. On l’a retrouvé à Gesco, alors que nous habitons à N’dotré », rapporte le père. Qui ne fait aucune difficulté à nous raconter les circonstances de cet enlèvement qui aurait pu virer au drame. « Je suis entraîneur de joueurs de football. Comme j’avais un empêchement ce jour-là, je lui ai demandé d’aller entraîner les enfants sur le terrain de la nouvelle gare.  C’est en revenant de la séance d’entraînement que les faits se sont produits. Il m’a dit qu’il ne se souvient pas de ce qui s’est passé. Il sait seulement qu’il s’est retrouvé dans un camion bâché. C’est quand il a retrouvé ses esprits qu’il a sauté du véhicule qui était garé quelque part, pour commencer à fuir. Il a rencontré un monsieur sur la route à qui il a raconté sa mésaventure. C’est ce monsieur qui m’a appelé et lui a payé le transport pour qu’il retourne à la maison », explique-t-il.

La disparition était …une fugue

Les enlèvements d’enfants après leur avoir fait perdre connnaissance ne sont donc pas une vue de l’esprit. Mais tous les signalements de disparition d’enfants ne sont pas des cas d’enlèvement suite à une « hypnose ». Quelquefois, l’enfant annoncé comme disparu a, en fait, fugué, pour diverses raisons. Kossia Eudoxie, dont la photo illustrait un avis de disparition en date du 19 juillet 2024, est dans ce lot. « Elle a été retrouvée. Elle a fugué. On l’a retrouvée le lendemain. C’est la personne chez qui elle est allée qui m’a contactée », nous apprend sa tante, jointe par téléphone. C’est le cas également de Jean Lanyo, annoncé comme disparu depuis le 17 juillet à Yopougon Niangon. « Il a disparu le 17 juillet, mais on a fait l’avis de recherche une semaine après. On l’a retrouvé le 1er août. Il a fugué, en fait. Ce sont les caprices d’adolescent », nous confie sa sœur aînée, jointe elle aussi par téléphone.

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Mais tous les cas d’enfants annoncés comme disparus ne finissent pas par un happy end avec l’enfant finalement retrouvé. Jusqu’au 29 août 2024 où nous l’avons jointe par téléphone, Mme Guiraud Dôro n’avait aucune nouvelle de son fils de 21 ans, qui a quitté le domicile de son père depuis le 30 juillet, sur une moto, aux environs de 23 h. « C’est son père qui m’a appelée pour m’informer de sa disparition. Depuis, je n’ai aucune trace de lui », nous apprend sa mère. Qu’est-il advenu de lui ? En pareille situation, les parents restent dans le désarroi, vu que ces absences prolongées peuvent tourner au drame, comme ce fut le cas de la jeune Yohou Emmanuella, retrouvée morte dans une résidence meublée le 11 septembre 2024.

Enfants absents plutôt que disparus ?

Quels que soient les cas de figure, devrait-on parler de disparu parce qu’on ne retrouve pas une personne depuis quelque temps ? Pour Me Makaya Dagnogo, directrice des requêtes et investigations au Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), « la disparition, c’est lorsque quelqu’un n’apparaît plus dans le lieu où on a l’habitude de le voir et ce, dans les circonstances de nature à mettre en péril sa vie. Quand on parle de disparues, ce sont, en réalité, des personnes qu’on pense être mortes mais dont on ne retrouve pas le corps ». La disparition est donc différente de l’absence. « Est dit absent, quelqu’un qui quitte son lieu habituel d’habitation et qui ne revient pas et ne donne pas non plus de ses nouvelles. La nuance entre disparition et absence vient du caractère périlleux de la situation », clarifie Me Dagnogo. Selon l’« Annuaire/ Statistiques du Ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant 2022 », 485 enfants ont été déclarés comme disparus en 2022. Un chiffre en progression par rapport à l’année précédente (2021) où le même ministère dénombrait 425 enfants signalés comme disparus, notamment à Abidjan avec 57 cas ; dans le Haut-Sassandra avec 47 cas et le Sud-Comoé avec 36 cas.

Assane Niada

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