Depuis l’annonce faite par les huit faîtières signataires de la nouvelle trêve sociale de prélever 3,33 % sur la prime annuelle décidée par le chef de l’État, plusieurs voix dans le milieu syndical s’élèvent pour dénoncer cette décision. Comment réagissez-vous à cela ?
Avant de répondre à votre question, je voudrais faire l’historique de la lutte. Après 2017 jusqu’à 2022, nous avons eu des acquis. Pour cette année, nous avions privilégié la discussion. Lors de ces discussions, des organisations et principalement la PLATEFORME NATIONALE, dont j’assume la présidence, avaient proposé un troisième mois. Personne n’y croyait. Mais aujourd’hui, grâce à l’amabilité du Président de la République, ce projet est devenu une réalité avec l’octroi d’une prime exceptionnelle de fin d’année.
Revenons à la question…
L’assemblée générale du 08 octobre 2022 qui s’est réunie à la demande des huit signataires, a mobilisé ses délégués pour leur faire le point de la situation. Ce sont ces délégués qui ont proposé que cette ponction soit faite en signe de soutien au mouvement syndical. Ce financement vise à faire sortir de l’ornière, la main tendue du syndicalisme paria en lui permettant de bénéficier d’un financement transparent. Mais avant de le mettre en œuvre, nous avions fait une recommandation non écrite qui était d’aller vers l’ensemble du mouvement syndical ivoirien, afin d’amener tout le monde à adhérer au projet, avant sa mise en œuvre.
Les débats que vous observez, sont des débats normaux. Ce sont des positions de principe qui peuvent évoluer dans le temps. Il y a des fonctionnaires qui ne comprennent pas, parce qu’ils sont habitués à recevoir sans donner et ce sont les plus nombreux. Le mouvement syndicaliste ivoirien est caractérisé par un très faible taux de syndicalisation. Nous sommes à 10, voire 15 % d’adhésion. Or, le syndicalisme est certes, un sacerdoce, mais il doit se financer.
Vous parlez de nécessité de financement de l’action syndicale. Or, vous existez il y a longtemps. D’où tirez-vous alors vos sources de financement ?
Jusqu’à preuve du contraire, nous utilisons nos moyens pour entretenir le mouvement avec le résultat que l’on sait. C’est pour cette raison que les camarades ont estimé que c’est une opportunité, surtout que le prélèvement n’était pas sur le salaire, mais sur une prime. Le montant à prélever va varier de moins de 1000 F CFA à 7000 F CFA tout au plus, pour ceux qui ont les gros salaires. Cela dit, nous ne sommes pas dans une position de guéguerre. Pour nous, il est normal que ce débat ait lieu.
Mais on vous reproche d’avoir pris une décision unilatérale en voulant faire un forcing. Que répondez-vous ?
Tous ceux qui parlent, expriment ce qu’ils pensent. Nous avons commencé à nous retrouver pour échanger. Au bout du compte, si nous ne parvenons pas à faire l’unanimité, le précompte n’aura pas lieu. Nous ne voulons pas faire un forcing. C’est nous qui avons négocié. Si on voulait faire un forcing, on aurait dû s’entendre avec l’État. Le débat est ouvert. En termes de rapport de force, nous étions environ 2000 à notre assemblée générale. Ceux qui s’agitent, sont moins de 2000. Cela, pour dire que nous ne sommes pas dans un rapport de force, bien que nous ayons la majorité. Tous ceux qui s’agitent, ne sont pas contre le précompte dans le fond. Nous les avons rencontrés et ils nous ont confié qu’ils ont été mis à l’écart à la veille des discussions. Pour ces derniers, leur action est un moyen de pression sur les organisations signataires afin que nous les aidions à être admis à la table des discussions avec le gouvernement.
Quelles sont les organisations que vous aviez rencontrées ?
Nous avons rencontré le groupe d’Attaby Pacôme (Coalition des syndicats de la Fonction publique). Il nous a fait savoir qu’il souhaite revenir à la table des discussions, c’est là que se trouve sa préoccupation. Il y a certains fonctionnaires qui estiment que ce que nous demandons est très peu. Les syndicalistes, dans leur ensemble, pensent que ce projet de prélèvement est une bonne chose. Mais chacun a un problème. C’est le cas par exemple, de ceux qui ont pensé qu’ils ne seront pas pris en compte dans le partage. Mais lorsque nous leur avons expliqué que ce prélèvement servira à financer tout le mouvement syndicaliste sans exception, ils sont se sont ralliés.
Des syndicalistes soutiennent que ce projet de financement vise à préparer la retraite de ses initiateurs en se remplissant les poches. Qu’en dites-vous ?
Vous savez, lorsque des syndicalistes affirment des choses pareilles, cela traduit qu’ils ignorent ce que veut dire le syndicalisme. Il n’y a pas de retraite dans le syndicalisme. Ce n’est pas un argument qui tient. Cela montre la carence en matière de formation syndicale de ceux qui tiennent de tels propos.
La PLATEFORME n’est pas accrochée à ce précompte. Mais, c’est la résolution d’une assemblée générale. Nous, on avait notre approche, mais ce n’est pas celle qui a été décidée à cette Assemblée générale.
Vous aviez parlé de la question du financement du mouvement syndicaliste. Mais, il y a des centrales syndicales qui bénéficient déjà du soutien de l’État à hauteur de 800 millions de FCFA annuellement. Est-ce que la grogne exprimée par certaines organisations n’est-elle pas le fait d’une crise de confiance avec celles-ci ?
La PLATEFORME NATIONALE a été reconnue centrale syndicale depuis le février 2019 par l’État de Côte d’Ivoire. Elle ne bénéficie pas d’une subvention de l’État. Donc, nous ne faisons pas partie de celles qui bénéficient des 800 millions. Et pourtant, c’est cette centrale qui est l’âme de fond de tous les combats syndicaux en Côte d’Ivoire. Nous n’avons pas de moyens, et nous estimons que ceux pour qui nous nous battons, doivent nous donner les moyens. Nous préférons les moyens des fonctionnaires que les autres moyens.
C’est bientôt le mois de janvier où cette prime exceptionnelle sera payée. Qu’avez-vous à dire aux fonctionnaires et aux opposants au projet de précompte ?
Je pense que le syndicalisme dans son ensemble, s’appuie sur une donnée fondamentale : la solidarité. C’est pour cette raison que vous ne me verrez jamais attaquer un autre syndicaliste quelles que soient nos oppositions. Un syndicaliste ne doit pas attaquer un autre. Malheureusement, nous avons une nouvelle classe de syndicaliste qui ne vit que de l’attaque contre les autres.
Réalisée par Ernest Famin