Société

Enquête express/Être femmes et vigiles : quelle galère !

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Autrefois exercé essentiellement par les hommes, le métier d’agent de sécurité privée enregistre de plus en plus, la présence des femmes. Lesquelles ne s’y plaisent pas toujours. Incursion dans le quotidien de ces femmes-vigiles.

 

Par dépit ou par passion, les femmes sont nombreuses à exercer le métier d’agent de sécurité privée en Côte d'Ivoire. Si certaines y trouvent leur compte, parce qu’elles sont dans des entreprises sérieuses qui les emploient, plusieurs autres y vivent la galère. Diplômée de grande école et mère de quatre enfants, K.R. a embrassé le métier de vigile depuis deux ans. Et pourtant, elle n'avait jamais imaginé qu'elle serait un jour vigile.

 

Pourquoi elles font le métier

 

« Je suis titulaire d'un Brevet de technicien supérieur (BTS). Ne trouvant pas d'emploi, j’avais ouvert une buvette dans mon quartier, dans la commune de Yopougon. Lors des opérations de déguerpissement de la mairie, ma buvette a été cassée. J'ai donc été obligée d'accepter ce travail qu'on m'a proposé, parce que je connaissais le recruteur. Je suis mère de quatre enfants. Je me devais de trouver du travail pour soutenir mon compagnon à la maison », confie K. R.

Quant à K.A., elle n’a jamais été à l’école. Le métier d’agent de sécurité lui était apparu comme la seule chance pour elle pour pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. « J’ai trois enfants. Le dernier qui est au CM2, est à ma charge. Je me devais donc de faire quelque chose pour survivre », explique-t-elle. La voilà donc devenue vigile depuis un an.

Silué Pauline, elle, s’est retrouvée dans le métier de vigile par passion. Ce qui explique sans doute qu’elle l’exerce depuis neuf ans. Avec un physique plutôt garçon-manqué, elle a toujours voulu faire un métier d’homme. N’ayant pas le niveau requis pour entrer à la fonction publique, elle a tenté sa chance dans le secteur de la sécurité privée.  

 

 

Courtisées et victimes de harcèlement sexuel

 

Âgée de moins de 40 ans généralement, ces femmes-vigiles sont parfois, courtisées quand elles ne sont pas victimes de harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Selon K.A., plusieurs jeunes femmes sont victimes de propositions souvent indécentes. « Ce n'est pas parce que nous faisons ce travail que forcément, il faut nous faire des propositions indécentes. Je fais la garde dans un bureau de la place dont je préfère taire le nom pour éviter de perdre mon emploi. Il y a un monsieur qui me faisait la cour. J'ai refusé, parce que sa proposition ne m'intéresse pas. Il a failli me créer tous les problèmes pour avoir refusé ses avances. Il est allé dire à mes responsables que je fais mal mon travail. Quand j'ai expliqué la situation que je traverse dans ces locaux, ils m'ont fait changer d'endroit. Le monsieur était réputé un habitué de ce genre de propositions aux femmes-vigiles», explique-t-elle.

Contrairement à K.A., K.R. n'y voit pas d'inconvénients. « Ce sont des hommes, et nous sommes des femmes. C’est inévitable. Moi, je n'ai pas connu de harcèlement sexuel ici. Je dirai plutôt que j’ai connu des hommes qui m'ont courtisée. », nuance-t-elle. Pour Silué Pauline, tout est une question d’éducation. « Plusieurs d’entre nous cachent leur vraie motivation. Si certaines viennent à ce métier pour seulement effectuer les tâches qu’on leur demande, d’autres ont des agendas cachés. Des femmes sont de plus en plus matérialistes et acceptent des propositions indécentes venant des personnes dans leurs lieux de travail. Elles n’ont donc pas intérêt à ce que cela se sache », soutient la jeune femme.

 

Un sérieux impact sur leur vie de couple 

 

Contraintes d’assurer la garde la nuit, bien des femmes-vigiles sont amenées à passer la nuit sur leurs lieux de travail. Une situation qui n’est pas sans conséquences sur leur vie de couple. À entendre certaines que nous avons interrogées dans le cadre de cette enquête, cette contrainte professionnelle peut être préjudiciable à leurs unions. « J’habite à Attingué et je travaille à Cocody. Je vis avec mon mari et nous avons un enfant. La distance fait que je suis obligée de quitter très tôt ma famille. Je ne vois pratiquement pas mon fils, à part pendant ma période de congé. C’est aussi difficile pour mon époux. Aucun homme ne voudrait voir sa femme dehors la nuit. Mais, on n’a pas le choix », témoigne Silué Pauline. Au dire de K.R. qui habite Yopougon et travaille au Plateau, ce métier de vigile gâche sa vie de couple. Aussi songe-t-elle de plus e plus à en sortir. « Lorsque je vais percevoir mes arriérés de salaire, je vais chercher à faire un petit commerce à côté de ma maison pour être plus proche de ma famille. Sinon, mon couple va battre de l’aile et mes enfants seront livrés à eux-mêmes », lâche-t-elle. Malgré ces soucis de couple qu’engendrent des contraintes liées à leur profession, les femmes qui exercent le métier de vigile font preuve de sérieux et surtout, de courage. C’est en tout cas ce que certains de leurs homologues hommes pensent d’elles. « La majorité des filles avec qui nous avons été sur le même site, ont été très courageuses. Contrairement à ce qu’on pense de la gent féminine, elles arrivent souvent même à nous damer le pion. Elles arrivent par exemple, avant nous au travail », témoigne le vigile Pacôme C.

 

Payées au compte-gouttes

 

Sur le plan salarial, les femmes-vigiles sont logées à la même enseigne que les hommes : elles gagnent petit et, pis, peinent à se faire payer leur salaire. « Nos employeurs nous doivent maintenant cinq (5) mois de salaire.  Je n’ai pas pu faire de cadeau à mon fils de CM2 lors de la dernière fête de Noël. Pendant que tous les enfants étaient bien vêtus, le mien n’avait pas grand-chose. Il a même été renvoyé à la rentrée juste après les fêtes, parce que je n’ai pas encore soldé sa scolarité. Avec un salaire de 60 000 FCFA par mois, il est difficile de faire face à toutes ces dépenses. De plus, lorsque nous ne pouvons pas venir au travail par manque de transport, nos employeurs font de la rétention sur nos salaires. Pendant le mois de décembre, c’était difficile. Nous venons d’apprendre que les responsables vont retenir jusqu’à 40 000 FCFA sur notre salaire. Si tu n’acceptes pas cette condition, c’est le renvoi. C’est difficile d’approcher les patrons pour leur présenter nos doléances », déplore K.A.

À l’en croire, entre filles, elles font en sorte de trouver des stratégies pour s’en sortir au mieux. « Nous dormons dans les locaux dans lesquels nous travaillons pour pouvoir économiser un peu d’argent. Pour tenir le coup, certaines parmi nous sont devenues de véritables mendiantes. Elles vont de bureau en bureau pour quémander de l’argent pour avoir de quoi à manger et/ou pour leur transport-retour. Ce qui favorise le harcèlement. Dieu seul sait ce qui se passe dans ces bureaux », lâche K.A. Pour Silué Pauline, la situation salariale n’est pas aussi alarmante que décrite par les autres. « Lorsqu’on commence dans ce milieu, le salaire peut suffire un moment, mais pas tout le temps. Les charges augmentent de jour en jour, à cause de certaines réalités. Je suis mariée, donc, s’agissant du loyer, c’est plus facile pour moi. Au niveau de l’entreprise qui m’emploie, l’ancienneté compte. Par conséquent, l’on n’est toujours pas logé à la même enseigne », confie-t-elle.

 

Adieu la retraite !

 

Pour s’entraider, les femmes-vigiles ont mis sur pied, plusieurs associations. C’est le cas dans l’entreprise qui emploie K.R. et K.A. Les dix femmes que compte l’entreprise, avaient instauré une sorte de tontine pour s’entraider. Mais, compte tenu des arriérés de salaire qu’elles ont dans leur entreprise, les cotisations ne se font pas normalement. Dans la société de gardiennage où exerce Silué Pauline, c’est une mutuelle de solidarité qui a été mise sur pied. Sa paie lui permet de faire face aux cotisations à effectuer dans le cadre de la mutuelle.

Des trois femmes que nous avons interrogées, seule Silué Pauline assure que l’entreprise qui l’emploie, peut lui garantir de quoi assurer sa retraite grâce à la pension, fruit de ce qu’elle aura cotisé durant ses années de travail. K.R. et K.A., quant à elles, n’ont pas connaissance qu’elles ont droit à ce privilège. « Nous, nous voulons seulement entrer en possession de nos quatre mois de salaire. Nous pourrons faire autre chose avec cet argent », plaident-elles. Visiblement déçues de la galère qu’elles y vivent, elles ne veulent plus faire ce métier. Partagées entre le désir de partir et la peur de ne plus entrer en possession de leur dû, si elles décident d’arrêter, elles cherchent comment sortir de ce gouffre.

 

Roxane Ouattara

 

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