
Cependant, la juridiction constitutionnelle, (d'abord Chambre constitutionnelle de la Cour suprême (CS), puis Conseil constitutionnel, puis à nouveau Chambre constitutionnelle de la CS, et enfin Conseil constitutionnel à partir du 1er aout 2000), s’est toujours reconnue compétente pour connaître de ce contentieux sur saisine par voie incidente.
La décision dans l'affaire Tiote Souhaluo souvent citée n’est pas la seule et n’est pas la jurisprudence fondatrice dans ce domaine. De nombreux autres arrêts et décisions ont été rendus par cette Haute juridiction saisie en matière d’éligibilité à titre principal, et d’une question de nationalité à titre incident, précisément d’acquisition d’une nationalité étrangère, de double nationalité, de perte de la nationalité ivoirienne, et de leurs conséquences, comme cela semble se profiler pour le dossier Tidjane Thiam.
Rappelons quelques -uns de ces arrêts et décisions:
1 Arrêt de la Chambre constitutionnelle présidée par Monsieur Alphonse Boni (arrêt n°16 du 03 février 1981) : La première affaire dans laquelle l’éligibilité d’un candidat aux législatives était contestée pour nationalité étrangère. La Chambre constitutionnelle s'étant reconnue compétente, a examiné l’affaire au fond et a rejeté la requête pour absence de preuve des faits allégués (voir Recueil des décisions et avis du C wC 1980-2013 page 232)
2 Décision du Conseil constitutionnel présidé par Monsieur Nemin Noel; décision no E O10/95 du 22 novembre 1995 Affaire Djeni Kobina. (Rec p301) La juridiction constitutionnelle a admis sa compétence et après examen au fond, a déclaré que le père et la mère du candidat Djeni Kobina ne sont pas nés Ivoiriens, leurs parents respectifs étant tous ghanéens.
3. Décision du Conseil constitutionnel présidé par Monsieur Nemin Noël; décision No EO14/95 du 24 novembre 1995 Affaire dans laquelle Mmes Simone Ehivet Gbagbo et Jacqueline Oble contestaient l’éligibilité aux élections législatives, de Adama Sanogo pour défaut de nationalité ivoirienne d'origine. Après examen de la requête au fond, le Conseil l’a rejetée comme mal fondée (Rec. Page 307)
4. Décision du Conseil constitutionnel présidé par Monsieur Yao Ndre : décision No 02009 EP-028 du 19 novembre 2000 portant liste définitive des candidats à l'élection présidentielle de 2010. Ici encore le Conseil constitutionnel a statué sur la nationalité, particulièrement sur celle de Dolo Adama dit Adama Dahico, binational par acquisition de la nationalité ivoirienne, et qui a été déclaré éligible de façon surprenante en dépit du fameux article 35 de la Constitution alors en vigueur.
5. Décision du Conseil constitutionnel présidé par Monsieur Francis Wodie: décision No CI 211-EL-054/17-11/CC/SG du 17 novembre 2011. Affaire Tiote Souhaluo. Celui-ci, Ivoirien d’origine, ayant acquis la nationalité française par naturalisation, à 40 ans, se trouvant ainsi en situation d'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère à l'âge adulte, a donc perdu la nationalité ivoirienne par application de l’article 48al1 du Code de la nationalité ivoirienne, et en conséquence a été déclaré inéligible aux élections législatives. Le Conseil constitutionnel a été saisi d’autres affaires de nationalité par voie incidente dans lesquelles, comme dans celles ci-dessus, il n’a pas fait de renvoi préjudiciel et a statué au fond et fait droit à la requêté dans certains cas. Dans d’autres cas il a jugé que les preuves de l’acquisition de la nationalité étrangère n’avaient pas été rapportées.
6. Décision du Conseil constitutionnel présidé par Monsieur Kone Mamadou : Décision n°230 du 3/12/2016 Affaire Abadi Miezan Christophe (Recueil 2013-2016 page 304) dans laquelle l’éligibilité du candidat aux élections législatives Abadi Miezan était contestée au motif que celui-ci avait acquis la nationalité française. Mais aucune preuve n’ayant été rapportée quant à la date et au mode d’acquisition la juridiction constitutionnelle a rejeté la requête mal fondée; Abadi Miézan Christophe n'ayant pas perdu la nationalité ivoirienne est déclaré éligible.
7. Décision du Conseil constitutionnel présidé par Kone Mamadou: Décision No 178 du 24 novembre 2016 Affaire Gnapi Gil dans laquelle le requérant contestait l’éligibilité de Kebe Mamadou au motif que celui-ci a acquis la nationalité française par naturalisation et avait perdu la nationalité ivoirienne. La requête a été déclarée irrecevable car prématurée, ayant été présentée avant la publication de la liste des candidats par la Commission électorale indépendante.
EN CONCLUSION
La juridiction constitutionnelle s’est reconnue compétente pour connaître de la contestation de nationalité sur saisine par voie d’exception, à l’occasion d’un contentieux électoral notamment de l’éligibilité. Elle statue alors sans renvoi préjudiciel au juge de droit commun. Elle en a donné les raisons dans un arrêt de la Chambre constitutionnelle du 6 octobre 2000. (Voir Recueil 1980-2012, pages 117 à 146 ). Sa jurisprudence est donc bien assise depuis longtemps.
Yacouba DOUMBIA
Collaboration : magistrats à la retraite.