En vieux briscard de la scène politique, Laurent Gbagbo a plus d’un tour dans son sac. Sa dernière trouvaille, il l’a sortie de son chapeau au cours du meeting qu’il a animé dimanche dernier sur les terres de son ex-épouse, Simone Gbagbo, à Bonoua. A l’occasion, l’ex-chef de l’État a lancé du haut de la tribune : « J’ouvre les bras. Tous ceux qui veulent un rassemblement clair et sain pour battre ce gouvernement en 2025 sont les bienvenus. J’ouvre les bras, je les attends. Mais attention, il ne faut pas essayer de faire la roublardise avec nous ». Un appel à une large coalition de l’opposition pour se donner une chance de remporter la présidentielle 2025. On aurait pu en rire si la prochaine présidentielle dont il parle n’était pas un sujet sérieux. Car, comment résister à la tentation d’en rire quand Laurent Gbagbo, réputé être un as dans l’art de la fourberie au point d’être affublé du sobriquet de boulanger, se met à soupçonner les autres de « roublardise ». C’est l’hôpital qui se fout de la charité, serait-on tenté de dire
Un boulanger qui donne des leçons sur la roublardise
Passé maître dans l’art d’enfariner ses partenaires politiques, Laurent Gbagbo doit sa réputation de boulanger à une longue tradition de lâchage de ses compagnons de lutte politique. Le dernier fait en date, c’est le coup tordu fait au général Robert Guéi, ex-chef de la junte qui a dirigé la transition militaire suite au coup d’État de décembre 1999. Selon une opinion répandue à l’époque des faits, à l’ap[1]proche de l’élection présidentielle de 2000, Laurent Gbagbo a réussi à signer un pacte avec le chef de la junte.
Aux termes de ce pacte, l’homme fort de la transition devait s’arranger à écarter de la course, Alassane Ouattara et feu Henri Konan Bédié, pour qu’il s’ouvre la voie du succès à la présidentielle qui se profilait à l’horizon. En contrepartie, Robert Guéi devait faire de lui, un acteur majeur du nouveau régime dirigé par le chef de la junte. Mais, à l’arrivée, Gbagbo a manœuvré pour couper l’herbe sous les pieds de Guéi, en retournant les forces de défense et la population contre lui. Une trahison restée au travers de la gorge du chef de la junte d’alors, lequel a taxé Gbagbo de boulanger, avant d’ajouter qu’un jour, la farine va lui boucher le nez.
Guéi, Ouattara, Wodié, Zadi Zaourou, Bamba Moriféré, tous trahis par Gbagbo
Avant de sceller son deal avec Robert Guéi, Gbagbo avait déjà lâché ses compagnons du RDR, alors dirigé par Djéni Kobenan, avec lesquels il était dans une alliance dénommée Front Républicain. Constituée avant l’élection présidentielle de 1995, cette coalition de l’opposition devait faire front contre les agissements et exactions du PDCI-RDA de Henri Kona Bédié, qui venait de prendre les commandes de l’État, après le décès de Félix Houphouët-Boigny en 1993. Mais, contre toute attente, Gbagbo va lâcher ses partenaires du Front Républicain pour faire cavalier seul, quand il s’agira de négocier les conditions d’élections équitables en 2000. Un deuxième acte de trahison qui a affaibli l’opposition et est tombé comme du pain béni pour le PDCI-RDA de Bédié, qui a pu ainsi multiplier les tracasseries politico-judiciaires contre le RDR et Alassane Ouattara.
La suite, on la connaît. Laurent Gbagbo, c’est également ce lâchage historique de ses compagnons de lutte à l’avènement du multipartisme. Nous sommes en 1990, des partis de l’opposition décident, depuis la ville de Korhogo au Nord du pays, de créer une coalition de gauche pour se dresser contre Houphouët-Boigny, qui manœuvrait pour se faire réélire à l’élection présidentielle qui pointait à l’horizon. Unanimement, Laurent Gbagbo, leader du Front populaire ivoirien (FPI), Francis Wodié du Parti Ivoirien des travailleurs (PIT), Bernard Zadi Zaourou de l’Union des Socio-démocrates (USD) et Bamba Moriféré, du Parti pour le Progrès et le Socialisme (PPS) décident de boycotter ce scrutin. Mais, contre toute attente, Gbagbo se désolidarise de ses compagnons pour finale[1]ment servir de sparring partner à Houphouët-Boigny, au grand dam de ses partenaires. On le voit donc, l’ex-chef de l’État n’a pas toujours respecté son engagement à former une coalition avec ses amis d’hier. Il est donc peu sûr que son appel au rassemblement, lancé depuis Bonoua, soit audible
Assane Niada