La bataille s’annonce rude et palpitante où tous les coups sont permis. Et pourtant, ces trois prétendants sérieux ne sont pas tous blancs comme neige. A côté de ce qui peut constituer une force, chacun a un talon d’Achille que l’adversaire pourra exploiter. Dans une introspection rigoureusement recoupée, L’Avenir a décidé de placer Maurice Kakou Guikahué, Noël Akossi Bendjo et Tidjane Thiam sur la balance politique afin de mesurer leurs forces et faiblesses.
Maurice Kakou Guikahué. Le gardien du temple si proche du but mais….
C'est un peu le gardien du temple. Il a été formé dans le moule du PDCI-RDA via son organisation syndicale, le MEECI. Très vite, il va gravir les échelons au sein du PDCI-RDA. Sous Henri Konan Bédié, il est nommé Ministre de la Santé entre 1993 et 1995, ensuite de 1998 à 1999. Guikahué est professeur de médecine, Cardiologue-pédiatre à l'institut de cardiologie d'Abidjan. Au sein du PDCI-RDA, il a été Secrétaire à l'organisation du parti, avant de devenir Secrétaire exécutif en chef en remplacement du secrétaire général, Alphonse Djédjé Mady. C’est donc un homme qui a fait toutes ses classes au sein du PDCI-RDA. Au sein du parti, il est notoirement reconnu pour son franc-parler légendaire. C’est aussi un homme qui va au charbon. Pour la course à la succession de Bédié, Guikahué pourrait constituer une alternative crédible pour ce parcours élogieux au sien du doyen des partis politique en Côte d’Ivoire. Mais pas que. Malgré ce parcours élogieux, Maurice Kakou Guikahué traîne beaucoup de faiblesses dont il aura du mal à se débarrasser. Le dernier point faible de celui qu’on appelle « capitaine courage », remonte au projet mort-né du Conseil national de transition de l'opposition pendant la présidentielle d'octobre 2020.
Le projet ayant échoué, il se murmure qu'il est tombé en disgrâce auprès du défunt leader de son parti qui a fait monter d'autres cadres dans la direction. Il est accusé d’avoir embarqué le président Bédié et le parti dans une aventure sans lendemain. Mais ce n’est pas tout. Depuis 25 ans Guikahué traîne aussi un boulet qui constitue son principal point faible. Il s’agit du scandale du détournement de 18 milliards de Fcfa de l’Union Européenne quand il était ministre de la Santé sous Henri Konan Bédié. Même si des années après, le tribunal d'Abidjan-Plateau l'a blanchi, cette affaire le suit comme un boulet à sa cheville. Autre affaire qui pourrait jouer en sa défaveur, sa proximité avec la junte militaire ivoirienne qui a chassé Bédié du pouvoir le 24 décembre 1999. Guikahué était, aux côtés de feu Zady Kessi Marcel, dans la direction de campagne du chef de la junte militaire, Robert Guei. Enfin, l'un de ses handicaps par rapport à l'un des challengers, en l'occurrence Tidjane Thiam, c'est son âge. Guikahué a 72 ans. Au moment où au PDCI-RDA, des voix s'élèvent pour parler de rajeunissement, cet âge pourrait constituer un handicap. Sauf qu'au PDCI-RDA, cet argument pourrait ne pas prospérer au regard de l'histoire de ce parti.
Tidjane Thiam : Le deus ex machina déjà disqualifié ?
De tous les candidats en course pour porter la couronne de Bédié, il a de très loin le parcours professionnel le plus inspirant qui pourrait être la clé de voûte de cette élection. Tidjane Thiam est diplômé de l'École polytechnique et de l'École des mines de Paris. Il a travaillé dans plusieurs structures dont McKinsey & Company en qualité de consultant en management de 1986 à 1994, puis de 2000 à 2002, avant d'intégrer l'équipe dirigeante d'Aviva et enfin, de rejoindre Prudential. De septembre 2009 à juin 2015, il dirige le groupe d'assurances Prudential, ce qui fait de lui le premier dirigeant noir d’une entreprise du FTSE 100. Tidjane Thiam est également membre de l'Africa Progress Panel, une Fondation basée à Genève. Le dernier poste qu'il a occupé à l'international est celui de Directeur Général du Crédit suisse quatre années durant lesquelles il ramène la banque à une situation de profitabilité relative. Au plan national, il a été Directeur général du Bureau national d'études techniques et de développement (BNETD) de 1994 à 1999, rattaché directement au Premier ministre et au président. À partir de 1998, il est à la fois président du BNETD et ministre du Plan et du Développement. Au plan politique, il a été membre du Bureau politique du PDCI-RDA en 1996. Il a aussi un avantage familial qui plaide largement en sa faveur. Il est le petit fils de Félix Houphouët-Boigny, fondateur du PDCI-RDA et premier président de la Côte d’Ivoire. Pour certains militants, l’impressionnant profil professionnel associé à sa filiation familiale sont des atouts qui vont faire la différence. Si donc l’on se limitait au pedigree professionnel avec les réseaux qu’il a développés à l’international, l’on pourrait dire que les dés sont déjà jetés et que « TT », comme l’appellent ses inconditionnels soutiens est en pole position pour prendre la présidence du PDCI RDA et pourtant….
Au PDCI-RDA, tout ce qui brille n’est pas de l’or. Tidjane Thiam a un parcours professionnel qui épouse l’air du temps. Il a un gros atout, mais il traine aussi une grosse faiblesse qui, pour certains, le disqualifie avant même la tenue du congrès. Il s’agit de son parcours politique. Dans son parcours politique, Tidjane Thiam n'a quasiment aucune référence, hormis le fait qu'il ait été membre du Bureau politique du PDCI-RDA en 1996. Depuis 1999, date du coup d'Etat contre le pouvoir de Bédié, Tidjane Thiam n'a plus remis les pieds dans son pays pendant 22 ans. Ce n'est qu'en mai 2023 qu'il a été nommé par Bédié comme membre du Bureau politique. Du coup, il tombe sous le coup de l'article 41 des statuts de son parti qui stipule qu'un candidat à la présidence du PDCI-RDA doit totaliser 10 ans de présence continue et régulière au Bureau politique. Par ailleurs, Tidjane Thiam ne connaît pas véritablement le fonctionnement de son parti. Sa première tentative pour récupérer le parti et en être le candidat en 2020 ayant échoué, il a encore disparu pour réapparaître en 2022, puis en 2023. Par ailleurs, au PDCI-RDA, il n'a quasiment d'histoire avec aucun cadre. Cette grosse faiblesse est déjà exploitée en référence au monde sportif par certains de ses adversaires qui estiment que pour la succession de Bédié, le PDCI-RDA n’a pas besoin d’aller chercher un joueur comme Léo Messi, fut-il le meilleur de sa génération. On a vu le résultat avec le PSG. Il faut donc faire confiance à ceux qui ont fait toutes leurs classes au sein du parti. Pas à un deus ex machina
Noël Akossi Bendjo : L’homme fort de l’ombre fragilisé par ses déboires judiciaires
Tout comme Maurice Kakaou Guikahué, Noël Akossi Bendjo est de ceux qui ont fait toutes leurs classes au sein du PDCI-RDA. L’ancien maire du Plateau est ingénieur en génie chimique. En 1997, il a participé à la direction de plusieurs entreprises ivoiriennes majeures en tant que Directeur général ou au sein de leur conseil d'administration. Élu maire PDCI-RDA de la commune abidjanaise du Plateau en mars 2001, il a été décoré le 27 juillet 2018 par le groupe Afrique Intelligence du prix SPADE (Super Prix Africain de l'Excellence), en tant que meilleur maire d'Afrique et meilleur gestionnaire de collectivités locale. Déjà en 1979, Noël Akossi Bendjo accède au poste de Directeur des logistiques et des programmes au sein de la société ivoirienne de raffinage (SIR). Il sera par la suite responsable de l'informatique industrielle et du contrôle technique jusqu'en 1994. Il en devient directeur commercial et logistique en 1995, puis Directeur général de 1997 à 2000. Noël Akossi Bendjo a siégé au sein des conseils d'administration de nombreuses sociétés et groupes ivoiriens, tels que le groupe NSIA, la BIAO, la Société de développement et de promotion du Plateau, et bien d'autres. Nöel Akossi Bendjo est le fondateur et actuel président du conseil d'administration de la Fondation Benianh International qui a mobilisé en 10 ans plus de quatre milliards de Fcfa pour le financement des études de plus de 500 cadres ivoiriens de haut niveau.
Au plan politique, Akossi Bendjo est l'un des financiers de l'ombre du PDCI-RDA. Membre du Bureau politique depuis près de 20 ans, il a été nommé par Bédié, lors de son retour d'exil comme premier vice-président du parti et conseiller spécial du président lui-même. C'est un homme qui connaît les arcanes du PDCI-RDA. Au total Bendjo a le profil du poste, la légitimité pour diriger le parti et aussi les hommes et les moyens de sa politique. Mais cela suffit-il à Akossi Bendjo pour rafler le saint graal ? Pas si sûr parce que tout comme Guikahué, lui aussi traîne un boulet. Sa première faiblesse pourrait être son âge. Akossi Bendjo a le même âge que Guikahué, 72 ans. Par ailleurs, il a été contraint de démissionner de la mairie du Plateau pour malversation financière selon les rapports qui ont circulé. Son parti, le PDCI-RDA, a plutôt parlé d'un montage pour discréditer quelqu'un qui a refusé d'être au Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Noël Akossi Bendjo a donc quitté le pays pour se réfugier au Maroc et en France. Ces déboires avec la Justice ivoirienne pourraient resurgir lors de ce congrès. Si tel est le cas, Akossi Bendjo pourrait être frappé par la clause de bonne moralité qui est l’une des conditions cumulatives pour candidater à la présidence du PDCI-RDA. Comme autre handicap, il y a sa discrétion. Longtemps resté dans l'ombre, il n'est véritablement pas connu de la jeune génération.
Yacouba DOUMBIA