Excellence, vous étiez ambassadeur de la France en Côte d’Ivoire au moment où le pays a connu sa grave crise postélectorale. Les Ivoiriens se souviennent d’avoir connu un ambassadeur très actif sur le "front". Un ambassadeur, du reste, détesté par une certaine partie de la population qui jugeait votre action nocive avec un parti-pris flagrant. Vous arrive-t-il de repenser à ce grand moment de braise pour la Côte d’Ivoire ?
Bien sûr, je n’ai rien oublié de cette période tragique, active et difficile. Je crois qu'on a essayé de faire tout ce qu'on pouvait, dans le cadre des orientations reçues de Paris, pour essayer de sauvegarder la paix dans ce pays. C'était bien cela l'objectif principal. Parce que rappelez-vous qu'on était arrivé à une dérive terrible. Et, je crois que s'il n'y avait pas eu un terme à cela, à un moment donné, je ne sais pas ce que serait devenue la Côte d'Ivoire.
Les ordres de Paris semblaient clairs, à vous écouter. Laurent Gbagbo devait partir du pouvoir quel que soient les moyens. On se souvient que l’armée française sous mandat onusien est allée jusqu’à bombarder la résidence de l’ancien président. En votre intime conviction, si c'était à refaire, est-ce que vous référiez les choses comme vous les avez faites ?
Certainement pas par n’importe quels moyens. Mais oui, bien sûr. Je pense qu'il n'y avait pas autre chose à faire.
Est-ce à dire que, malgré les ans qui se sont écoulés, vous restez, comme la majorité de la communauté internationale, convaincu que Laurent Gbagbo n'avait pas gagné les élections de 2010 ?
Il est évident qu’il ne les avait pas gagnées ! Vous vous souvenez qu’en même temps que la CEI (Commission électorale indépendante, ndlr) collectait les résultats des différents bureaux de vote, l'ONUCI (opération des nations-unies pour la Côte d’Ivoire, ndlr) faisait la même chose à partir des mêmes procès-verbaux. Elle avait donc son propre décompte qui s’est révélé -et c’est heureux-être exactement le même que celui de la CEI. Effectivement, l’ONUCI avait reçu un mandat de la part du Conseil de Sécurité des Nations- Unies pour certifier les élections. C'est ce que le Représentant Spécial a fait, à l'époque. Et selon ces décomptes, Laurent Gbagbo a bien été battu par Alassane Ouattara. Il n’y a aucun doute à cet égard.
Finalement, cela n’a pas permis d’éviter le pire ; plus de 3000 morts. Seriez-vous en train de dire que si Laurent Gbagbo avait quitté tranquillement le pouvoir on n’aurait pas eu tous ces morts ?
Oui. C'est ce que je pense et je ne suis pas le seul. Je pense que s'il avait quitté le pouvoir, il n'y aurait pas eu tous ces événements dramatiques. Et, lui aurait eu une image internationale qui lui aurait permis d'être une sorte de modèle pour l'Afrique. Mais, il a choisi de s'accrocher au pouvoir. Et les choses ont dérivé.
Il serait alors coupable. Pourtant, après dix ans de procès à la CPI (Cour pénale internationale, ndlr) il a été définitivement acquitté en mars 2021. Depuis le 17 juin 2021, il est de retour au pays où il a même mis sur pied un nouveau parti politique, le PPA-CI. Est-ce à dire que vous n'êtes pas d'accord avec le verdict de la CPI ?
Je ne porte pas de jugement sur les décisions de justice, surtout une juridiction Internationale comme la CPI, même s’il faut bien savoir qui a tué ces 3000 personnes parce que les victimes ne peuvent pas être passées par pertes et profits.
Comment devrait-on savoir ? Par quelle méthode, si ce n’est par la justice ?
Mais, vous savez, le temps fait son œuvre. Les plaies se cicatrisent. Les réconciliations se font. Je crois que c'est là le plus important. Une fois le climat apaisé, il y aura le travail des historiens. Pour l'instant, je crois que le plus important est que chacun pense à l'avenir de la Côte d'Ivoire.
Vous êtes parti de la Côte d’Ivoire après votre mission à la tête de l’ambassade. Le bruit a couru que vous étiez un des conseillers du président Alassane Ouattara…
J'ai conservé des relations proches avec le Président Ouattara. Mais, je n'ai jamais eu de statut de conseiller spécial.
Si le président Ouattara se référait à vous, aujourd’hui, lui demanderiez-vous de re-actionner la justice par rapport aux 3000 Morts et aux nombreuses autres victimes ?
Non ! Je ne demanderai rien du tout. Je n'ai rien à demander. (...) Non, je n'ai pas dit qu'on retrouve les coupables. J'ai dit que les historiens le diront. Ils donneront, un jour, leur appréciation. Mais, vous savez, les historiens, il y en a toujours pour dire les choses d'un côté ou de l'autre. Donc, ce sera à chacun de faire la part des choses. Je crois qu'aujourd'hui, on n'est plus dans la poursuite des coupables. Aujourd'hui, on est dans la réconciliation. Il faut que le processus continue ainsi.
Avant 2011, aviez-vous des relations privilégiées ou une quelconque amitié avec le président Alassane Ouattara ?
Je n'avais pas plus de relations avec lui qu’avec les autres responsables politiques ivoiriens. Avant mon arrivée en Côte d’Ivoire, je l’avais rencontré à quelques reprises. Mais ce n'était pas le seul, j'avais aussi rencontré le président Bédié et Guillaume Soro. Laurent Gbagbo, je ne l'avais jamais rencontré, mais mes relations avec lui étaient bonnes jusqu’au 4 décembre 2010...
Une façon de dire que vos prises de position étaient purement dictées par Paris…
Un ambassadeur applique les instructions qu’il reçoit bien sûr, mais il a aussi une marge de liberté, notamment dans la mise en œuvre de celles-ci. Je dois dire qu’entre moi-même et le Quai d’Orsay et l’Elysée, il n’y a jamais eu la moindre divergence d’appréciation sur la situation et ce qui devait être fait. Encore une fois il s’agissait d’éviter la guerre civile et de revenir à la paix. C’est ce qui a été fait non ?
Source : adjuwa.net