C’est dans ce contexte que M. Lacina YEO, Professeur de littérature et de civilisation allemandes et par ailleurs Chef du département d’allemand à l’Université Félix Houphouët-Boigny s’est proposé de faire l’état des lieux de la coopération ivoiro-allemande. A l’issue de la deuxième Guerre mondiale, l’Allemagne fut divisée en deux entités distinctes : la République Fédérale d’Allemagne (RFA), capitaliste et la République Démocratique d’Allemagne (RDA), membre du système communiste. Dans la période de la Guerre Froide (1945-1989) caractérisée par un monde bipolaire, les deux Allemagnes, dont le but était d’avoir l’appui et l’adhésion des autres États à leurs systèmes politiques respectifs, projetèrent leurs rivalités en Afrique. A partir de 1955, l’Allemagne de l’Ouest instaure la « doctrine Hallstein» selon laquelle elle est la seule représentante légale de l'Allemagne. La RFA s'estime le seul État allemand légitime du fait qu'elle représente la majorité des Allemands, détient une grande partie du territoire allemand, et qu'elle est indépendante et démocratique, contrairement à la RDA. Cette doctrine, baptisée du nom de Walter Hallstein, alors secrétaire d’État ouest-allemand aux affaires étrangères du chancelier Konrad Adenauer, consiste à prononcer la rupture des relations diplomatiques avec tout État qui reconnaîtrait la République démocratique allemande.
A partir de l’année 1960, la RFA établit de façon significative des relations diplomatiques et commerciales avec la plupart des pays africains, nouvellement indépendants. La Côte d’Ivoire n’a eu des relations officielles avec la RDA que le 5 octobre 1984. Le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, père de la nation ivoirienne, avait fait le choix de reconnaître la RFA, dès les années 1960 et d’établir officiellement des relations diplomatiques avec elle. En retour, la RFA fut le deuxième pays après la France à reconnaître officiellement l’indépendance de la Côte d’Ivoire, proclamée le 7 août 1960. Le tout premier ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la Côte d’Ivoire en République Fédérale d’Allemagne SEM Amos Djoro Ernest, est nommé par le président Félix Houphouët-Boigny le 14 novembre 1960 par le décret n° 60-365. Du côté allemand, c’est SEM Theodor Axenfeld qui fut le premier ambassadeur près la République de Côte d’Ivoire en 1960.
Le président Félix Houphouët-Boigny effectua deux visites officielles en République Fédérale d’Allemagne : la première eut lieu en 1962 et la deuxième en 1967. Pour le président Houphouët-Boigny, le développement est un tout. «L’économie ne pouvant être la seule mesure de l’homme », il est, selon lui, indispensable de prendre en compte la dimension culturelle dans les stratégies de développement. Ainsi, «les Africains Nouveaux» doivent forger «une culture qui ne soit ni déracinée ni solitaire et qui sache s’affirmer et s’épanouir aux sources retrouvées et préservées de nos traditions et de nos valeurs les plus authentiques, tout en restant disponible aux courants extérieurs, dans ce qu’ils peuvent avoir de plus vivifiant et de plus assimilable. L’essentiel est de rester nous-mêmes, dans un monde où se multiplient les occasions d’aliénation et où l’on dialogue plus aisément avec la machine et les chiffres qu’avec l’homme et la nature» (Hartenburg 1990). Cette vision confère au père de la nation ivoirienne une plus grande disponibilité à s’appropier les best practices des Allemands. Disposé à améliorer sa situation culturelle nationale, voire à faire connaître sa culture de tradition africaine en dehors d’un monde strictement francophone, le président Houphouët- Boigny travailla à un rapprochement culturel plus constructif avec la RFA.
Deux Présidents fédéraux allemands, Heinrich Lübke et Karl Carstens, effectuèrent respectivement le 5 février 1969 et 22 novembre 1983 des visites officielles en Côte d’Ivoire. Pays en son temps relativement stable politiquement et prospère économiquement, la Côte d’Ivoire était présentée comme étant le pays modèle de l’Afrique occidentale. Le pays ayant adopté le libéralisme économique, la République Fédérale d’Allemagne trouva en elle un partenaire privilégié dans la sous-région. L’étroitesse des relations ivoiro-allemandes se traduit par l’implantation d’un bon nombre de firmes allemandes, la présence de la GTZ aujourd’hui GIZ, d’un Centre culturel allemand (Institut-Goethe), de fondations politiques et d‘un nombre important d’élèves et d‘étudiants apprenant l’allemand et les études germaniques dans les collèges et lycées et universités de Côte d‘Ivoire. L'effondrement du bloc communiste en Europe de l'Est entraîne la disparition de la RDA, qui est absorbée par la République fédérale d’Allemagne le 3 octobre 1990. Avec la fin de la Guerre Froide, la reconquête politico-idéologique et diplomatique de l’Afrique n’occupait plus une place de choix dans les relations germano-africaines, vu que l’Allemagne unifiée parlait désormais d’une seule voix. Pendant la décennie (1990-2000), on assiste à une européanisation et une multilatéralisation accrue de la politique africaine de l’Allemagne.
En outre, la quête de nouveaux marchés dans les pays de l’ancien bloc de l’Est demeurait un enjeu primordial pour le gouvernement fédéral allemand qui avait mobilisé des efforts considérables et axé sa politique extérieure sur un important investissement économique dans ces pays. Les relations germano-ivoiriennes n’ont pas échappé à la nouvelle donne. Ainsi, les relations entre l’Allemagne réunifiée et la majorité des pays africains subsahariens dont la Côte d’Ivoire ont subi des restrictions au niveau des échanges commerciaux et de l’aide au développement économique.
Toutefois, un peu plus tard, les autorités allemandes ont compris que les problèmes auxquels est confronté le continent africain en matière de sécurité et de pauvreté, peuvent avoir des conséquences - directes et indirectes - sur l’Europe et l’Allemagne. Cette prise de conscience des élites allemandes que « le bien-être de l’Afrique est dans l’intérêt de l’Allemagne» (Angela Merkel) se manifeste à travers une politique africaine allemande plus offensive, plus active dans le sens de la résolution et de prévention des différentes crises dont les conflits violents et la crise migratoire et du développement durable.Il paraissait désormais évident que la lutte contre les causes de la migration pouvait permettre de mieux lutter contre le départ de jeunes Africains vers l’Europe.
Au plan bilatéral, l´Allemagne, a, au moyen des instruments de sa coopération au développement tels que la KfW (banque allemande de développement) et la GIZ, fournit à la Côte d’Ivoire, une assistance technique et financière significative dans les secteurs de la santé, l’éducation, l’agriculture, la gouvernance et les énergies renouvelables. Cette coopération bilatérale, alignée sur les priorités nationales ivoiriennes, consignées dans le PND (Programme National de Développement), participe visiblement à la réalisation des dix-sept (17) objectifs de développement durable. Au plan multilatéral, l’Ex-chancelière Angela Merkel a été à l'origine d'une nouvelle vision du partenariat avec le continent africain, une politique africaine marquée par de nombreuses initiatives et par l’affirmation d’un «partenariat d’égal à égal». C’est dans cet objectif que le « Compact with Africa » a été lancé à Baden-Baden en mars 2017 par la présidence allemande du G20. A cet effet, trois pays africains, considérés comme des «champions des réformes», la Côte d’Ivoire, le Ghana et la Tunisie, bénéficièrent d’une aide supplémentaire.
Au pouvoir depuis Avril 2011, le président Alassane Ouattara effectua sa première visite officielle en Allemagne du 15 au 17 janvier 2013. Dans le cadre d’une rencontre avec Angela Merkel, le président Ouattara faisait le bilan de la coopération ivoiro-allemande en ces termes: « Depuis l’établissement en 1960 des relations diplomatiques entre l’Allemagne et la Côte d’Ivoire, notre pays a bénéficié au titre de l’aide bilatérale d’un montant global de 569,8 millions d’euros, soit 372,219 milliards de FCFA. L’Allemagne est intervenue, et continue de le faire encore, à travers ses Sociétés de coopération et de financement que sont le GIZ et le KfW, dans l’appui à de nombreux projets et programmes axés sur le développement rural. La République fédérale d’Allemagne se positionne ainsi comme le neuvième investisseur européen en Côte d’Ivoire, avec 12 milliards de FCFA, et le troisième partenaire commercial de la Côte d’Ivoire. » (Cf. Portail du Gouvernement ivoirien. « En visite de travail en Allemagne, le chef de l’État rencontre le parlement», [En ligne] Disponible sur http://www.gouv.ci/_actualite-article.php?d=1&recordID=3134&p=46).
Le président Alassane Ouattara a pris ensuite part aux différentes conférences sur le partenariat entre le G20 et l’Afrique subsaharienne qui ont eu lieu successivement en juin 2017, octobre 2018 et en novembre 2019 en Allemagne. Sous sa présidence du G20, L’Ex-chancelière aura réussi à placer l’Afrique au cœur de l’agenda des pays les plus industrialisés du monde. L’idée derrière est de favoriser les investissements privés dans les pays d’Afrique en soutenant les plus volontaires. La force de la proposition vient du fait que ce sont les pays qui définissent eux-mêmes les projets qui favorisent leur développement. Pour y parvenir, ils peuvent compter sur les institutions financières internationales, panafricaines et les partenaires du G20, qui leur fournissent leur expertise, des financements et leurs garanties. Le mercredi 29 novembre 2017, Angela Merkel prit part, aux côtés du président Ouattara, au 5ème sommet UA-UE d'Abidjan. Dans cette même dynamique et selon un rapport du ministère ivoirien des Affaires étrangères sur le G20 Compact with Africa (CwA), les efforts conjoints entre l’Allemagne et la Côte d’Ivoire ont permis d’obtenir « d’importants résultats tels que le retour de la Banque allemande KfW en Côte d’Ivoire, l’octroi d’une ligne de crédit de 100 millions d’euros (65,59 milliards de FCFA) par le gouvernement allemand pour le financement des projets dans le secteur des énergies renouvelables».
Lors d’une cérémonie prévue à Yamoussoukro le mercredi 08 février 2023, Angela Merkel, qui aura réussi à donner un nouveau souffle aux relations germano-africaines, recevra des mains de la directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay et du Président de la République de Côte d’Ivoire Alassane Ouattara, le prix Félix Houphouët Boigny- Unesco pour la recherche de la paix, édition 2022 en reconnaissance de son action pour l’accueil des réfugiés en 2015 dans son pays, l’Allemagne.
Maître de Conférences en littérature et civilisation allemandes, Chef du département d’allemand (Université Félix Houphouët-Boigny- Abidjan-Cocody)
Directeur du Centre d’Etudes et de Recherches Panafricaines et Globales (CERPAG)
Membre du CESER du Tchologo