Dans cet ouvrage de 153 pages, publié par les Editions Continents, dans la Collection Regards, le journaliste livre au lecteur, ces articles de presse et autres réflexions sur l’Afrique depuis les temps pharaoniques, jusqu’au premier frémissement de la démocratie multipartite. Il consacre notamment un chapitre à une interview que Gbagbo lui avait accordée en 1985, du temps où il était journaliste à « Afrique Nouvelle », et l’interviewé en exil en France. À l’occasion, l’opposant d’alors a livré sa conception de la démocratie. « La démocratie, le multipartisme, n’est pas pour nous, un objectif en lui-même, mais un moyen. Le multipartisme n’enrichit pas un pays ; le multipartisme ne donne pas à manger aux populations ; le multipartisme ne soigne pas les maladies et ne construit pas des écoles. Cela est bien clair dans notre tête », a-t-il dit d’entrée.
Puis, l’historien en exil d’ajouter : « Quand donc nous nous battons pour le multipartisme, c’est pour nous un moyen : il faut absolument que la plus grande partie de la population qui travaille pour qu’une minorité s’enrichisse (…) Il faut donc que cette majorité se voie garantir un certain nombre de droits : droit à la santé, au travail, à l’éducation, droit de ne pas vivre dans la peur du policier, dans la peur de la délation ».
Le regard sans complaisance du journaliste Lucien Houédanou
Plus loin, l’opposant s’offusque presque quand le journaliste lui dit qu’il y avait une « démocratie à l’ivoirienne », depuis 1980. « Quand j’entends le mot "démocratie" suivi d’un adjectif géographique, je me dis qu’il n’y a pas de démocratie. La démocratie est un système dans lequel les hommes et les femmes se regroupent entre eux, selon leurs affinités politiques dans des groupes appelés partis ou mouvements qui deviennent des concurrents sur l’orientation, un programme et des hommes pour exécuter ce programme. En choisissant un parti politique plutôt qu’un autre, le peuple choisit des hommes et un programme : c’est la démocratie ». (pp 125-127).
Ce concept de démocratie semble être devenu pourtant, galvaudé au point d’être perçu comme un fourre-tout. Portant un regard sur ce mode de gouvernement, Lucien Houédanou soutenait dans un article publié en 1994, dans la revue Questions actuelles, que l’Afrique pratique un vernis de démocratie, qu’il qualifie de « démocratie buissonnière ». « Nous faisons semblant de pratiquer la démocratie comme ces garnements qui font semblant d’aller à l’école et dont on dit qu’ils font l’école buissonnière. La démocratie buissonnière, c’est cette vue politique en trompe-l’œil qui consiste à ruser avec les principes de la démocratie, à se parer des signes extérieurs de ce système politique (multipartisme, élections pluralistes plus ou moins régulières…), tout en maintenant un état d’esprit et des pratiques instituant, en réalité, la confiscation, par une minorité, du pouvoir et des avantages indus qui en sont tirés », fait-il observer.