En visite à l’Ouest du pays, précisément dans les régions du Cavally et du Guémon, l’ancien chef de l’État, Laurent Gbagbo, y a tenu des propos à relents populistes. Notamment quand il a parlé des victimes de Duékoué, des infrastructures socioéconomiques dont est dépourvu l’intérieur du pays et des difficultés d’insertion professionnelle des diplômés.
Dès son premier meeting tenu à Duékoué le vendredi 8 avril 2022, Laurent Gbagbo a annoncé les couleurs. Voulant exhorter le peuple wê à pardonner et à s’inscrire dans la réconciliation, il s’est livré à une catégorisation des victimes. « Une paix durable en Côte d’Ivoire ne viendra que des vraies victimes que sont les Wê. Car le pardon d’un bourreau n’a aucun sens », a déclaré l’ancien Président dès le premier meeting de Doukoué. En désignant les Wê comme les « vraies victimes », Gbagbo tend à nier les autres crimes perpétrés sur des résidents de la ville qui ne sont pas Wê. Il laisse sous-entendre, en effet, que ces autres victimes de guerre sont de « fausses victimes ». Cette discrimination qu’opère l’ex-chef de l’État s’apparente à du négationnisme. Elle tend, en effet, à occulter la fin tragique de tous ces citoyens de Duékoué, mortellement fauchés par des miliciens favorables au camp Gbagbo, au plus fort de la crise post-électorale. Des témoignages de rescapés, documentés, font état de plusieurs personnes massacrées par des miliciens, parce que prises pour des partisans d’Alassane Ouattara. Ce sont ces citoyens auxquels des miliciens ont ôté la vie que l’ex-chef de l’État taxe, sans morgue, de « fausses victimes », par opposition aux « vraies victimes » que sont les Wê. Il y a, là, manifestement, une compassion sélective.
Prétendu défenseur des paysans et diplômés sans emploi
Après le meeting de Duékoué, Gbagbo s’est également livré à son jeu favori à Guiglo : le populisme. Dans cette autre grande ville de l’Ouest du pays, il a déploré le sous-emploi des jeunes diplômés avec l’intention de se poser en défenseur des causes du petit peuple, des plus défavorisés. En effet, dépeignant le sort des paysans, notamment des cacaoculteurs, il a indiqué que, faute d’avoir suffisamment de ressources financières pour envoyer leurs enfants faire des études à l’extérieur, ceux-ci sont réduits à faire de petits boulots après leurs diplômes. « Le paysan qui a 15-10 hectares de cacao qui ne peut envoyer ses enfants en Europe, il fait quoi, il fait comment ? Il regarde son enfant qui a le BAC et la licence. Quand l’enfant n’a pas de travail, il devient instituteur. On regarde tout ça et on est content. On ne doit pas l’être. C’est un échec. On doit lutter contre cet échec… », a-t-il soutenu. Et de renchérir : « Je ne peux pas me contenter de voir des bacheliers être chauffeur de taxi à Abidjan. Je ne peux pas me contenter de regarder des gens à la licence chercher une place d’instituteur, gérants de cabine. Non, non la Côte d’ivoire vaut mieux que ça ». Par ces mots, l’ex-chef de l’État sous-entend que, sous Ouattara, la situation des jeunes diplômés est déplorable. Ce qu’il ne dit pas, c’est que la réalité qu’il dépeint avec tant de démagogie, n’a pas surgi avec l’arrivée au pouvoir de Ouattara. Elle prévalait durant sa gestion du pouvoir. Qu’avait-il apporté comme solution à cette précarité des diplômés ? Si tant est qu’il s’en préoccupait tant, qu’avait-il fait pour sortir ces fils de paysans de derrière les cabines téléphoniques ? Rien. Là où son successeur, lui, s’est employé et s’emploie encore à insérer des milliers de jeunes, soit en leur offrant un emploi, soit en finançant leurs projets.
À Guiglo, Gbagbo a également évoqué le prix du cacao, qu’il juge défavorable aux paysans, faute de ne pas être fixé par les pays producteurs phares que sont la Côte d’Ivoire et le Ghana. « Vous voyez, par exemple pour le cacao, le café, aujourd’hui, ce sont des prix d’achat qu’on fixe. Je me suis battu pendant 10 ans pour qu’on fixe un prix de vente. Ce n’est pas la même chose. Le prix d’achat est fixé par l’acheteur et le prix de vente devrait être fixé par le vendeur. Donc, j’ai demandé à ce que l’Institution à Londres vienne en Côte d’Ivoire et on l’a installé à Abidjan dans le bâtiment de la CAISTAB. Mais on s’est arrêté là », a-t-il argué. Puis l’ex-chef de l’État d’ajouter : « Or, il aurait fallu que les producteurs de cacao, le Ghana et la Côte d’Ivoire, qui à eux deux produisent 62% de la production mondiale de cacao, se mettent d’accord. Nous produisons 40% et le Ghana 22%. Mais il faut faire ce travail, il faut lutter entre le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Cameroun pour que nous arrivions à avoir un prix de vente du cacao. Mais cette politique que j’ai entreprise est restée là sur les bords des chemins, parce qu’on n’a pas eu le courage et la force de s’opposer un peu aux acheteurs. Il faut se battre. Mais, il y en a qui ne se battent pas. Il faut se battre pour avoir tout… ».
Prétendu désert d’infrastructures à l’intérieur du pays
Qui n’a pas vu Gbagbo gouverner, se surprendrait en train d’applaudir ces propos sur le prix du cacao. Lui qui soutient qu’il faut se battre pour avoir tout, a-t-il vraiment fait bouger les lignes durant les années qu’il a passées au pouvoir ? Sous sa mandature, le prix du cacao a rarement atteint les 1000 FCFA. Or, il avait promis l’acheter à 3000 FCFA du temps où il était dans l’opposition. Où donc était passé l’homme combatif qu’il dit être aujourd’hui pour que cette belle théorie qu’il énonce si brillamment, n’ait pas été traduite en acte en 10 ans de mandature ? On voit bien qu’on est là, en plein dans la rhétorique populiste.
Last but not least : les propos démagogiques de l’ancien chef de l’État sur les infrastructures socioéconomiques dont l’intérieur du pays serait dépourvu au profit de la capitale économique, Abidjan. « Il faut qu’on établisse déjà un principe clair : Abidjan n’est pas toute la Côte d’Ivoire. Abidjan n’est pas toute la Côte d’Ivoire. Et donc, il est juste de faire des investissements à Abidjan, car Abidjan est aussi la Côte d’Ivoire, mais il faut faire des investissements ailleurs, partout, à l’intérieur de la Côte d’Ivoire. Il n’est pas normal qu’à Abidjan, on ait de l’eau en abondance et en surabondance et qu’à Boundiali, à Guiglo, à Guezon, on n’ait pas d’eau. Ce n’est pas normal. Ce n’est pas normal qu’une partie de la population ait des éléments minimums pour vivre et que la majeure partie du pays n’ait pas ces éléments minimums pour vivre », s’est fendu l’hôte des populations wê. Qui a encore martelé : « Si Abidjan a trois ponts luxueux, il faut qu’à Guiglo, au moins, il y ait un pont. Mais je ne peux pas avoir trois ponts luxueux à Abidjan et ne pas pouvoir rentrer à Guiglo. Un Ivoirien est égal à un Ivoirien. Partout où se trouve l’Ivoirien, il doit être à l’aise, parce qu’il est chez lui ».
Ces propos, on l’aura compris, sont de la pure démagogie. Car, durant ces onze dernières années de gestion du pouvoir par Alassane Ouattara, plusieurs infrastructures socioéconomiques ont été construites aussi bien à Abidjan qu’à l’intérieur du pays. Le pont de Bouaflé, le pont de Bettié, les routes Adzopé-Bettié, Adzopé-Yakassé, Dimbokro-Bocanda, Boundiali-Tengrela, Tiébissou-Didievi, pour ne citer que ces quelques réalisations. Sans compter les 7000 localités électrifiées sur un peu plus de 8000 et tous ces édifices sanitaires sortis de terre, dont les flambant neufs CHR d’Aboisso et d’Adzopé. Gbagbo donne dans le populisme quand il tente de faire croire que toutes ces réalisations sont concentrées à Abidjan. Lui qui ne s’est pas illustré comme un bâtisseur durant la « décennie perdue », devrait se garder d’un tel faux pas.
Assane Niada