Les textes fondateurs de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) reprouvent les coups d’État et autres prises de pouvoir par la force. C’est au nom de ce principe autrefois sacro-saint, que la CEDEAO se dressait contre les auteurs de coups d’État au point de les pousser à faire machine arrière. Quand il a pris le pouvoir par la force en mars 2012 en renversant le président en exercice Amadou Toumani Touré dit ATT, le capitaine Amadou Haya Sanogo croyait pouvoir en jouir bonnement, quand il s’est heurté à l’intransigeance de la CEDEAO. Sous la houlette d’Alassane Ouattara, alors président en exercice, l’organisation sous-régionale s’est dressée sur le chemin du putschiste.
Les succès antérieurs de la CEDEAO
Après des pressions tous azimuts, Amadou Haya Sanogo, a fini par lâcher prise, un mois après son coup de force. « Nous prenons l'engagement solennel de rétablir à compter de ce jour (ndlr : dimanche 1er avril 2012), la Constitution de la République du Mali du 25 février 1992, ainsi que les institutions républicaines. Toutefois, compte tenu de la situation de crise multidimensionnelle que vit notre pays et afin de permettre une transition de bonnes conditions et de préserver la cohésion nationale, nous décidons d’engager sous égide du médiateur des consultations avec toutes les forces vives du pays dans le cadre d’une convention nationale, pour la mise en place d’organes de transition, en vue de l’organisation d’élections apaisées, libres, ouvertes, démocratiques auxquelles nous ne participerons pas », a déclaré le chef de la junte, le capitaine Amadou Haya Sanogo, suite à des discussions avec des émissaires de la CEDEAO avec à leur tête, le président burkinabé d’alors, Blaise Compaoré.
La CEDEAO s’est voulue également intraitable quand, le 17 septembre 2015, le général Gilbert Diendéré a tenté d’écourter la transition conduite par le civil Michel Kafando, installé après qu’un soulèvement populaire a conduit à la chute de Blaise Compaoré le 31 octobre 2014. Moins d’une semaine après sa tentative de prendre le pouvoir par la force, il a jeté l’éponge, sous la pression de l’organisation sous-régionale. « Après les négociations menées par la CEDEAO qui ont abouti à un projet d’accord… Nous, Général de brigade Gilbert DIENDERE, Président du CND, le Régiment de Sécurité Présidentielle (…) confirmons notre engagement à remettre le pouvoir aux autorités civiles de la Transition, à l’issue de l’accord définitif de sortie de crise sous l’égide de la CEDEAO », a-t-il déclaré dans un communiqué produit le 21 septembre 2015. Une fois encore, par sa fermeté, la CEDEAO a réussi à faire plier l’échine à un putschiste.
Last but not least : c’est encore l’intransigeance de la CEDEAO qui a eu raison de la tentative du président gambien d’alors, Yahya Jammeh, de s’accrocher au pouvoir après avoir d’abord, reconnu sa défaite à l’élection présidentielle de 2016, avant de faire volte-face. Pour l’amener à renoncer à sa tentative de conserver le pouvoir par la force après avoir perdu dans les urnes, la CEDEAO lui a mis la pression. Après l’avoir menacé de « décisions draconiennes », l’organisation sous-régionale a brandi le recours à la force pour bouter dehors, le satrape de Banjul. Voilà comment Yahya Jammeh a finalement lâché prise et pris le chemin de l’exil le 21 janvier 2017.
Le laxisme de la CEDEAO
Comment alors expliquer que cette CEDEAO qui a glané de tels succès, se soit affaissée trois ans seulement après, au point d’être réduite aujourd’hui à prendre acte des coups d’État et mendier presque le départ des putschistes du pouvoir ? En effet, trois ans après qu’elle a réussi à briser la manœuvre du dictateur Jammeh visant à s’arc-bouter au pouvoir après une défaite électorale, la CEDEAO a assisté, comme tétanisée, à la prise du pouvoir par coup d’État au Mali. Sous ses yeux, le colonel Assimi Goïta a renversé par les armes, le 18 août 2020, le président en exercice Ibrahim Boubacar Kéita. Plutôt que de faire preuve d’une réaction sans concession à son égard, la CEDEAO s’est montrée conciliante : elle a pris acte et s’est mise à négocier sa durée au pouvoir.
Une attitude pour le moins complaisante qui a sans doute favorisé la perpétration d’un autre coup d’État en Guinée, cette fois, le 5 septembre 2021, par le colonel Mamadou Doumbouya. Surfant sur la mollesse de la CEDEAO face aux auteurs de coups d’État, il a lui aussi, négocié son maintien au pouvoir dans un délai que l’organisation sous-régionale lui a concédé. Il n’en fallait pas plus pour aiguiser l’appétit d’un autre militaire, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Celui-ci a, en effet, renversé le 24 janvier 2022, le président en exercice Roch Marc Christian Kaboré. Lui aussi, bénéficiera de la clémence de la CEDEAO et négociera, à son tour, une durée pour se maintenir au pouvoir.
Et comme il fallait s’y attendre, cette mansuétude de l’organisation a été interprétée comme un blanc-seing donné à tout militaire désireux de faire parler la poudre pour prendre le pouvoir. C’est ainsi que l’on pourrait expliquer l’irruption du capitaine Ibrahim Traoré dans le fauteuil présidentiel qu’occupait jusque-là, son frère d’armes Paul-Henri Damiba. Celui-ci a, en effet, renversé Damiba le 30 septembre 2022, soit 8 mois après le coup d’État du tombeur de Roch Kaboré. Un énième coup de force qui sonne comme un pied de nez à la CEDEAO, perçue désormais par les candidats au putsch comme un tigre en papier.
Assane Niada