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DOSSIER/ Victimes d’accidents de la circulation-Les blessés, ces « morts » avant la mort: Des témoignages poignants

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Les accidents engendrent des blessés dont la vie est généralement brisée à jamais. (Ph : DR)
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Selon le ministère des Transports, l’on dénombrait en 2021, 14 234 accidents de la circulation en Côte d’Ivoire, ayant entraîné 21 201 blessés dont 65% de cas graves. Une fois que les médias se font l’écho de ces accidents, les blessés tombent dans l’oubli. Que deviennent-ils ? L’Avenir est allé toucher du doigt, le calvaire de quelques-uns parmi eux.

Technicien agricole de son état, Koffi Jeannot, 37 ans, a vu sa vie brisée, un soir du 26 décembre 2023. Ce jour-là, il se rendait dans la localité d’Azaguié Awa, dans le cadre de ses activités champêtres, quand sa moto a été percutée par un minibus, communément appelé gbaka. Depuis lors, il vit cloîtré dans la modeste cour familiale à Azaguié Awa. Gravement blessé dans cet accident, il ne parvient plus à se tenir sur ses jambes et est réduit à passer ses journées sur le lit, dans un réduit tenant lieu de chambre. C’est que Jeannot a eu la colonne vertébrale cassée lors de l’accident. « J’ai été transféré à l’hôpital d’Azaguié. Là-bas, ils ont essayé de me faire asseoir, mais je criais : mon dos, mon dos !  Or, c’est ma colonne vertébrale qui était cassée. Puis, j’ai perdu connaissance. C’est le lendemain que je me suis réveillé au CHU d’Angré où on m’a conduit. C’est là-bas qu’il m’a été révélé que j’ai la colonne vertébrale fracturée. J’étais comme cassé en deux. C’était douloureux ! », se souvient-il.

Chassé de l’hôpital avec une colonne vertébrale cassée

Faute d’argent pour bénéficier de soins adéquats, il traîne encore aujourd’hui, les séquelles du drame. « Nous avons dépensé plus de 200 000 F CFA pour les examens et premiers soins au CHU d’Angré. Puis, ils m’ont transféré à l’hôpital général du pont de Treichville. Cinq jours après, les médecins ont demandé 3 millions F CFA pour l’intervention chirurgicale de la colonne vertébrale. On a pu avoir un peu plus de 300 000 F CFA. On a demandé aux médecins de nous laisser un peu de temps pour réunir la somme exigée avant l’opération chirurgicale », raconte-t-il. Et de poursuivre : « Après près de 26 jours, les médecins sont revenus nous dire qu’ils ne font pas d’hospitalisation là-bas, mais uniquement les opérations chirurgicales. Ils nous ont donc demandé de rentrer à la maison et quand on aura réuni les 3 millions FCFA, de revenir, alors que j’étais encore dans un état critique avec une colonne vertébrale cassée. Et ils ont ajouté : On ne vous chasse pas. Voilà comment je me suis retrouvé à la maison. »

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Devenu impotent, il s’accroche au maigre espoir d’être sauvé. Impécunieux, ses parents décident alors de s’en remettre aux services d’un tradipraticien dont ils ont entendu parler, du côté de Bongouanou. « Vu qu’on n’arrive pas à avoir les 3 millions FCFA, on a pris attache avec lui et il est venu ici. Après avoir vu les scanners, il a dit qu’il pouvait faire quelque chose. Il nous a demandé un certain nombre de choses pour commencer le traitement. Nous avons dépensé un peu plus de 40 000 FCFA. Chaque semaine, il devait venir de Bongouanou et pour cela, on devait payer son transport. Au bout de deux mois, j’ai recommencé à m’asseoir. Je rends grâce au Seigneur, car en quittant l’hôpital dans mon état pour la maison, j’avais perdu espoir. Je me disais que je partais mourir », nous explique le jeune technicien agricole.

Devenu un fardeau pour les siens

Livré à lui-même, Jeannot vivote aux côtés d’une mère moralement abattue. « C’est pénible. Je suis devenu un fardeau pour mes parents. Je n’arrive pas à me mettre debout. Pour pouvoir sortir de la chambre, il faut qu’on me soulève, s’il n’y a personne pour me soulever, je reste couché », confie-t-il, la voix empreinte d’amertume. À ses soucis de santé, s’ajoutent des difficultés économiques : « Avant l’accident, je m’occupais d’une plantation de maraîchers, que j’ai démarrée en partenariat avec un Français, ancien employé d’Air France à la retraite. Depuis l’accident, le champ est à l’abandon en brousse.

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J’avais également pour mon propre compte, une plantation de cacao dont je ne peux plus m’occuper. Or, le cacao, ça s’entretient ». Pour ne rien arranger, sa financée, avec qui il vivait avant l’accident, l’a quitté pour aller « se chercher » au Maroc, après l’avoir soutenu dans les premiers moments ayant suivi le tragique accident. « J’ai dû arrêter mon travail de femme de ménage que je faisais à Bingerville pour venir au chevet de mon fils. Je vends désormais des médicaments à l’indigénat ici. C’est avec le peu que je gagne que je fais à manger pour lui et les autres. On prend une partie de cet argent pour faire face à ses dépenses de traitement. J’appelle l’État ou les bonnes volontés à nous venir en aide », implore sa mère, Kouassi N’goran Henriette.

Il perd sa jambe, sa femme le quitte

Comme Koffi Jeannot, Djê Bi Honoré a vu lui aussi, sa vie basculer suite à un accident de la circulation. Ce 30 septembre 2022, il était à moto, en provenance de la localité de Songon où il résidait avec son épouse et leurs cinq enfants. « Ce jour-là, il était aux environs de 17 h quand l’accident s’est produit. Le chauffeur de la semi-remorque ne s’est pas arrêté », se rappelle ce maçon de 43 ans. « Les gens ont joint mon frère par téléphone et il est venu me chercher avec sa voiture pour me déposer à l’hôpital général de Dabou. Arrivé là-bas, ils m’ont prodigué les premiers soins. Le lendemain, l’ambulance m’a transféré au CHU de Cocody. Là-bas, on nous exigeait une certaine somme pour que je sois opéré. Mais on n’avait pas cet argent. C’est ainsi que ma famille m’a sorti du CHU pour m’envoyer dans une clinique où mes parents ont dépensé plus d’un million de FCFA pour les frais médicaux et l’opération d’amputation de la jambe que j’ai subie », renchérit-il.

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Sorti de l’accident avec la jambe droite irrécupérable, il a dû subir une amputation. Puis, lui et les siens ont pu acheter les prothèses dont il avait besoin pour des séances de rééducation. « Ça nous a coûté 270 000 FCFA », se souvient-il. Du fait des incapacités engendrées par l’accident, il a dû arrêter l’activité de maçon dont il faisait vivre sa famille. « N’ayant plus de ressources pour subvenir aux besoins de ma famille, ma femme avec qui j’étais marié légalement, m’a quitté. Ma famille s’est disloquée », soupire-t-il. Il a finalement décidé de retourner dans la cour familiale à Bouaflé, ne parvenant plus désormais à payer le loyer du logement de Songon où il vivait avec sa famille. « À Bouaflé, je ne travaille pas. Et comme je n’ai rien, je mange une fois par jour », raconte le désormais infirme, qui dit sentir encore des douleurs aux genoux, quand il marche sur une certaine distance.

Il dit fonder son seul espoir sur l’indemnisation qu’il attend de l’assurance du véhicule, auteur de l’accident. « Au fur et à mesure que l’assurance tarde, je ne sais pas ce qui peut m’arriver. Est-ce que c’est quand je vais mourir qu’ils viendront donner l’argent que j’attends ? », se désole Djê Bi Honoré.

La hanche brisée, elle quitte l’hôpital sans soins

À des centaines de kilomètres de Bouaflé, dame Somé Yêrêbô vit la même galère. En décembre 2020, elle a été victime d’un accident de la circulation à Yopougon Gesco, non loin de la pharmacie Alicia. Alors qu’elle s’apprêtait à traverser la voie, elle a été percutée par un « gbaka » qui a pris la fuite. « Ce jour-là, je suis partie du quartier Koweït pour me retrouver à Gesco où je partais voir une connaissance pour m’aider à reprendre une activité, après avoir tout perdu à Cocody, suite aux opérations de déguerpissement. Un « gbaka » m’a renversée quand je voulais traverser la route. Le chauffeur ne s’est pas arrêté. J’ai eu la hanche et le poignet droit cassés », raconte-t-elle. « On m’a conduite à l’hôpital de Yopougon Koweït. Là-bas, les médecins m’ont demandé 2 ou 3 millions de FCFA avant de faire mon opération.

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Et comme je n’ai rien, on m’a chassée de l’hôpital. Depuis que je suis rentrée à la maison, je ne bénéficie d’aucun traitement », ajoute cette jeune dame, d’une quarantaine d’années, anciennement vendeuse de boisson « tchapalo » à Cocody (Ndlr, une bière de mil traditionnelle, brassée essentiellement par les populations de l'Afrique sub-sahélienne) .    

« Elle a dû partir de l’hôpital parce qu’elle n’avait pas la somme réclamée par les médecins pour faire face aux frais d’opération. Elle a donc dû se traiter comme elle pouvait à l’indigénat », témoigne veuve Silué née Tahi Françoise, une riveraine qui a décidé de voler au secours de Somé Yêrêbô. Elle a été touchée par le sort de cette femme qui squattait presque quotidiennement les alentours de son domicile à Yopogon Gesco, où elle marquait une halte pour souffler avant de reprendre son chemin.

De vendeuse de « tchapalo » à une vie de légume

Depuis l’accident, elle éprouve des difficultés pour marcher à cause de la fracture de sa hanche qui n’a toujours pas bénéficié de soins appropriés. « Jusqu’à présent, elle éprouve des difficultés pour marcher. Elle n’arrive pas non plus à bien dormir à cause des douleurs dues à la fracture de sa hanche. Avec sa main droite qui est fracturée, elle n’arrive pas à prendre quelque chose », raconte la bienfaitrice de cette femme qui n’a pas d’enfant. « Elle ne prend pas de médicament, aucun antiinflammatoire. Même si elle va à l’hôpital et qu’on lui donne une ordonnance, elle ne pourra pas acheter ses médicaments », renchérit veuve Silué. Qui ajoute : « Elle a besoin d’argent pour ses soins. Elle n’a même pas de béquilles. Elle se déplace avec un bois. Les assurances ne font rien pour elle. On ne sait plus ce qu’il faut faire ».

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Du fait des séquelles de l’accident, Somé Yêrêbô n’arrive pas à faire grand-chose pour gagner sa vie comme du temps où elle vendait du « tchapalo » à Cocody et faisait louer des baraques qu’elle avait fait construire. « Elle ne peut pas faire quelque chose pour avoir de quoi manger. Si vous voyez où elle loge, vous allez couler des larmes », confie encore sa bienfaitrice. « Jusque-là, je l’aidais du mieux que je peux. Mais avec le récent décès de mon mari, je n’arrive plus à faire grand-chose pour elle. Je ne peux cependant la laisser tomber », conclut veuve Silué, non sans adresser ses remerciements à l’ONG Peniel qui l’aide à suivre son dossier en vue de son indemnisation.

Assane Niada

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