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Reportage/ Digifemme Academy/Étudiantes, travailleuses, entrepreneures... À la découverte de l'académie qui transforme les femmes en génie de l'informatique

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Les différentes composantes de DigiFemmes
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Déscolarisées, étudiantes ou salariées en quête de reconversion, des centaines de femmes sont en voie de devenir des as en compétences numériques. Une opportunité que leur offre DigiFemmes Academy, un programme introduit en Côte d’Ivoire en 2022. Incursion dans son campus de Cocody Bonoumin.

Cadre dans une entreprise du Btp depuis une douzaine d’années, Mme Kamelan fait partie de la cohorte de 150 femmes admises à intégrer DigiFemmes Academy, une composante du programme DigiFemmes, dirigé par Mme Nadine Zoro N’guettia. Âgée de 46 ans et mère de 2 enfants, elle rêvait d’une reconversion après tant d’années passées dans le Btp. C’est ainsi que son chemin croise celui de DigiFemmes, un programme exclusivement réservé aux femmes. Lancé en octobre 2022, ce programme ambitionne de former, sur 3 ans, 450 femmes ivoiriennes essentiellement, en compétences numériques telles que l’intelligence artificielle, le développement d’application mais aussi le leadership et l’entrepreneuriat, avec pour finalité d’en faire des entrepreneures de demain, à défaut leur assurer un emploi.

Ambiance sur le campus

Voilà bientôt un an que Mme Kamelan vit son rêve de se reconvertir dans l’entrepreneuriat digital. Son entrée à DigiFemmes Academy est un véritable saut dans l’inconnu. Aussi se consacre-t-elle à cette formation. Le jeudi 2 novembre 2023, quand nous foulons le campus de DigiFemmes, sis à Cocody Bonoumin, elle a la tête dans le guidon. Comme du reste la centaine de femmes déjà occupées à taper le clavier à cette heure de la journée. Attablées par groupes dans des salles ou sous des chapiteaux installés dans la cour, les apprenantes conversent tout en ayant les yeux plongés dans leurs écrans d’ordinateurs. Dans la dizaine de pièces que compte la résidence abritant ce campus, l’heure est aux études, notamment dans une vaste salle sur laquelle donne une baie vitrée. Une trentaine de femmes s’apprêtent à y passer un test d’évaluation dont les copies sont distribuées sous nos yeux.

De temps à autre, s’élèvent des voix de certaines qui sortent pour répondre à un coup de fil en faisant grincer la vitre de la baie vitrée chaque fois qu’elles vont et viennent. Au même moment, d’autres jeunes femmes arrivent sur le campus au compte-gouttes. « A la phase de DigiFemmes Academy, on exige une présence de 30h par semaine sur le campus, qui est ouvert de 8h à 20h, du lundi au

dimanche. Vous venez les jours que vous voulez et aux heures que vous voulez pourvu qu’en fin de semaine vous totalisiez les 30h de présence », explique Kate Assi, Responsable marketing et communication de DigiFemmes. Chacune de ces femmes a dû passer par plusieurs étapes de sélection avant d’en arriver là. « Il y a un premier test qui est fait en ligne. Vous vous inscrivez à partir de votre adresse mail. Il y a deux exercices. Je vous assure que c’est un vrai casse-tête. J’ai échoué la première fois. C’est la deuxième fois que ça a marché, par la grâce de Dieu », témoigne Mme Kamelan. Qui dit s’être lancée dans cette aventure pour embrasser une nouvelle carrière, après près de 12 ans passés dans le Btp.

De la présélection à la « piscine » : que de sacrifices !

Mais la reconversion ne s’annonce pas une sinécure, vu les obstacles qu’il a fallu franchir les uns après les autres pour être admise à DigiFemmes Academy. « Après ce premier test, il y a un deuxième test qu’on appelle la piscine, qui n’a rien à voir avec une vraie piscine. C’est une façon de dire qu’on s’imprègne du métier de codeur, de développeur. On vous donne un ordinateur et on vous dit que vous devez vous battre pour apprendre par vous-même en vous faisant aider, les unes par les autres. C’était chaud ! », se remémore cette quadragénaire. Qui a dû consentir d’autres sacrifices pour respecter les exigences horaires de l’étape de la piscine : « Comme je n’ai pas de nounou à la maison, j’ai éduqué mes enfants à intégrer à leurs habitudes le nouveau programme que m’impose cette formation: à 5h, tout le monde sort de la maison, à 19h tout le monde rentre. Quand je ne viens pas vite, mon mari va les récupérer ».

Des difficultés par lesquelles sont également passés tous ses condisciples. « Quand je décide de postuler, je me rends compte qu’il y a deux jeux : un de mémoire et l’autre de réflexion. Le premier, je l’ai fait rapidement mais le second m’a posé plus de difficultés. Ce n’était pas facile. La première fois, j’avais échoué, c’est à la deuxième tentative que ça a marché », confirme Flavie Ama, 28 ans, titulaire d’un BTS en Informatique et Développement d’Application (Ida). Elle aussi a dû revoir ses habitudes. « J’ai été obligée de quitter Yopougon où j’habitais pour venir vivre chez mon oncle qui habitait non loin de la clinique Saint Viateur où se faisait la piscine à l’époque. J’y suis restée pendant tout le mois qu’a duré la piscine », renchérit-elle. Comme elle, Cissoko Awa Barakissa, 23 ans, étudiante en Sciences économiques à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, était tiraillée entre ses cours à l’université et sa formation. « Moi, j’étais en examen à l’université. Je quittais ici aux environs de 16h pour retourner à l’université bosser avant de rentrer à la maison. J’ai continué ainsi jusqu’à la fin de mon examen. Et les trois dernières semaines, j’étais pleinement ici, de 8h à 20h. Ça a été très stressant pour moi », se souvient-elle.

8000 appelées, 150 « élues »

Passé ces moments de stress, Mme Kamelan, Flavie Ama et Awa Barakissa ont finalement été admises à suivre la formation de 24 mois à laquelle donne droit l’accès à l’Academy. Un véritable exploit ! D’autant que pour la première cohorte de novembre 2022, dont font partie Mme Kamelan et Flavie Ama, ce sont 150 femmes qui ont été retenues sur plus de 8000 qui ont postulé pour cette formation. Pour la deuxième cohorte, dont la sélection a commencé au mois de mai de cette année, ce sont 150 autres femmes qui ont été recrutées sur près de 4000 qui se sont essayées au premier test de sélection. Au total, ce sont donc 450 femmes qui seront outillées aux compétences numériques et à l’entrepreneuriat.

Mais à cette étape encore, les apprenantes vont devoir éprouver leur résilience. Car elles seront confrontées non seulement à des connaissances qui étaient jusque-là étrangères à la plupart d’entre elles mais aussi à une méthode de pédagogie non académique. « Dans le Btp, on parle plutôt chantier, travaux publics, Bao. Ce qu’on fait ici n’a rien à voir avec tout cela. C’est ici que j’ai découvert qu’il y a un outil qui permet de coder qu’on appelle le VS Code, que j’ai découvert le langage Go dont je n’avais jamais entendu parler ainsi que des notions comme Java, Html », raconte Mme Kamelan, qui est de la première promotion ayant débuté la formation il y a un an. Issue de la première promotion elle aussi, Flavie Ama ne dit pas autre chose. « Pour avoir été formée en informatique et développement d’application, je connaissais déjà certains langages mais pas le langage Go. C’était tout nouveau pour moi. Ce n’était donc pas facile. Mais comme on s’entraidait et qu’on bénéficiait de l’assistance de nos encadreurs, on arrivait à progresser », admet-elle.

Une pédagogie innovante

Selon la Responsable de DigiFemmes Academy, Sandra Takassi-Kikpa, la formation consiste à « fabriquer » des spécialistes en intelligence artificielle, cybersécurité, développement d’application web, blockchain. Cela passe par l’apprentissage du codage et du langage de programmation qui va avec et par la maîtrise des outils du développeur web etc. Et tout cela, à travers une approche d’apprentissage par les pairs faisant appel à l’intelligence collective. « Depuis deux semaines que nous avons commencé, nous avons assisté à des miniconférences et des workshops (atelier collaboratif dont l’objectif est de trouver de manière collective différents éléments de réponse sur un sujet préalablement défini, Ndlr). Nous avons aussi appris des soft skills (Selon le

dictionnaire d’Oxford, désigne des « attributs personnels qui permettent à quelqu’un d’interagir efficacement et harmonieusement avec d’autres personnes», Ndlr), qui nous démarquent un peu des autres développeuses », se réjouit Sandrine Soumayé, 22 ans, étudiante en Master d’anglais à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, qui fait partie de la deuxième promotion. « Les trois premières semaines étaient consacrées au personal branding (Le personal branding est une pratique qui consiste pour un individu à promouvoir lui-même son image et ses compétences par le biais des techniques marketing et publicitaires utilisées habituellement pour promouvoir une marque, Ndlr), au bootcamp (Les bootcamps sont des formations intensives sur un temps court (en général de 4 à 12 semaines). Ces cours, basés sur la pratique, ont pour objectif de vous rendre opérationnel rapidement pour répondre aux demandes et aux exigences du marché, Ndlr), comment gérer les mails, en somme, beaucoup de connaissances liées au monde professionnel que d’autres n’ont pas quand ils font du coding », indique pour sa part Awa Barakissa, également de la deuxième cohorte.

Comme on s’en doute, le langage de programmation et l’approche méthodologique, fondée sur l’apprentissage par les pairs, ne sont pas toujours accessibles aux novices, d’où l’assistance de tuteurs dont bénéficient les apprenantes. « Notre rôle, c’est de les accompagner. On commence par la piscine où on leur apprend les bases du coding pendant un mois de formation intense, avant d’entamer la phase des projets. On les coache en leur donnant des conseils, en leur apprenant à régler des pannes sur l’ordinateur, à créer un compte sur les réseaux sociaux etc. Notre mission consiste également à les aider sur le plan du leadership. Quand certaines sont découragées par les difficultés qu’elles rencontrent lors du coding, on intervient pour les pousser à aller jusqu’au bout », explique Attes Agnimel Théodore, Technical Tutor à DigiFemmes.

Des apprenantes remportent déjà des prix

Cette formation donne déjà des résultats. Au dire de la manager de DigiFemmes Academy, le mois d’octobre dernier, trois jeunes femmes, issues de l’académie, se sont classées 2e lors d’une conférence internationale intitulée « Repenser l’Europe en défendant la démocratie libérale en Afrique », qui s’est tenue en Allemagne. Laya Poudiougo, Racine Goulizan et Mariam Traoré ont séduit par le projet « Invest Now », qu’elles ont présenté ; projet visant à connecter les Pme africaines avec les investisseurs européens via une plateforme web dédiée. Avec ce même projet, les filles avait déjà remporté le premier prix du hackathon #AfriqueEurope, organisé en Côte d’Ivoire, par la Fondation Friedrich Nauman.

Avant ce succès obtenu à Berlin, d’autres auditrices de DigiFemmes Academy ont remporté le 2e prix au hackathon dénommé Hackatourisme Can 225, qui s’est tenu du 23 au 25 juin 2023 à l’Institut polytechnique Houphouët-Boigny de Yamoussoukro. Ce Hackatourisme a rassemblé les esprits les plus créatifs et innovants de la communauté numérique nationale pour résoudre des problèmes concrets dans le secteur touristique. Les filles ont présenté un projet dénommé Food Ivoire, qui vise à développer une application mobile dédiée à la promotion de la gastronomie ivoirienne ainsi que de certains pays africains pendant la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), qui se jouera en Côte d’Ivoire de janvier à février 2024. « Aujourd’hui, DigiFemmes m’a ouvert les yeux. Je ne dis pas que je suis déjà devenue développeuse mais il sera difficile pour un développeur de me mentir parce que je commence à m’approprier les choses », salue Mme Kamelan. « Pour moi, DigiFemmes est une opportunité à ne pas rater et mieux, il y a des opportunités au sein de DigiFemmes », lâche, un brin philosophe, Flavie Ama.

 

Assane Niada

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