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Reportage/Yopougon-Location d'habits: À la découverte d'un nouveau business qui fait vivre des familles

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Assise devant son lot de chaussures homologuées par le Tribunal, la jeune femme prend le temps de trouver la pointure idéale de ses clients. (Photo : MZ)
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Louer des chaussures et vêtements, voilà une activité peu ordinaire. C'est la trouvaille du jeune Tapé Isaac, qui a vu là, une opportunité de gagner de l'argent, tout en sortant du pétrin des usagers venus faire des courses au palais de justice de Yopougon, et qui ne peuvent y accéder faute de tenue appropriée.

Louer un local, louer un véhicule pour effectuer des courses ou encore louer des chaises ou de la vaisselle pour une cérémonie, ça, ce sont des choses courantes, devenues presqu’ordinaires. D’ailleurs, les activités en lien avec ces types de services courent les rues en Côte d’Ivoire, notamment à Abidjan. Si jusque-là, de nombreux Ivoiriens et Ivoiriennes trouvaient inconcevable, voire incongru, de faire louer des vêtements et des chaussures, eh bien, il faut désormais et très rapidement, se mettre à jour. Car les choses ont vraisemblablement beaucoup évolué à ce niveau. La location de pantalons, jeans, t-shirts, chemises, blazers, camisoles, jupes…, mais aussi de chaussures, c’est désormais possible.  Des jeunes gens en ont fait leur gagne-pain quotidien. Ils vivent de cette activité assez particulière, depuis maintenant quelques années. Ce business, jusque-là inhabituel, né de l’ingénieuse idée d’un jeune Ivoirien, est petit à petit en train de prendre de l’ampleur.

Une idée géniale

Comme chaque jour ouvré et ce, depuis plus de 3 ans, Tapé Isaac et ses collaborateurs arpentent le mur, à l’entrée du Tribunal de première instance de Yopougon. « Cache-nez…, lotus…, il y a cache-nez…, lotus…, bonbons mentholés…, vous voulez un lotus », crient-ils à tue-tête, aux côtés des autres vendeurs.  Dans le parking de cette institution aux abords de la voie principale, Tapé et les siens proposent certes, leurs produits aux usagers, mais pas que. Un élément fondamental les différencie des autres marchands. Le temps affiche 9h20, ce mardi 7 mars 2023. En cette entame de journée, le soleil, reste pour l’heure plutôt clément.

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Au sein du Tribunal, ça grouille de monde. Les usagers entrent et sortent, le rythme est soutenu, pas de temps à perdre. Aujourd’hui, comme chaque mardi, l’affluence est particulièrement dense. À quelques pas de l’entrée principale de l’édifice, un étrange dispositif, qui semble habituel pour la plupart des personnes, attire notre attention. Assise sur sa chaise, au milieu des véhicules stationnés, une jeune dame aide des usagers à porter des chaussures. Les personnes se succèdent, la scène se répète, encore et encore. Que font-ils ? Pourquoi les gens se regroupent-ils à cet endroit précis et pas ailleurs ? Il faut s’approcher de plus près, pour mieux comprendre. Le lot de chaussures que tient à sa droite, cette jeune femme, est en effet, le stock destiné à la location. Il faut débourser 200 F CFA pour se procurer une paire.

200 F CFA pour quelques heures d’utilisation  

L’énorme sachet noir qu’elle maintient, fermé à sa gauche, contient un lot de vêtements, également réservé à la location. Pantalons, jeans, t-shirts, chemises, blazers, cravates, foulards, camisoles, jupes…, tout y est. En payant 200 F, on gagne le droit de se servir et se mettre sur son 31. Bien évidemment, le temps de finir ses courses au sein du Tribunal de première instance de Yopougon. Car, depuis quelques années, certains types de vêtements sont strictement interdits au sein des institutions judiciaires. Si par le passé, on pouvait se permettre de se vêtir comme bon vous semble et se rendre au Palais de justice de Yopougon, aujourd’hui, il est impossible d’y pénétrer dans n’importe quel accoutrement. L’institution judiciaire  a pris des mesures drastiques, concernant les tenues vestimentaires des visiteurs et autres usagers. Une grande pancarte a même été confectionnée, sur laquelle toutes les tenues proscrites sont affichées. Ceci, pour amener tous les usagers à prendre leurs précautions afin d’éviter tout désagrément.

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C’est donc de là qu’est partie l’idée ingénieuse de Tapé Isaac, de mettre en location, des vêtements et des chaussures appropriés. D’autant plus qu’en ces lieux, il est formellement interdit de porter des mini-jupes, des décolletés plongeants qui laissent entrevoir les poitrines, des jeans déchirés (bad-boys), les culottes, les décolletés bras minces, ainsi que les habits sans manche. Malgré ces prescriptions et la grande pancarte affichée à l’entrée du palais de justice, eh bien, certains usagers qui pensent pouvoir se faufiler entre les mailles du filet, ou ceux, ignorant ces règles, sont rapidement éconduits et rappelés à l’ordre. C’est à ce moment précis que la location de vêtements et de chaussures devient très pratique 

Une initiative saluée par les usagers  

Olga Kouamé a fait le déplacement depuis Tiassalé pour récupérer un document administratif au Tribunal de Yopougon. Mais les sandales qu’elle porte, ne lui permettent pas d’y accéder. « Je ne peux pas aller à la maison et revenir. Je pense que c’est très bien pensé, de faire louer des chaussures et des vêtements pour les personnes qui se retrouvent dans ces situations embarrassantes. J’ai pu entrer dans le bureau et récupérer mes dossiers, je viens remettre leurs chaussures et reprendre  les miennes », nous apprend-elle. Fofana Idriss doit établir un document pour sa fille. Celle-ci ne porte pas des chaussures adéquates. Il faut donc les changer. Même chose pour Adeline Gbalou, qui n’a pas jugé utile de mettre de chaussures fermées, parce que souffrant d’un mal à l’orteil. Mais ici, il n’y aucune exception. Tout le monde doit se conformer à la règle et puis c’est tout. Le système ici est assez simple : les chaussures et les vêtements inappropriés sont échangés par Tapé Isaac et ses collaborateurs. Et à leur sortie du Tribunal, les usagers récupèrent leurs habits ou chaussures d’origine. Il faut savoir surfer sur la vague et se faire sa place. C’est en 2019 que Tapé Isaac, jeune Ivoirien, mal entendant, met sur pied ce business. Devant l’engouement que connaît l’activité au fil des mois, mais aussi prenant en compte son handicap, le big-boss de l’entreprise fait appel à son frère, Tapé Éric, pour le seconder. Il recrute une jeune dame pour épauler les deux frères.  

Un business qui rapporte

« Quand ça marche, quand il y a un engouement, la recette des chaussures uniquement, peut aller jusqu’à 15.000 ou 20.000 Fcfa par jour. Pour les vêtements, on peut se retrouver avec une recette entre 10.000 et 15.000f », murmure Tapé Éric, « le sous-directeur » de l’entreprise. Vous l’aurez compris, entre les deux produits, ce sont les chaussures qui marchent le plus. « On y a associé les cache-nez, depuis la période de COVID-19. Quand il y a une forte affluence ici, on peut facilement écouler 5 ou 6 paquets dans la journée, à raison de 5000 F l’unité. Notre avantage avec ce business, c’est d’investir peu, dans des articles qui ne sont pas périssables et d’en tirer le maximum », ajoute-t-il. « C’est cette activité qui nous permet depuis des années de vivre et de subvenir aux besoins de la famille », a-t-il confié. Même si tout semble aller pour le mieux, l’entreprise a souvent dû faire face à des fuites de produits.

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« Au départ, nous avons misé beaucoup aussi bien sur les vêtements que sur les chaussures. Mais au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que les vêtements ne revenaient pas toujours, au point que le stock a considérablement diminué », explique « le sous-directeur ». Cette réalité pousse l’entreprise à mettre l’accent sur les chaussures, particulièrement sur celles en caoutchouc. « Avant, nous avions même des souliers, des baskets, etc. Mais les clients oubliaient de ramener, nous avons donc opté pour les lèkès pour les hommes », souligne Tapé Éric. Un tel business qui se développe devant une institution judicaire, pourrait être problématique. Mais notre interlocuteur rassure : « Nous avons initié ce business avec la caution de l’autorité des lieux. Ils nous encouragent à développer notre activité, ils ont un regard là-dessus également ».

Manuel Zako

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