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Dossier/ Placali, garba, café aboki, gari, Spaghetti…Pourquoi certains grands types ne peuvent pas s’en passer

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Le placali, le garba, le café aboki, le gari et le spaghetti sont des plats prisés par certaines populations vivant en Côte d’Ivoire. Ces mets traversent le temps et défient la situation sociale de ses adeptes. Depuis de nombreuses années, les déguster ne dégoute pas les amateurs, même devenus ministres, hommes d’affaires, cadres d’entreprises ou fonctionnaires, etc. L’Avenir a décidé de creuser pour comprendre ce qui attire tant ces amateurs de ces plats dont l’hygiène laisse souvent à désirer…

Le placali, le garba, le gari, le spaghetti et le café aboki résistent à l’épreuve du temps. Le placali, le garba et le gari ont en commun, une spécificité : c’est le manihot esculenta ou manioc, dans le langage populaire. En général, le placali s’accompagne de sauce aux graines de palme mélangée à du gombo frais. C’est la sauce kôpè dans le jargon baoulé.  La spécificité de cette sauce est son caractère gluant. Quant à l’attiéké pour le garba, c’est une sorte de couscous de manioc produit par les peuples lagunaires Alladjan, Adoukrou, Ebrié et Attié. Le garba est composé de l’attiéké et du poisson thon. Le garba, selon plusieurs sources concordantes, est né dans les années 1990.  L’histoire enseigne que c’est à un ressortissant nigérien que ce met doit son nom.

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Le gari, quant à lui, est fabriqué en tamisant la pâte humide pour obtenir une semoule, puis en la torréfiant dans un plateau de torréfaction ou une poêle chauffée pour obtenir le produit final, sec et croustillant. À la différence du garba et du placali, la commercialisation du gari à des fins de consommation directe dans des espaces aménagés, à cet effet, n’existe pas.  C’est un plat qui se consomme à la maison avec du lait en poudre de préférence.

Contrairement au garba, au placali et au gari, le café aboki et le spaghetti ne sont pas faits à base du manioc. En général, les ingrédients qui les composent, sont issus des produits industriels. Le café aboki est un ensemble de produits laitiers avec du pain.  Le café aboki, dans sa forme traditionnelle, commercialisée dans une baraque de fortune ou en plein air, est tenu essentiellement par les Nigériens. Le café aboki tend à disparaître à la faveur des kiosques à café plus modernes. Le spaghetti, est tenu aussi majoritairement les Nigériens ou des Guinéens.

Garbadrome, Placalidrome, kiosques : un amour que seuls les habitués peuvent expliquer

Tous ces mets sont fortement ancrés dans les habitudes alimentaires des populations. Ce qui frappe dans les lieux où l’on peut avoir une place pour pouvoir consommer le placali, le garba, le café aboki et même le spaghetti, c’est que souvent, il y règne un cadre insalubre, dans un décor qui est loin d’aiguiser l’appétit. Parce que, les friands de ces plats, surtout ceux qui consomment sur place, sont invités à s’asseoir dans une baraque ou un bâtiment de fortune, avec des murs fortement dépeints et sont même servis dans des assiettes noircies, sans compter les ustensiles de cuisine et les casseroles vétustes. Les assiettes utilisées dans les garbadrome et placalidrome sont en plastique pour la plupart. Les couverts de table, il y en a rarement et sont même inutilisées par les clients lorsque la restauratrice en dispose. Dans ces lieux de restauration d’une ambiance particulière, tout le monde y va. Toutes les classes sociales fréquentent ces lieux. Les raisons sont aussi diverses que multiples. Chez Abou, un vendeur de garda installé dans les encablures de l’école de Gendarmerie d’Abidjan, c’est une affluence extraordinaire qui attire les regards des automobilistes et des piétons, surtout à midi. Les bolides stationnés avec les occupants en costume qui n’hésitent pas à se diriger chez Abou, est la preuve que le garba attire tout le monde. Ministres, hommes d’affaires, professeurs d’université, fonctionnaires, médecins, journalistes, etc. ne boudent pas leur plaisir à se rendre dans un garbadrome.  Cet attachement à ce mets s’explique pour beaucoup par l’habitude de consommation depuis l’enfance. En général, c’est un repas qui était commercialisé dans les quartiers pauvres. Yopougon Sicogi, Sogephia, Selmer, Abobo, Adjamé, Koumassi, etc. C’est aussi pareil pour le spaghetti et le café aboki.

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Gaoussou Diabaté, est inspecteur d’éducation au lycée moderne de Cocody. Il est par ailleurs, le président de la Fédération nationale des unions de jeunesses communales de Côte d’Ivoire (FENUJECI).  Ayant fait toute son enfance au quartier camp militaire dans la commune de Yopougon, le garba et le spaghetti sont des nourritures dont il ne peut se séparer. « J’ai beaucoup aimé le spaghetti au kiosque, surtout pour la façon dont il se faisait. Aussi, je ne peux pas faire deux semaines sans manger du garba. Parce que c’est un mets de chez nous, et dans mon adolescence, j’ai mangé beaucoup ça donc, cela est resté comme une habitude. Cela fait que qu’aujourd’hui, l’envie vient par moments. Je ne peux pas faire un mois sans manger du garba au moins deux fois. Ce n’est pas possible ! C’est la même chose pour le spaghetti.  L’envie peut naître un coup. Quand je suis en train de passer quelque part et que je sens l’odeur du garba, cela me donne une forte envie  de manger en même temps. C’est un mets qui me plaît », justifie ce jeune fonctionnaire au ministère de l’Education nationale et de l’Alphabétisation, qui malgré son statut de président d’une grande structure d’envergure nationale ne peut se passer du Garba ou du Spaghetti au kiosque. Au-delà du goût qu’il procure, le garba peut permettre de tisser de nouvelles relations par l’ambiance qui règne dans les garbadromes. « Le garba, c’est en groupe que c’est doux ! Quand tu es seul, c’est bizarre. Quand on mange en groupe, ça renforce un environnement fraternel.  Les dimanches, je gare ma voiture et je descends pour m’asseoir et manger en groupe.  Quand on va kiosque pour manger le spaghetti, il y a des personnes avec lesquelles vous êtes dans le même quartier, vous ne vous saluez pas d’ordinaire, mais quand vous vous voyez chez Diallo, vous vous saluez. Quand il y a un poste téléviseur, un débat peut naître sur une question d’actualité sans que vous ne soyez des amis. On ne fait pas beaucoup attention, mais ce sont des valeurs favorisées par la consommation du garba et du spaghetti au kiosque », soutient encore le président Diabaté Gaoussou, plus connu sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme Gaoussou De Mamba.

Cette attirance au garba ou au spaghetti, liée à une forte consommation pendant l’enfance, est aussi la raison pour laquelle Soumahoro Ben Faly, opérateur économique ne peut se défaire.  « Je ne sais pas si c’est parce que j’ai grandi dedans, mais dans la semaine, je mange garba 2 ou 3 fois. Samedi et dimanche, c’est plus sûr. J’étais avec le Secrétaire général de la présidence de la République. Il m’a dit qu’il ne joue pas avec son garba », a confié Soumahoro Ben Faly, par ailleurs, président de la Fédération nationale des consommateurs SOS VIE chère.

Dans grands types et des hauts gradés, inconditionnels du Placali et du garba 

Le garba, pour cet opérateur économique, se vend à moindre coût. Il préfère le consommer chez les vendeurs qu’à la maison : « Non seulement, j’aime et puis ça me revient aussi moins cher. Tu mets le café au lait accompagné du croissant et le garba en face de moi, je vais choisir le garba. Soumahoro Ben N’Faly n’habite plus Williasmville dans la commune d’Adjamé où il a fait toute son enfance. Mais marqué par le vendeur de garba du sous-quartier « Baden », il continue de s’y rendre quand il éprouve le besoin de se sustenter.  Quand je veux manger du garba, je gare ma voiture à Williasmville au carrefour Zanga, je commande mon garba et je m’en vais. Même le poisson thon, quand  je l’envoie à la maison et que les femmes grillent,  je ne le mange pas, parce qu’il n’a pas le même goût que celui vendu dehors. J’ai des enfants en Europe, lorsqu’ils ont des connaissances qui y vont, ils me supplient d’aller en prendre pour eux directement au garbadrome pour leur faire parvenir.  Soumahoro Ben N’Faly nourrit l’idée d’instituer un festival du garba. Ce festival va réunir ces amis d’enfance avec lesquels ils ont partagé le garba tous les dimanches matins au secteur Baden.

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Ces retrouvailles auront lieu une à deux fois dans le mois et dans le même lieu. Aboussou Philippe est un cadre à l’Ambassade de Chine en Côte d’Ivoire. Le placali est une nourriture qu’il affectionne depuis longtemps. Il n’éprouve aucune gêne à se rendre dans le placalidrome de son quartier pour s’en procurer. Au quartier Akouédo dans la commune de Cocody où il réside, c’est avec joie qu’il effectue le rang à l’instar des autres clients, pour passer sa commande. « La dame s’installe à partir de 19h. Je fais le rang comme tous les autres. Mais cette dernière m’a remarqué, parce qu’une fois à son niveau, je fais un achat allant de 3000 à 5000 F CFA, alors que les autres, c’est pour 200 F, 300F ou 500F, en général.  Elle m’a donc remarqué et toutes les fois qu’elle me voit dans le rang, elle me privilégie, je lui réponds que je vais suivre l’ordre d’arrivée, mais elle insiste à me servir en priorité », témoigne Aboussou. Pour lui, il n’y a pas d’embarras à se faire pour se rendre dans un placalidrome peu importe son statut social : « J’aime le placali de nature. J’aime le goût et je suis resté attaché au placali. Quand j’aime quelque chose, je ne tiens pas compte de mon statut ou du regard des autres. Quand j’aime quelque chose, je fais cette chose sans tenir compte de ce que les gens pourraient penser. D’autres peuvent aimer la nourriture et envoyer une personne l’acheter ou chercher un endroit classe pour s’alimenter. Mais moi, je n’ai aucune honte pour cela, parce que j’estime que ce que j’aime, n’ai pas une chose mauvaise. C’est quelque chose de bon auquel je suis attaché ».

Pourquoi ils ne peuvent plus s’en passer ? 

Bernard Kra est responsable d’une entreprise de communication. Son amour pour le placali remonte à ses années universitaires. Ce quadragénaire estime que le Placali a  contribué à la réussite dans ses études et sa situation sociale d’aujourd’hui. « Le placali et moi, c’est une longue histoire. Après le lycée, j’étais pratiquement livré à moi-même à l’université. J’ai eu l’avantage d’avoir une chambre en cité tout au long de mon cursus universitaire. C’est donc en cité U que le Placali et moi avons scellé notre union. En plus d’être un plat digeste, c’était une nourriture qui est partout et  à la portée des petites bourses. Avec 100F à l’époque, tu n’avais rien à envier à celui qui a dîné au toit d’Abidjan (Rires). J’ai encore en mémoire ce que mes voisins de chambre et moi appelions ‘‘Ration TOGO’’, c’est-à-dire le placali pour 75F, et Pklo de 25F dans la sauce. Etant un grand grouilleur avec plusieurs cours à domicile, chaque fois que je rentrais en chambre, il n’y avait pratiquement plus rien à manger sur le campus. Je n’étais aussi trop porté sur le Spaghetti.  L’astuce était donc toute trouvée : A midi, tu achètes pour midi et pour le soir. Quelle que soit l’heure de la nuit, il te suffit de chauffer au réchaud et tu te mets à l’aise. Je me rappelle encore que toutes nos virées nocturnes à l’époque se terminaient toujours par un Placali-party. Ces moments sont inoubliables. C’était donc devenu une habitude alimentaire pour moi. Je suis de l’Est de la Côte d’Ivoire, là-bas c’est le foutou. Mais j’avoue que le Placali a détrôné le foutou dans toutes ses déclinaisons dans ma vie. Dans mon quartier, à Angré-Mahou, je maîtrise tous les coins de placali. Aujourd’hui, quelle que soit la commune ou la localité du pays où je me trouve, il me faut trouver un coin de Placali le matin. Quand je suis à l’étranger, c’est la seule chose qui me manque le plus au niveau gastronomique. Pour résumer, je peux dire que la galère de la vie estudiantine m’a poussé dans les bras du Placali et depuis lors, je ne peux plus m’en passer, si ce n’est une prescription médicale ».

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Gauthier Sohouli est technicien auto et travaille chez un concessionnaire automobile. Il habite dans la jonction des quartiers Angré, Abobo Baoulé et Abobo Té. C’est un grand adepte du café Aboki et il a le répertoire de tous les coins de ce type de café dans tous les recoins.  Dans la semaine, s’il n’a pas fait un tour dans une de ces kiosques de fortune, il n’est pas à l’aise. Pour lui, la raison est simple. « C’est vrai que très souvent, c’est le même café et le même lait qui sont servis. Mais chez mes amis Aboki, il y a un savoir-faire et une saveur spéciale qu’on ne trouve nulle part que dans ces coins-là. Les soirs, pour suivre une bonne émission ou un débat télévisé, j’envoie mon neveu qui a aussi le répertoire m’en acheté. On ne met pas le café dans une carafe. Ça dénature le goût. On perce une boîte de lait et on y met le café. Il y aussi une manière de fendre le pain qui donne un autre goût à la chose. C’est tout un art ! Le jour où je veux bien apprécier le goût, je me déplace moi-même. Quand le mec ouvre la grosse marmite, la vapeur de l’eau chaude qui se dégage et qui vient vous envahir est l’élément qui te permet de bien savourer ton café. Il est vrai que très souvent, l’hygiène n’est pas toujours au rendez-vous, mais comme l’eau du café est bouillie à plus de 100°, il n’y a aucune crainte. Ne croyez pas que je suis le seul à adorer le café Aboki. Souvent des gens viennent garer des grosses cylindrés pour se faite servir dans boîte de lait. Il y a aussi des femmes enceintes, tant qu’elles ne boivent pas de café Aboki, elles ne peuvent pas dormir. Le café Aboki a donc quelque chose de spécial que personne ne peut expliquer », argumente cet expert en automobile. Au total, l’on peut dire qu’il y a des gens dont l’amour pour un met quelconque ne peut être expliqué. Tout comme l’amour a ses raisons que la raison elle-même ignore, il ne faut pas chercher à comprendre pourquoi certaines personnes, malgré leur statut social ne peuvent pas se passer du placali, du garba, du café Aboki ou du Spaghetti. Comme le dirait l’artiste, il faut les regarder manger seulement….

Ernest Famin   

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