LAVENIR.CI-Boko Kouaho est le Secré- taire Général de la Coordina- tion des syndicats des agents de la santé de Côte d’Ivoire (Cordisanté). Dans cette interview, il revient sur l’affaire du décès de dame Zerbo Abiba à Adzopé et dé- nonce le système général de la santé en Côte d’Ivoire.
L’hôpital général d’Adzopé a été secoué par le décès de dame Abiba Zerbo, le 6 mai 2021. Plus de 10 jours après, comment votre organisation gère cette situation, où des agents de santé, membres de votre organisation syndicale ont été sanctionnés ?
Ce qui s’est passé n’existe pas seulement à Adzopé. Avec les réseaux sociaux, tout petit problème est amplifié, toutes nos insuffisances et dysfonctionnements sont mis à nu. Et tout le monde en parle. C’est normal, parce que le centre de santé est là pour donner vie, pour sauver et nonpour tuer. Personne ne va à l’hôpital pour tuer, nous y allons pour sauver des vies. Mais, comme la science n’est pas parfaite, il peut avoir des dégâts. Dans les entreprises, il y a ce qu’on appelle les rebus, les imperfections. Mais dans les entreprises, c’est du matériel. Lorsque le produit est mal fabriqué, il est jeté ou remis sur le marché et il est vendu à un petit prix.
Est-ce une excuse ?
Mais chez nous, les rebus sont des dégâtshumainset cela nous touche. C’est pour cette raison que nous nous sommes rendus à Adzopé pour demander pardon à la population et à la famille, en leur disant que nous compatissons à leur douleur. Parce que ce n’est pas un plaisir pour nous d’enregistrer des décès qui relèvent de nos compétences.
Que prévoyez-vous pour éviter « ces rebus » ?
Nous allons remédier à cette situation et cela suppose que nous aurons des discussions avec la tutelle pour l’amélioration de nos conditions de travail. Le ministère va nous apporter son soutien au niveau des infrastructures, du cadre institutionnel et du plateau technique. Mais au plan humain,pour ce qui est du volet de la conscience professionnelle et de l’engagement professionnel, les syndicats sont impliqués dans la sensibilisation et la formation continue. C’est notre rôle de sensibiliser les travailleurs du monde de la santé sur le sens de leur profession, car ils ne sont pas les maîtres à tout faire. Ils sont des êtres mortels comme tout le monde, par conséquent, ils doivent exercer leur métier avec plus de conscience et d’attention. « Il n’y a pas de norme de qualité à la santé »
Ces situations de décès dans des conditions souvent déplorables deviennent trop récurrentes ?
Ce n’est pas une histoire de récurrence. Le système sanitaire en luimême est malade. C’est pour cette raison que nous avions adopté depuis 2019, la réforme hospitalière.Mais depuis, aucun décret n’a été signé. Ce n’est maintenant qu’on décrit le système. Seulement que maintenant, les usagers ont accès aux images. L’administration publique de façon générale, a les mêmes tares récurrentes. Il n’y a aucune administration qui est performante. Nous sommes conscients qu’il y a des décès qu’on peut éviter en jouant notre rôle. Nous sommes tous des usagers de l’hôpital.
Remettez-vous en cause le mode de recrutement ?
Lorsqu’on nous dit que nos enfants ne valent rien à l’école, il faut voir ceux qui les ont enseignés, ceux qui ont conduit leurs premiers pas à l’école. Il faut voir dans quelles conditions ces enseignants ont été formés. Ce sont les conséquences des décisions politiques qui ont été prises que nous vivons aujourd’hui. Ce sont des groupes de personnes bénévolesdans les zones Cno (Centre Nord et Ouest), recrutés à l’Infas(Institut national de formation des agents de santé)qui sont beaucoup sur le terrain. La preuve, lorsque nous avons effectué le déppecter. Cette situation nous permettra de nous remettre en cause et cela doit également amener le Ministère de la santé à appliquer de façon résolue, des décisions, en bousculant les mauvaises habitudes.
Les mauvaises habitudes doivent être bousculées pour qu’on ait des normes de qualité. Il n’y a donc pas de normes de qualité à la santé ?
Il n’y a pas de normes de qualité à la santé. Lorsque les gens disent qu’ils sont mal reçus dans nos structures sanitaires, demandez quels sont les étapes pour bien accueillir un patient.Il n’y a pas un protocole universel, ni national d’accueil d’un patient. Les gens se débrouillent.
Quelles sont ces étapes ?
Il y a des hôpitaux où il n’y a même pas de tables-bancs ou des chaises pour recevoir les parturientes qui viennent en consultation. Or, cela fait partie de l’accueil. S’asseoirdans un cadre sécurisé et climatisé dans fait partie de l’accueil. Les gens érigent des dispensaires en hôpitaux généraux, lorsque la localité devient sous-préfecture. Et souvent, ces hôpitaux généraux sont sans équipement.
Vous avez soulevé un certain nombre de problèmes. Pensezvous que votre nouveau ministre, qui n’est pas du corps médical, pourra y faire face résolument ?
Cela ne nous pose aucun problème. Nous ne choisissons pas qui doit être ministre ou pas. C’est après un moment d’observation que nous allons apprécier. Pour l’heure, rien ne nous dit qu’il fera mieux que ces devanciers. S’il nous présente ses objectifs, nous allons les apprécier par rapport à leur atteinte. Ce n’est pas non plus le fait de le voir bouger dans tous les sens qu’on dira qu’il est efficace. Il va vite s’épuiser. Un ministre n’est pas fait pour être sur tous les terrains à la fois, autrement, quel serait le rôle de ses collaborateurs ? Qu’il reste au bureau pour recevoir les rapports,les analyser et y apporter des solutions techniques et théoriques. Une fois que cela est fait, il nous appartient de les mettre en œuvre sur le terrain.
Ernest Famin