Société

Litige foncier à Bingerville: Une décision du Conseil d’État crée de vives tensions dans un village

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La chefferie du village de M’Batto-Bouaké, dans la Sous-préfecture de Bingerville, est vent debout contre une décision de justice rendue le 13 avril 2022 par le Conseil d’État, annulant l’approbation d’une parcelle de terre par le ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme. Le samedi14 mai dernier, elle a protesté contre cette décision, contre laquelle elle promet d’intenter un recours. De quoi s’agit-il ?

 

Se prononçant sur une requête introduite par un groupe de fils du village de M’Batto-Bouaké, le Conseil d’État a pris un arrêt, le 13 avril 2022, annulant un arrêté du ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme, portant approbation d’un lotissement dans ledit village. La nouvelle a fait le tour des réseaux sociaux et suscité moult commentaires. « « Est annulé l’arrêt Numéro 16-0146/MCLAU/DGUF/DU/SDAF du 06 juin 2016 du ministre de la construction, du logement, de l’assainissement et de l’urbanisme portant approbation du plan de redressement du lotissement dénommé M’Batto Bouaké, commune de Bingerville », tranche le Conseil d’État. Aussitôt informés de la décision, la chefferie dudit village, le chef de terre et des fils du terroir, l’ont vivement contestée. Il nous revient, en effet, que le verdict a suscité de vives tensions qui ont failli dégénérer en un incident comme celui qui a occasionné des échauffourées en avril dernier dans la même cité, pour une histoire de terre.

 

Le Conseil d’État induit en erreur ?

 

Au dire de ceux qui contestent cette décision de justice qui froisse un arrêté du ministère de la Construction, le Conseil d’État a dû être induit en erreur par les requérants Lobet Odjet et Yapo Sia. Ceux-ci auraient usé de subterfuges en se posant en propriétaires terriens, qui auraient été délestés de leurs biens, ayant été lésés dans leurs droits par le lotissement approuvé, sans qu’ils n’y aient été associés. Ils avancent notamment que leurs plantations ont été rasées, sans qu’ils aient été dédommagés. Ces arguments invoqués par les plaignants ont dû contribuer à amener le Conseil d’État à faire droit à leur requête. Or, au dire du chef du village Anoman Badiglon Edouard, des membres de la génération Gnondoh au pouvoir et de ceux de la génération Bessouhon (Yessouhon), avec à leur tête, le chef de génération et chef de terre, Mondah Paul, les allégations des requérants ne sont pas fondées.

 « Ceux qui ont porté plainte n’ont pas la qualité pour le faire. Ce sont les membres de l’ancienne chefferie qui, après avoir dirigé le village pendant 19 ans, refusent de laisser l’actuel chef travailler pour le bonheur des populations. Ce lotissement qu’ils contestent aujourd’hui, a été initié et conduit par l’ancienne chefferie en 2015, bien avant l’arrivée du chef actuel. Dans le cadre de ce lotissement, ces mêmes personnes ont vendu des terrains et pris de l’argent avec les opérateurs économiques qu’ils ont eux-mêmes fait venir au village », avance la chefferie, actes judiciaires à l’appui. Entre autres, un procès-verbal (PV) de la réunion du 14 mars 2015, tenue au domicile de l’ex-chef du village, N’Dah Angbeni, et consacrée au lotissement incriminé.

 

Un PV de réunion qui rétablit la vérité ?

 

Signé par le secrétaire de séance, Djedji Patrice, ce PV indique clairement que le lotissement a été initié par la chefferie d’alors, avec à sa tête, l’ex-chef N’Dah Angbeni. C’est d’ailleurs celui-ci qui, ce jour-là, a présenté aux populations, M. Dosso Aboubacar, responsable de la société GEDF, comme l’opérateur désigné pour effectuer les travaux. À l’issue de la rencontre, il avait alors été décidé ce qui suit : « Après maintes tractations, un terrain d’entente a été trouvé pour le bonheur et la satisfaction de tous. En conclusion, on peut retenir que : (…) Monsieur Dosso Aboubacar et sa société sont donc acceptés pour procéder au lotissement d’une parcelle de 300 ha du patrimoine foncier de M’Batto-Bouaké », mentionne le PV. Le même document souligne également que « GEDEF propose de donner à l’ensemble des personnes dont les champs sont sur sa parcelle, la somme de vingt millions (20 000 000 FCFA) ».

 

La chefferie vent debout contre la décision de justice

 

Autre fait intrigant dans cette affaire, c’est que la liste de présence, jointe au PV, comporte près de 100 noms parmi lesquels plusieurs personnes qui ont également signé les différentes requêtes devant les juridictions, après avoir perçu de l’argent de la part de l’opérateur, au titre de l’indemnisation. L’on retrouve curieusement, dans les rangs des requérants, des villageois qui ont vendu ou cédé leurs parcelles à des opérateurs immobiliers ou à des acquéreurs dans le cadre du lotissement dénoncé. C’est notamment le cas de Lobet Odjet, tête de liste des personnes ayant saisi le Conseil d’État. Et pourtant, celui-ci fait partie d’un collectif dit de propriétaires terriens qui, dans un exploit d’huissier en date du 10 octobre 2018, ont demandé à la société GEDF de transmettre leurs attestations d’attribution ou de cession à l’entreprise Afrique foncier. En clair, ce sont les initiateurs du lotissement qui se dressent contre cette opération, dont ils avaient tiré profit avant la prise de fonction de l’actuel chef en octobre 2016, qui le combattent aujourd’hui. Comment alors expliquer que les mêmes en viennent à remettre en cause, le lotissement d’un terrain auquel ils avaient été associés hier, comme en témoigne le PV cité ci-dessous, et dont ils avaient tiré des dividendes ?

Là est tout le mystère. Au dire de la chefferie actuelle du village de M’Batto-Bouaké, c’est sans doute parce que ceux qui étaient aux affaires hier, n’ont plus aujourd’hui, la possibilité de tirer avantage de ce lotissement approuvé, qu’ils ont œuvré à son annulation. Quoi qu’il en soit, le ministère de la Construction, dont l’arrêté d’approbation a été annulé, devrait regarder de très près, ce dossier et aider à désamorcer cette bombe foncière qui pourrait, si rien n’est fait, exploser et troubler la quiétude d’une bonne frange de la population de Bingerville.

 

Assane Niada

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