On connaît plus ou moins le côté cour d’Houphouët-Boigny. Mais bien peu de choses sur le côté jardin du premier Président de la Côte d’Ivoire. C’est ce côté du jardin d’Houphouët-Boigny, qu’il a côtoyé en privé, que fait découvrir au grand public, son pilote, le général Abdoulaye Coulibaly, dans ses mémoires publiées sous la plume de Traoré Moussa, journaliste et ex-président de l’Union des Journalistes de Côte d’Ivoire.
Paru récemment, l’ouvrage, intitulé Général Abdoulaye Coulibaly/ Le parcours exceptionnel du pilote d’Houphouët-Boigny, lève un coin du voile sur la vie privée de l’ex-chef de l’État. On y découvre notamment que, derrière le mythe d’homme puissant dont la légende le couvrait, Houphouët était également aussi fragile que le commun des mortels. Comme en témoigne une anecdote racontée par son pilote, le général Coulibaly. Cet intime du Bélier de Yamoussoukro, rapporte un incident survenu à bord du Grumman présidentiel, un jour et qui a fait flipper le puissant Houphouët.
« Une autrefois, sur le même trajet, entre Yamoussoukro et Abidjan, l’un des réacteurs de l’avion est tombé en panne et provoquait des vibrations. Houphouët ordonna que l’avion qui venait à peine de décoller, retourne immédiatement à Yamoussoukro. Le pilote refusa d’obéir. « Monsieur le Président, avec tout le respect que je vous dois, on ne peut pas faire demi-tour. En plus, l’aéroport d’Abidjan est mieux équipé que celui de Yamoussoukro pour faire face à toute situation d’urgence », ajouta le pilote avec la plus grande courtoisie, mais non sans fermeté. Houphouët n’a plus rien dit. Le pilote coupa le moteur défaillant et poursuivit le vol avec un seul moteur jusqu’à Abidjan. « Tout s’est finalement bien déroulé, nous avons pu regagner la base aérienne. J’essayais de le distraire, mais il n’a pas dit un seul mot. Je crois que ce jour-là, le président a eu la plus grosse frayeur de sa vie », confesse le pilote (pp 63-64). Cette histoire montre la fragilité d’Houphouët qui, pour être perçu comme un demi-Dieu, n’en était pas moins un humain, pouvant être effrayé par la perspective de perdre la vie.
Les confidences de son pilote, le général Aboulaye Coulibaly
Le pilote d’Houphouët rapporte une autre anecdote dont ne pouvaient être témoins que ceux qui avaient accès au dernier cercle de l’ex-chef de l’État. Une anecdote qui en dit long sur l’art de gouverner selon Houphouët. « Je n’étais pas ministre ou une personne incontournable du dispositif. Je faisais partie du personnel technique. Très souvent, quand le Président revenait du conseil des ministres ou des grandes réunions, il prenait le temps de consulter son petit personnel. Je veux parler du chauffeur, du majordome, du chargé de mission, des gardes du corps… S’il nous arrivait de dire au Président qu’il avait injustement sanctionné une personnalité, il revenait sur sa décision le lendemain », confia-t-il (p 69). À travers ce témoignage, on découvre qu’Houphouët, que l’on croyait être juché sur un piédestal, savait en descendre pour échanger avec le petit peuple de son entourage immédiat.
On découvre par ailleurs, un autre visage de l’ex-président de la République à travers une autre anecdote du général Coulibaly. Celui-ci rapporte une scène à la résidence privée d’Houphouët, qui lève le lièvre sur des manigances qui avaient cours à l’intérieur du PDCI à l’époque. Et révèle la façon dont l’ex-chef de l’État gérait ces intrigues de palais : « Comme son inspirateur, le général Coulibaly est opposé aux xénophobes et autres tribalistes. Il raconte qu’un matin, alors qu’il devisait tranquillement avec le Président, trois dignitaires du PDCI-RDA se sont introduits dans le bureau du « PR ». Les échanges tournaient autour de la personne de Laurent Dona Fologo. Ces dignitaires étaient venus colporter des ragots sur le compte du Secrétaire Général du parti. La conversation se déroula en Baoulé. Le trio, croyant naïvement que le pilote Coulibaly n’y comprendrait rien du tout, critiquait Fologo à cœur joie. Ces derniers mettaient le chef de l’État en garde contre le « Kangaba », qui signifie fils d’esclave en baoulé. Il reprochait à Fologo de parler comme Houphouët, de s’habiller et de se comporter comme lui. Pour eux, si Houphouët ne faisait pas attention, le pouvoir échapperait aux Baoulés. Houphouët ne dit mot pendant toute la conversation. Après le « kpakpatoya » (propagateur de ragots en nouchi) des trois barons du PDCI, il se tourna vers Abdoulaye Coulibaly et lui posa la question suivante avec une pointe d’ironie : « Toi, Coulibaly, tu ne comprends pas Baoulé, non ? » Celui-ci répond en baoulé en riant : « Hii Nanan Ntiman », entendez : « Eh Nanan, je ne comprends pas ». Sa réponse fit sursauter les trois barons qui ne purent cacher leur surprise. Ils venaient ainsi de comprendre à leurs dépens qu’il ne sert à rien de se réfugier derrière la tribu pour régler des comptes au moment où on cherche à construire une nation » (pp 71-72).
Au total, pour avoir été dans le cercle restreint d’Houphouët-Boigny, son ex-pilote, le général Abdoulaye Coulibaly, permet au grand public de percer au jour, ce personnage sur lequel circule toute une légende.
Assane Niada