Société

Dr Toupko Guy (Expert en gestion de conflits et cohésion sociale) « Il faut travailler sur les causes des conflits et non sur les conséquences »

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La question des conflits communautaires est un phénomène qui persiste en Côte d’Ivoire. Récemment, les populations de Diawala et de Niellé se sont affrontées pour une carrière de sable. Il y a eu 7 morts. Le ministre d’État, ministre de la Défense, par ailleurs, président du Conseil régional du Tchologo, y est allé pour calmer les esprits. Dr Toupko Guy Oscar, expert en socio-anthropologie du développement local et des politiques publiques, formateur en gestion de conflits et cohésion sociale, fait des recommandations.

 

Quelles peuvent être les raisons d’un conflit communautaire ?

Plusieurs raisons peuvent être la cause d’un conflit communautaire. Ce sont le contrôle des ressources, le contrôle de l’accès à la terre, le foncier rural et la question d’identité.

 

Comment les autochtones et les allochtones doivent-ils se comporter vis-à-vis d’une querelle banale qui pourrait se muer en conflit communautaire ?

Ce qu’on a remarqué en Côte d’Ivoire en particulier, et en Afrique de l’Ouest en général, c’est que les acteurs des différentes communautés ont tendance à faire un repli identitaire. Ils ont tendance à évoquer l’appartenance à une ethnie. Le plus souvent, c’est ce qui est à la base des conflits communautaires.

 

Quand on connaît les lois ivoiriennes qui stipulent que tous les Ivoiriens sont chez eux sur toute l’étendue du territoire, comment expliquez-vous le fait qu’il y a conflit à tout moment ?

Le problème en Côte d’Ivoire, c’est que l’on a tendance à communautariser l’individu, c’est-à-dire que l’individu appartient à sa communauté. En fonction de cela, le regard envers lui le positionne et lui donne une image dans l’environnement dans lequel il vit. En fonction des enjeux locaux, la question de l’ethnicité est activée malgré la constitution qui stipule que tout Ivoirien est chez lui sur toute l’étendue du territoire.

 

Il est vrai que toutes les régions ivoiriennes connaissent des conflits communautaires, comment expliquez-vous la recrudescence des conflits à l’Ouest du pays ?

La rébellion de 2002 avec la venue des forces nouvelles qui aboutit à la partition du pays. L’Ouest ivoirien était à la lisière de cette zone. Cette situation a provoqué plusieurs conflits, notamment au niveau des villes de Duékoué et de Vavoua qui ont plus ou moins crispé les positions. 2011 a été un point paroxysmique des conflits communautaires. Cette situation a conduit ces acteurs (allochtones et autochtones) à prendre des positions. Le niveau national a plus ou moins façonné les positions. Les partis politiques y ont contribué également. Alors, pour les autochtones, les terres ont été cédées aux allochtones. Ils jugent ne pas bénéficier des retombées des ressources. De l’autre côté, les allochtones et allogènes se plaignent du fait qu’ils aient acheté ces terres aux mains de leurs propriétaires. Ils refusent de recéder la terre qui a été payée de toutes leurs économies. Il y a aussi l’instrumentalisation de la question foncière par les élites locales et politiques qui contribuent à exacerber les tensions depuis la ville.

 

Les conflits communautaires n’ont pas commencé après la crise de 2002. Déjà en 1996, il y a eu le conflit entre guéré et baoulé à Fengolo …

Effectivement. Ce que je veux dire, c’est que la crise a cristallisé ces conflits. Les positions se sont radicalisées à partir de cette période.

 

Comme on peut le comprendre, la question liée à la terre cultivable reste la cause la plus brandie pour expliquer les conflits à l’Ouest. L’Est, l’ancienne boucle du cacao, est toute aussi riche. Pourquoi il n’existe presque pas de conflit dans cette zone ?

À l’Est, la majorité des planteurs sont des propriétaires terriens. Les allochtones et les allogènes ont toujours été des manœuvres. Dans l’Ouest, les propriétaires ont plus ou moins cédé les terres aux allochtones et allogènes, ils constituent donc la majorité des planteurs. Quand les jeunes s’en rendent compte, les problèmes surviennent.

 

Au Nord, il y a ce conflit permanent entre éleveurs et agriculteurs, comment expliquez-vous ce phénomène et quelles solutions durables pour l’éradiquer ?

Le changement climatique peut expliquer cette situation. En effet, lorsqu’un éleveur arrive dans une zone dans laquelle il devait pouvoir avoir une abondance de point d’herbes, il se trouve que ce n’est plus le cas. À un moment donné, ils ont donc des problèmes liés aux trajectoires habituelles qu’ils parcourent. Il y a aussi le fait que les éleveurs sont accusés de vendre l’anacarde qui est un produit phare de la région. Pourtant, à la base, ils sont reconnus comme non détenteurs des champs. Enfin, il y a le cas des cadres de la région ou autorités administratives qui détiennent du bétail avec les éleveurs. Ces derniers pensent donc être plus protéger que les agriculteurs. Il faut retravailler les couloirs de transhumance. Il faut les préciser et les baliser. Il va falloir créer des espaces comme en Amérique latine où il y a des ranchs.

 

Dans ce mois de mars, la Côte d’Ivoire a connu le conflit entre les populations de Diawala et de Niellé concernant une carrière de sable. Ce conflit a entraîné 7 morts. Le ministre d’État, ministre de la Défense, par ailleurs, président du Conseil régional du Tchologo, y est allé pour calmer les esprits ? Comment jugez-vous cette action du gouvernement dans le règlement des conflits communautaires en Côte d’Ivoire ?

C’est une action salutaire. Cependant, les zones où ce genre de conflit peut naître, sont localisées en Côte d’Ivoire par des experts. Ces conflits sont connus de tous, il aurait fallu un règlement pour l’éviter. Il faudrait  intervenir en amont pour régler ce problème définitivement. Mettre en place des mécanismes de résolution durable des conflits.

 

Le pays connaît l’orpaillage clandestin, les actions des autorités ivoiriennes pour interdire ce phénomène dans les localités ne sont plus à démontrer. Cependant, les orpailleurs, souvent en complicité avec les autorités villageoises, recolonisent les sites … N’est-ce pas un facteur qui peut engendrer un conflit communautaire plus tard ?

De plus en plus, les trafiquants proposent de l’argent aux autorités villageoises pour qu’elles ferment les yeux sur leurs activités. Ils vont jusqu’à corrompre les forces de défense et de sécurité. On constate que de plus en plus, ces trafiquants détiennent des armes. Lorsqu’ils s’installent, ils développent des commerces illicites comme la drogue, le proxénétisme, etc. Si rien n’est fait, effectivement, avec les activités illicites qu’ils développent, des conflits communautaires peuvent naître.

 

L’on dit souvent que derrière ces conflits, il existe des mains politiques. Pensez-vous que c’est le cas ?

Tous les conflits communautaires n’ont pas d’origine que politique. Un conflit entre deux propriétaires terriens n’a rien de politique à la base. Cependant, lorsque cette bagarre prend une importance particulière et que les acteurs sont identifiés et connus que leurs communautés ont des relents politiques, alors le problème peut devenir politique.

 

Quels peuvent être les rôles des  guides religieux dans le règlement des conflits communautaires ?

Les guides religieux ont toujours joué leur rôle dans le règlement des conflits communautaires en Côte d’Ivoire. Ils arrivent plus ou moins à faire baisser les tensions. Ce qu’on pourrait leur reprocher, c’est la non-prévention des conflits. Le processus de règlement de conflit est un processus très long. Il faut donc les inciter à agir dans la prévention. 

 

En tant que sociologue, est-ce qu’on peut définir une panacée toute faite pour régler tous les conflits communautaires en Côte d’Ivoire ?

Je dirai plutôt des recommandations. Elles se résument à travailler sur les causes des conflits. En général, les organisations non gouvernementales ont tendance à travailler sur les conséquences. Plusieurs pays, notamment le Rwanda, ont essayé cet exercice et ont obtenu de bons résultats. Je reconnais que c’est plus long, mais cela va permettre de travailler en profondeur sur tout ce qui entoure les conflits de ce genre.

 

Interview réalisée par Roxane Ouattara

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