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Interview/ Bamba Mory (Président des étudiants handicapés) : « La moitié des étudiants handicapés n’arrivent pas au bout du cursus »

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Insertion professionnelle, difficultés d’apprentissage et de déplacement sur l’espace universitaire, éducation inclusive … Les étudiants en situation de handicap sont confrontés à plusieurs obstacles du fait de leur condition. Bamba Mory, président national du Groupement pour l’insertion des Élèves et Étudiants Handicapés Physiques en Côte d’Ivoire (GIEHPCI) confie dans cette interview, les réalités des membres de cette organisation sur l’espace universitaire.

 

Vous êtes président d'une association particulière, celle de personnes portant un handicap. Y a-t-il des critères spécifiques d’adhésion du fait du statut particulier de vos membres ?

La particularité du GIEHPCI, c’est que tous ses membres sont étudiants, c’est-à-dire qu’ils ont au moins, le baccalauréat qui est le premier diplôme universitaire.

 

Quelles sont les difficultés auxquelles les étudiants handicapés sont confrontés dans le cadre de leur formation académique ?

Les étudiants handicapés sont confrontés à plusieurs difficultés, notamment les problèmes d’accessibilité aux bâtiments de cours et d’amphithéâtres, les difficultés de certains types d’handicap lors des prises de cours, en l’occurrence les non-voyants et les sourds, ainsi que les difficultés d’ordre économique. Il faut dire que ces derniers sont issus pour la majorité, de familles modestes.

 

Votre espace de prédilection, c'est l'Université et les résidences universitaires. Est-ce que ces difficultés évoluent d'un espace à un autre ?

Oui, ces difficultés ne sont pas les mêmes dans les résidences. À ce niveau, il existe un manque criard de dortoir dû au grand nombre d’étudiants handicapés demandeurs. Il y a une surcharge de certaines chambres pour pallier le manque de logement.

 

Est-ce qu'on peut dire aujourd’hui, qu’un étudiant handicapé a les mêmes chances de réussir que ceux qui sont sans handicap ?

L’étudiant handicapé n’a pas les mêmes chances que ceux qui sont sans handicap, car les difficultés sont énormes sur le chemin de leur réussite. Notamment le rejet de ceux-ci dans bon nombre de concours. Aussi, l’indifférence de la société face aux difficultés que les personnes en situation de handicap peuvent subir.

 

Bénéficient-ils sur la fac comme dans les résidences universitaires de discrimination positive (allusion aux mesures spécifiques pour régler des difficultés qui leur sont propres) ?

Les étudiants handicapés bénéficient en effet de certains avantages tant académiques que sociaux. Ils bénéficient depuis 2017, d’une exonération de 50% des frais d’inscription académique. Les étudiants handicapés sont aussi exemptés de loyer de logement.

 

Plusieurs présidents du GIEHPCI, avant vous, ont décrié les conditions difficiles de vie et d’apprentissage sur les espaces universitaires. Est-ce qu'il a eu une évolution aujourd'hui ?

Oui, évidement qu’il y a eu quelques améliorations des conditions de vie et d’apprentissage des étudiants à travers des allègements des frais d’inscription et la facilité d'accès au logement dans les cités universitaires, ainsi que la gratuité du loyer.

 

 Les étudiants handicapés sont-ils victimes de violences ou de harcèlement ?

Souvent, les étudiants handicapés sont effectivement victimes de violences lors des troubles sur le campus et aussi de la part de certains syndicats estudiantins pour des problèmes d’intérêts.

 

Avez-vous constaté une discrimination entre les étudiants handicapés eux-mêmes, en raison de la différence de handicap qu'ont les uns les autres ?

Oui, il y a toujours cette discrimination entre le handicap lourd et léger. Certains estiment que d’autres ne sont pas handicapés plus qu’eux pour prétendre bénéficier des avantages. 

 

Sur un ratio de 10 étudiants handicapés qui entrent à l'Université, combien selon vous, en sortent diplômés ?

Sur un ratio de 10 étudiants, je dirai seulement 5 étudiants arrivent au bout de leur cursus, c’est-à-dire le Master.

 

Accéder à un emploi est très difficile sous nos tropiques. Est-ce que les étudiants handicapés qui sortent des universités avec des diplômes parviennent à en trouver ?

Très difficilement, je dirai. Cependant, nous luttons pour une meilleure prise en charge professionnelle de nos membres.

 

Quels sont les types de handicapés qui éprouvent plus de difficultés sur le marché de l’emploi ?

Les handicapés qui éprouvent plus de difficultés sur le marché de l’emploi sont les personnes en fauteuil roulant, les non-voyants et les sourds, du fait pour les uns, de leur mobilité très réduite et pour les autres, à cause de leurs difficultés à communiquer.

 

Il se dit que très souvent, les étudiants handicapés sont recrutés par pitié et non sur la base de leurs compétences. Qu'en est-il exactement ?

Je suis contre cette manière de penser. Les étudiants handicapés sont exclus des concours et personne ne trouve rien à dire. Dans le statut général de la fonction publique, il y a plusieurs voies d’accès à une fonction, notamment par recrutement. Si des personnes non-handicapées sont recrutées à la fonction publique par ce processus. Est-ce aussi par pitié ou par manque de compétence ? Nous nous posons la même question.

 

Comment vivent ceux d'entre vous qui n'arrivent pas à trouver du travail ? Parviennent-ils à se lancer dans l'entrepreneuriat ?

Ceux d’entre nous qui n’arrivent pas à trouver du travail vivent misérablement. Et nous le regrettons. Aucune politique d’accompagnement en matière d’entreprenariat n’est prévue pour la personne handicapée. 

 

Le gouvernement prend tout de même des dérogations pour faciliter le recrutement des diplômés handicapés dans l'administration publique. Quel est aujourd'hui, l'état des lieux de ces mesures dérogatoires ? Combien d'entre elles sont-elles bénéfiques ?

Tout d’abord, nous saluons cette politique sociale du gouvernement qui vient résoudre un peu, le problème d’insertion professionnelle des personnes handicapées et aussi permettre la constance de ce recrutement depuis maintenant 4 ans.   

 

Il se raconte que très souvent, des places sont prévues pour les étudiants handicapés dans les écoles ou d’autres institutions. Cependant, force est de constater que certains qui y sont autorisés, n’ont pas le niveau. Est-ce que vous confirmez cette situation ? Si oui, quelles sont les actions que vous menez en tant que groupement pour une meilleure insertion de vos camarades ?

Depuis mon accession à la tête du GIEHPCI, je n’ai eu connaissance d’une quelconque place que nous avons dans une école ou autre institution. En ce qui concerne nos actions pour l’insertion de nos camarades, il faut dire qu’à travers le cabinet de recrutement privé ‘’La Libellule’’, nous avons aidé beaucoup de nos membres à avoir des stages dans les entreprises privées de Côte d’Ivoire. Le ministère de la Promotion de la Jeunesse, de l'Insertion professionnelle et du Service civique, nous aide également à travers son projet de stage emploi-jeunes.

 

Certaines associations de personnes en situation de handicap se plaignent de ne pas être consultées lors des recrutements dérogatoires. Quelle est la situation à votre niveau ?

Nous sommes associés et informés du début du processus du recrutement dérogatoire, jusqu’à la fin, à travers des réunions périodiques.

 

Est-ce vrai qu’il y a des dessous de table lors de ce recrutement ?

Non, je ne crois pas en cela, car le processus se déroule avec nous et nous faisons confiance à notre tutelle qui est la direction de la protection sociale.

 

Êtes-vous satisfaits de ces mesures dérogatoires du gouvernement en votre faveur ?

Oui. Nous sommes satisfaits, mais nous souhaiterions une augmentation du nombre de recrutés par an, car le nombre de diplômés est en constante évolution.

 

Avez-vous des échos sur le niveau de performance ou de compétence de diplômés handicapés qui sont recrutés par dérogation ?

Nous avons un écho favorable du bon travail de nos camarades dans la majorité des administrations où ils ont été affectés.

 

Comment voyez-vous l’avenir de l’étudiant handicapé en Côte d’Ivoire ?

Nous sommes optimistes quant à l’évolution des conditions de vie, d’études et d’insertion des personnes handicapées diplômées. Conscient que l’État de Côte d’Ivoire fait de nombreux efforts, nous souhaitons que plus de programmes d’insertion professionnelle soient orientés vers nous et nos différentes associations.

 

Réalisée par Roxane Ouattara

 

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