Société

Interview/ Ruée vers les sex toys à Abidjan

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Le sociologue Jean Martin Irigo : « Ces plaisirs solitaires sont des formes de déviance sexuelle »

Les Ivoiriens ont de plus en plus recours aux sex toys et poupées sexuelles pour diverses raisons. Ces pratiques, traditionnellement connues en Europe, sont-elles en accord avec les valeurs culturelles africaines ? Peuvent-elles être qualifiées de déviance ? Ce sont-là quelques-unes des questions auxquelles le sociologue ivoirien Gbété Jean Martin Irigo apporte des éclaircissements.

 

Considérée comme la fête des amoureux, la Saint-Valentin est devenue un véritable phénomène de société depuis ces dernières années en Côte d’Ivoire. Comment expliquez-vous l’effervescence autour ce phénomène de société ?

Cette effervescence pourrait s’expliquer par les mutations de nos sociétés dont les institutions sociales se voient constamment affectées des fonctions autres que celles d’origine. Dans le cas de la Saint-Valentin, la dimension commerciale semble avoir pris l’ascendant sur la célébration de l’amour. Et les médias, devenus de plus en plus puissants, font l’écho de rapports de type purement affairistes dans le but de faire fonctionner ce contexte économique lié à la Saint-Valentin. Vendre le plus possible de biens et services pendant cette période à travers une publicité outrancière, n’a fait qu’exacerber les passions autour du business qu’est devenue la Saint-Valentin. L’effervescence autour de cette fête des amoureux s’explique également par l’énorme influence des réseaux sociaux sur notre époque. L’accessibilité de l’information entre les individus et le e-commerce qui s’y tient, participent également à la popularité de cette fête. 

 

La Saint-Valentin est une fête occidentale que les Africains et singulièrement, les Ivoiriens se sont appropriés.  Est-ce que cette manière de célébrer cette fête reflète véritablement les réalités africaines ?

Les sociétés africaines autant que celles de Côte d’Ivoire sont des sociétés humaines et elles tentent d’intégrer la dynamique des valeurs du monde actuel, c’est-à-dire celles de la société de consommation de masse. Elles ne peuvent rester en marge de ce type de célébration dont le fonctionnement intègre plusieurs dimensions interactives. Une Saint-Valentin à l’africaine serait donc difficile ici à considérer. 

 

 L’amour et la gaieté font partie des fondements de la vie en société. Selon vous, comment doit-on vivre et célébrer l’amour ?

L’amour étant un phénomène social qui fonde la vie (de tous les jours), sa célébration doit laisser apparaître la capacité des hommes à faire preuve d’imagination. Se réinventer chaque Saint-Valentin à travers de nouvelles actions dans le but de faire plaisir à la personne aimée est la manière de faire vivre cette institution. Il faut pouvoir diversifier les faits et gestes, la monotonie et la redondance de certains gestes peuvent donner un caractère banal à cette célébration.   

 

Pour la Saint-Valentin de cette année, l'on constate une prolifération de clubs privés et des boutiques de vente d'objets sexuels ou sex toys. Comment expliquez-vous cette nouvelle tendance ou orientation sexuelle de certains citoyens ?

La dimension commerciale de la Saint-Valentin, comme dans tous les rapports marchands, a, elle aussi, ses logiques d’actions. Innover chaque année afin de vendre encore plus, semble pousser les acteurs de ce secteur à se re-inventer. Le business de la Saint-Valentin ne fait que profiter de l’essor des sex toys qui est déjà en pleine expansion en Côte d’Ivoire, tout comme ailleurs et avec lui, la propension sociale actuelle à consommer les aphrodisiaques. C’est toute notre société actuelle et sa sexualité qu’il faut questionner et non pas seulement cette période précise de la Saint-Valentin. La sublimation des jeux sexuels, inspirée du cinéma pornographique et la curiosité de découvrir un phénomène qui tend à devenir une mode, sont les logiques sous-jacentes à prendre en compte. La sexualité usant des sex toys marque la rupture entre une sexualité traditionnelle et une autre perçue comme moderne. En Côte d’Ivoire, cette hausse de la consommation des sex toys indique une (ré)appropriation de sous-cultures sexuelles influencées par les réseaux sociaux. Le flux non-négligeable et facile d’accès de sextapes sur ces réseaux ne peut qu’influencer les individus en quête d’autres sensations.

 

 

 

Peut-on qualifier de déviance sexuelle, le recours aux sex toys et poupées sexuelles en lieu et place d'un partenaire humain ?

Au regard des valeurs sociales qui ont toujours prévalu et ont contribué à la régulation et à la survie des sociétés humaines, nous dirons OUI. Il s’agit ici de pratiques qui contribueront assurément à affaiblir les liens sociaux en esseulant davantage, des individus d’une époque déjà suffisamment affectée par divers types de pressions sociales, entre autres le travail, les rapports entre les hommes, la maladie… Les plaisirs solitaires sont de ce point de vue, des formes de déviance sexuelle.

 

Pensez-vous que le fait de recourir à des objets sexuels pour satisfaire une libido peut affecter, à terme, la vie en famille et les rapports humains ?

La sexualité est un phénomène social. Elle devrait faire intervenir, sinon impliquer plusieurs acteurs. En la pratiquant tout seul avec des objets sexuels, l’individu rompt le lien avec le restant du corps social et se renferme dans sa bulle, alors que l’autre partie de la relation de couple a besoin de lui. Cependant, le recours aux objets sexuels permet à certaines relations de couple de devenir plus fusionnelles et surmonter les difficultés qu’elles rencontrent dans leur sexualité.  

 

Le fait de recourir de façon continue aux objets sexuels peut-il affecter la mentalité et l’orientation sexuelle de quelqu'un ?

 

OUI, on pourrait le dire. Adopter une telle orientation sexuelle qui met en avant, le plaisir solitaire, peut amener à s’éloigner des relations de couple avec ses hauts et ses bas.  C’est en quelque sorte refuser d’assumer les contraintes et obligations associées aux relations amoureuses. De ce point de vue, outre les plaisirs que l’on peut en tirer, cette personne s’affranchit des pressions que la société nous impose à l’image de celle de célébrer la Saint-Valentin.

 

Réalisée par Kra Bernard

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