Les observateurs de la scène politique qui ont dit que les ivoiriens sont des ouvriers de la dernière heure sont sur le point d’avoir raison. Du moins pour ce qui concerne l’opération de révision de la liste électorale qui a refermé ses portes hier, après une semaine de report. La série de reportages que la Rédaction a entrepris les dernières 48 heures de l’opération dans certains d’enrôlement de la capitale économique a permis de relever un engouement autour de ladite opération. Dans la commune chic de Cocody, la situation était ahurissante. Les agents qui se tournaient les pouces toute au long des quatre semaines écoulées ont été littéralement assaillis, ce dimanche 17 novembre 2024. Ce constat a été fait au centre d’enrôlement du Lycée technique Le Mahou au niveau d’Angré.
A notre passage dans ce centre, ce dimanche à 13H48, les deux bâches dressées à l’entrée de la salle refusaient du monde. Cette situation a été confirmée par la présidente du centre d’enrôlement dont les équipes étaient visiblement débordées. Ce même constat a été fait au Groupe scolaire Latrille. Ici, les esprits ont commencé à s’échauffer vers 15 heures. Les chaises dressées étaient insuffisantes et une file a commencé à se dresser dans la cour de l’école. Ici, pour éviter tout désagrément, la présidente du centre a décidé de collecter toutes les pièces des requérants et de procéder par appel. 15H20, nous sommes à l’EPP Angré situé dans le dos du célèbre commissariat du 22ème arrondissement. Ici, le constat est encore le même. Le préau en construction qui sert de bureau aux agents de la CEI est envahi par les requérants. De tous les centres que nous avons visités, un constat se dégage : La plupart de ceux qui ont pris d’assaut ces centres à la dernière minute sont des primo votants. Ce ne sont pas seulement des jeunes, mais aussi des adultes qui s’inscrivent pour la première fois sur une liste électorale. Dans notre périple dans ces centres, nous avons constaté un phénomène certes par moral, mais pas blâmable encore moins condamnable. Du moins pour le moment.
Que ce soit au Lycée technique Le Mahou, au Groupe scolaire Latrille et à l’EPP Angré, nous avons constaté un dispositif où l’argent circulait abondement dans les centres. Pas à l’endroit des agents de la CEI, mais à l’endroit des pétitionnaires, notamment les nouveaux majeurs. A la sortie, du centre du Lycée technique du Mahou, un jeune nous interpelle en ces mots : « Vieux père, si tu as fini de te faire enrôler, il faut monter à l’étage tu vas prendre 5000F ». Cherchant à en savoir davantage, il ressort qu’un dispositif a été mis sur pied. Et tout requérant, surtout nouveau majeur qui finit de s’inscrire, monte à ce bureau. En échange de la photo de son récépissé d’enrôlement et de ses références téléphoniques WhatsApp, il lui est remis 5000 F pour « boire de l’eau ». Le système est tellement organisé au point où les agents de la CEI ne savent même pas qu’un business s’est développé autour d’eux. Curieux, nous cherchons encore à creuser et voilà ce que rapporte notre interlocuteur : « Si tu es déjà inscrit, ce n’est pas la peine. Mais si tu es nouveau, tu montes à l’étage, tu montres ton récépissé et tu laisses tes coordonnés et tu as 5000 F. Vieux père, si tu as des petits qui sont au quartier, il faut leur dire de venir. Ça va finir tout à l’heure. L’argent est là et c’est comme ça dans tous les centres ».
« Nous, on cherche notre jeton, les gens de la CEI vont se débrouiller pour trier »
A notre passage dans le centre de l’EPP Latrille, cette information se confirme. Ici, le dispositif est le même et le système est bien huilé. Des membres du réseau sont postés au sein de l’école, d’autres à la sortie et les derniers un peu loin. Ceux qui sont à l’intérieur sont chargés de repérer les nouveaux majeurs, les deux à l’entrée sont chargés de les conduire vers ceux qui sont chargés de prendre les coordonnés. A 14H54, nous avons suivi en direct à cette opération où après avoir pris la photo du récépissé du requérant, ces quidams ont aussi pris la photo du néo votant. Poursuivant, c’est à l’EPP Angré que nous constatons que la ‘‘marmaille’’ s’est invitée dans l’affaire. Sous nos yeux, des jeunes visiblement pas habitants de Cocody, arrivent à motos pour se faire enrôler.
L’appât des 5000F de Cocody est tombé dans les oreilles des jeunes de la commune voisine d’Abobo ? Tout porte à le croire parce que le profil de ceux que nous avons vus dans ce centre n’est pas loin des jeunes d’Abobo. Et comme si cela ne suffisait pas, deux jeunes que nous avons déjà aperçus, un au Lycée technique Le Mahou et le second au Groupe scolaire Latrille sont encore dans les rangs pour se faire enrôler à l’EPP Angré. Approché, la réaction du premier se passe de commentaire. « Le vieux, actuellement décembre arrive. On prépare les fêtes. Nous on cherche notre jeton, les gens de la CEI vont se débrouiller pour trier ». Voilà qui est clair. En d’autres termes, ce système de rétribution qui s’est instauré autour de l’opération risque de biaiser les chiffres finaux de la CEI car, selon un agent de cette institution avec qui nous avons échangé, même si par extraordinaire ces jeunes arrivent à faire des enrôlements multiples pour de l’argent, au décompte final, ils seront éjectés du système et on ne retiendra qu’une seule inscription et pas les doublons. Après cette tournée et au vu ce système récépissé contre 5000F, la question qui mérite d’être posée est la suivante : Qui est derrière cette opération ? Bien malin qui pourra répondre. En tout état d cause, quel que soit le commanditaire, c’est une opération à saluer parce que cela a permis à des jeunes qui en remplissent les conditions de s’inscrire sur la liste électorale. Ceci est donc un acte citoyen, même s’il est rémunéré. Maintenant la vraie question est la suivante : Le candidat ou le parti politique derrière cette opération réussira-t-il à mobiliser ces mêmes jeunes et à rentabiliser son investissement le jour des élections et à quel prix ? Le débat est ouvert.
Kra Bernard