Selon une source proche de la médiation, l’un des médiateurs, un ex-chef d’Etat de la sous-région, s’était vu promettre la non-judiciarisation de l’affaire. Aussitôt a-t-il quitté le Mali, il apprend, éberlué, le début de la mise sous mandat de dépôt des soldats ivoiriens. « Ce n’est pas sérieux ! », lâche un membre de la délégation du médiateur. Même Macky Sall, à qui des promesses avaient été faites, a aujourd’hui du mal à cerner les militaires du palais de Koulouba. Il a fallu que le président du Nigeria, Mouhamadou Buhari s’implique pour qu’on comprenne le véritable sens de la détention des soldats ivoiriens. "Le Président GOÏTA a par ailleurs fait comprendre qu’au même moment où la Côte d’Ivoire demande la libération de ses « soldats », continue de servir d’asile politique pour certaines personnalités maliennes faisant l’objet de mandats d’arrêt internationaux émis par la justice.
Malheureusement, ces mêmes personnalités bénéficient de la protection de la Côte d’Ivoire pour déstabiliser le Mali. D’où la nécessité d’une solution durable à l’opposé d’une solution à sens unique qui consisterait à accéder à la demande ivoirienne sans contrepartie pour le Mali", relève le communiqué de la Présidence malienne. Voilà qui est désormais clair : le Mali veut utiliser les militaires ivoiriens comme une monnaie d’échange. L’argument développé par Assimi Goïta et ses hommes puent la mauvaise foi.
La junte n’est pas à son premier chantage
En effet, la Côte d’Ivoire avait émis, elle aussi, des mandats d’arrêt internationaux contre certains de ses ressortissants au Mali après le scrutin présidentiel d’octobre 2020. Le 16 novembre 2020, un mandat d’arrêt avait été lancé contre Ben Souk, proche collaborateur de Guillaume Soro, au Mali. La justice ivoirienne reproche à Ben Souk ‘’des actes subversifs pouvant admettre une qualification pénale commis en Côte d’Ivoire’’.
A l’époque, la junte malienne avait arrêté Ben Souk et admis son extradition contre des anciens proches d’Ibrahim Boubakar Keïta, dont le fils, Karim Keïta, réfugiés en Côte d’Ivoire après le coup d’Etat du 18 août 2020 au Mali. Abidjan a poliment décliné l’offre et l’affaire en est restée là. Il en est de même pour quelques Ivoiriens impliqués dans des actions subversives. Réclamés à Abidjan, ces Ivoiriens vivent tranquillement et continuent de mettre mal à l’aise la Côte d’Ivoire. Pour autant, les autorités ivoiriennes font profil bas, histoire de ne pas envenimer la situation. L’arrestation des soldats ivoiriens est donc un moyen pour le Mali de prendre sa revanche sur le pouvoir d’Abidjan. Dès les premières heures de ces arrestations, le 10 juillet dernier, toute la documentation demandée par les autorités chargées de la sécurité au Mali a été fournie. La Côte d’Ivoire avait même reçu l’assurance que les soldats seraient libérés en soirée parce qu’il y avait un malentendu.
La Côte d’Ivoire déjoue un piège au Togo
20h, ce même jour, coup de théâtre ! Dribblant certains officiels maliens impliqués dans la gestion du dossier, le porte-parole de l’armée fait un communiqué musclé à la télévision malienne, traitant les soldats ivoiriens de mercenaires. Surprise générale. Abidjan s’interroge. Le président Alassane Ouattara souhaite consulter toute la documentation avant de réagir.
Le 12 juillet, le chef d’Etat ivoirien préside un Conseil national de sécurité (Cns) à l’issue duquel il exige ‘’la libération sans délai des soldats’’. Des chefs d’Etat de la Cedeao interviennent pour faire chuter la tension entre les deux pays. C’est ainsi que le président togolais sera désigné pour une médiation. Au premier round, la partie malienne est confondue. Non seulement, elle effectue le voyage à bord de l’avion qui avait embarqué les 49 soldats, prouvant ainsi qu’il y avait manifestement anguille sous roche, mais elle a été incapable de prouver que les soldats étaient en mission de déstabilisation. Toute la documentation lui a été fournie par la partie ivoirienne. Abattus, les Maliens ont souhaité que la Côte d’Ivoire ‘’exprime des regrets qui permettront aux autorités maliennes de sortir par la grande porte’’. La Côte d’Ivoire y voit un piège. Présenter des regrets pour une faute non commise aurait été la pire solution et placerait les autorités ivoiriennes dans une situation inconfortable. Naturellement, la Côte d’Ivoire dit niet. Au second round des négociations, le 3 septembre, la Côte d’Ivoire consent enfin à admettre, dans un langage diplomatique, qu’il y a eu des dysfonctionnements (de la part de la Minusma). Trois des militaires furent libérées et regagnent Abidjan tard dans la soirée.
« Ouattara a fait preuve de sagesse dans la gestion de ce dossier. Il a montré toute sa bonne foi ».
Au-delà de cette libération, le Mali semblait envoyer un message à Abidjan : « nous avons donné quelque chose, à vous de donner quelque chose également ». Le Nigeria a dépêché un émissaire pour exiger, du président malien, une libération sans délai des soldats ivoiriens. Le président Ouattara a également activé ses réseaux à l’international, notamment à l’Onu, pour la résolution du problème. Selon le confrère Jeune Afrique, le chef de l’Etat a souhaité que le secrétaire général des Nations unies s’implique dans la gestion du dossier. Le 20 septembre prochain, l’Onu pourrait exiger la libération des soldats ivoiriens. Depuis le 10 juillet 2022, Alassane Ouattara aura fait preuve de patience pour laisser une chance à la médiation d’aboutir. Pas un jour ne passe qu’il ne s’enquiert de la situation des soldats. Pas un jour ne passe sans qu’il passe un coup de fil à de hauts niveau pour la résolution du problème. Aucun reproche ne lui sera fait si d’aventure il décide de passer à la vitesse supérieure. « Ouattara a fait preuve de sagesse dans la gestion de ce dossier. Il a montré toute sa bonne foi. Il a donné une chance à la négociation. Hélas, ceux d’en face (la junte malienne, Ndlr) ne joue pas franc-jeu. C’est épuisant pour une négociation », a réagi un diplomate de la sous-région.
Yacouba DOUMBIA