Jeudi 12 mars 2020. Le palais des congrès de l'hôtel sofitel refuse du monde. Tous les hauts cadres du Rhdp sont là. L'événement en vaut la peine. C'est le jour de la désignation du candidat du parti houphouétiste à la présidentielle d'octobre 2020. Le président de la République, Alassane Ouattara, qui préside le directoire du Rhdp est à la manœuvre. Feu Amadou Gon Coulibaly, alors Premier ministre, est choisi pour porter les espoirs des militants du Rhdp. La salle tombe en transe. Il y a un standing ovation. Mabri Toikeusse semble indifférent. Son discours est froid. Qu'à cela ne tienne, la réunion se déroule globalement bien. Mais l'attitude du leader de l'Udpci suscite des débats. Pourtant, avant la cérémonie, de nombreuses rencontres entre Mabri et le chef d'Etat, entre Mabri et feu Amadou Gon Coulibaly ont eu lieu. Sans véritable succès. Rencontres qui n'ont pu faire fléchir le fils du Tonkpi, "héritier du balayeur balayé". C'est désormais le froid entre Mabri et ses amis.
Le 8 juillet 2020, de retour de Paris après des soins, Amadou Gon Coulibaly décède. Le Rhdp est déstabilisé à trois mois du scrutin présidentiel. Le président de la République lui-même décide de candidater. Le 2 août, Mabri claque la porte après le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci). Il rejoint l'opposition et engage une offensive contre ses anciens camarades. Il perd de nombreux cadres, mais refuse de disparaître. L'opposition qu'il rejoint refuse de participer à la présidentielle. Un front se dresse contre Alassane Ouattara et un mot d'ordre de désobéissance civil est lancé, suivi du boycott des élections. Malgré tout, les élections ont lieu sur une grande partie du territoire national. Ouattara remporte les élections. L'opposition, dont le porte-parole est Mabri Toikeusse, lance le Conseil national de transition (Cnt). Le pouvoir réagit et procède à des arrestations. L'opposition est quasiment décapitée. Mabri profite de la confusion pour disparaître. Mi-2021, il refait surface et tente un rapprochement avec le pouvoir, en vain.
Après Amadou Gon et Guillaume Soro, il était l'un des rares à prétendre aux postes de Président de l'Assemblée nationale ou encore de Premier ministre
De médiation en médiation, Mabri est reçu, une première fois le 22 mars 2022 au palais présidentiel, par le Alassane Ouattara. C'est le déclic. 5 mois plus tard, il revient au Rhdp. Quel gâchis ! Quelle perte du temps ! Et pourtant, Mabri avait tout pour accéder à de hautes fonctions. Membre fondateur du Rhdp, il était quasiment le seul, après Henri Konan Bédié et Anaky Kobenan, président du Mouvement des forces d'avenir (Mfa), à prétendre à une très haute fonction. "Après Amadou Gon et Guillaume Soro, il était l'un des rares à prétendre aux postes de Président de l'Assemblée nationale ou encore de Premier ministre", soutient un cadre du Rhdp, joint par téléphone. "Le plus important, c'est le retour. Je pense qu'il a compris. Du moins, c'est ce qu'on pense", croit, pour sa part, Maxime Kouamé, responsable de base du Rhdp. Mabri avait donc tout pour lui : légitimité, ancienneté et surtout une meilleure connaissance de l'histoire du parti houphouétiste. Au final, il a noyé tous ces acquis dans l'océan de ses doutes et de sa démarche alambiquée. Repêché par son père, comme il l'a lui-même dit suite à l'audience que lui a accordée Alassane Ouattara, ce jeudi 8 août 2022, il devra montrer patte blanche. Le Rhdp, qui est un parti de rassemblement, ne pouvait que lui ouvrir les bras.
Ce retour de Mabri pose la problématique de la crédibilité des hommes politiques ivoiriens, principalement des leaders de l'opposition. Après avoir suscité et soutenu des actions de déstabilisation, avec à la clé, des dizaines de morts, ils reviennent à leur point de départ, sans mea culpa, quitte à enjamber les cadavres. De quoi interpeller les militants zélés, prêts à exécuter aveuglement les mots d'ordre. Mabri est certes revenu mais ses actes seront une tâche dans son parcours politique.
Yacouba DOUMBIA