Politique

Alassane Ouattara hier sur RFI et France 24 : « J’ai confiance en mon armée »

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Le président ivoirien en séjour à Bruxelles en Belgique, a accordé une interview à France 24 et RFI. L’Avenir vous propose l’intégralité de ces échanges.

 

Après neuf ans, la France a décidé de se retirer militairement du Mali au moment même où la menace djihadiste s’étend. Est-ce un constat d’échec ?

Je ne pense pas. La France a pris une décision par rapport à la situation au Mali. Elle ne se retire pas du Sahel. Elle adapte son dispositif compte tenu de ses relations avec le Mali.

 

La réadaptation de son dispositif, est-ce que cela pourrait aussi concerner la Côte d’Ivoire ? Est-ce que vous pourriez accueillir plus de troupes, de matériels français ?

Nous, nous avons toujours estimé que la sécurité est un préalable au développement. Je ne sais pas pourquoi les gens se font des complexes. L’Arabie Saoudite a une base américaine, d’autres pays aussi. Si notre sécurité exige que nous fassions appel à des partenaires, à des pays amis, nous le ferions. Tout cela est en discussion et on verra par la suite.

 

Il y aura donc plus de soldats et de bases françaises en Côte d’Ivoire ?

Nos ministres vont en discuter avec nos armées et nous verrons. Mais, nous, nous sommes organisés. Vous savez, la sécurité dépend des troupes nationales. Nous avons maintenant une armée bien formée, professionnelle, bien équipée et dont on s’occupe bien. J’ai confiance en mon armée.

 

En Afrique de l’Ouest, le sentiment anti-français semble se répandre. On l’a vu il y a quelques semaines avec ce convoi de Barkhane qui a été intercepté par des manifestants.

Un évènement ici ou là ne veut pas dire qu’il y a un problème. Après tout, ce convoi a quitté Port-Bouët pour aller jusqu’à Gao. La Côte d’Ivoire a été traversée. C’est quasiment 1000 kilomètres, il n’y a pas eu de problèmes. Il ne faut pas prendre deux problèmes à deux points, on en fait un problème anti-français. Non, ce n’est pas vrai.

 

Il y a des manifestations anti-françaises au Mali.

Vous savez, il y a beaucoup de manipulations dans tout ça ».

 

Donc, les militaires français ont encore un avenir en Afrique ?

Ce n’est pas un avenir. Je dis que les militaires français sont les bienvenus comme les Américains, comme d’autres.

 

La CEDEAO a durement sanctionné le Mali il y a environ un mois. Mais paradoxalement, cela semble souder la population derrière la junte. On a vu des manifestations de masse. Est-ce que le résultat n’est pas le contraire de ce que vous escomptiez ?

Nous n’avons pas cherché à punir le peuple malien. Le peuple malien est un peuple frère. La CEDEAO a des règles. Ces décisions ont été prises à l’unanimité. J’en suis malheureux, parce qu’en réalité, nous ne voulons pas que le peuple malien ait des périodes de souffrance aussi graves. Il y aura des pénuries, il y aura des difficultés. Nous attendons tout simplement que le gouvernement, la junte malienne, nous propose un calendrier raisonnable et que graduellement, nous puissions lever les sanctions comme l’exigent les textes de la CEDEAO. Ce n’est pas une décision personnelle de qui que ce soit. Ce sont des textes. Si un autre pays était dans cette situation, le Mali aurait été partenaire à la décision.

 

 

Alors, ce calendrier justement, la junte vous a proposé cinq ans de transition avant d’aller aux élections. Puis, elle a reculé d’un an. Elle vous a proposé quatre ans. L’Algérie s’est proposée comme médiatrice et a proposé 16 mois. Est-ce que 16 mois, ça vous paraît un délai raisonnable ?

Je n’ai pas à commenter les propositions de l’Algérie. L’Algérie est en Afrique du Nord. Nous, la CEDEAO, nous avons nos règles et c’est à l’unanimité que nos décisions seront prises. Et nous examinerons le cas malien en temps opportun en fonction de notre expérience et des discussions que nous aurons avec les autorités maliennes.

 

Est-ce que vous pensez que la date butoir pourrait être à la fin de l’année ?

Je n’ai pas de position personnelle, monsieur. Aucune décision personnelle. Je ne suis pas le président de la CEDEAO. C’est le Ghanéen, mon ami Nana Akuffo-Addo. Nous allons sans doute avoir une autre réunion au mois de mars pour examiner la situation. Nous voulons que ces sanctions soient levées le plus tôt possible, parce que le peuple malien ne mérite pas cette situation d’embargo.

 

En tout cas, ça ne peut pas durer quatre ans ?

Mais non, écoutez, quatre ans, c’est quand même la durée d’un mandat au Ghana ou au Nigéria. Vous conviendrez avec moi que ce n’est pas raisonna            ble. Je demande à mes frères maliens de faire un effort, de rentrer dans les rangs comme l’exigent les règles de la CEDEAO. Nous les avons aidés, ils le savent. J’ai été en contact permanent avec le colonel Assimi Goïta. Il m’envoyait des émissaires avant chaque sommet. Nous avons fait ce que nous avons pu. Mais nous ne pouvons pas faire plus, puisque les règles de la CEDEAO sont là et il faut les appliquer.

 

« Je ne suis pas un adepte des réseaux sociaux »

 

Vous vous êtes parlé directement ?

On se parle souvent, tout le temps, comme avec le colonel Doumbouya et avec les autres, le colonel Damiba. Moi, je suis en contact avec tout le monde. Nous sommes un pays de dialogue, la Côte d’Ivoire.

 

Monsieur le Président depuis environ une semaine, circule sur les réseaux sociaux, un enregistrement d’une prétendue conversation entre l’ex-Premier ministre du Mali Boubou Cissé et une personne. Certains ont reconnu votre voix. On entend des critiques sur la junte malienne. Est-ce que cette conversation est authentique ? Est-ce que c’est vous ?

Peut-être qu’il faudra me la faire écouter, comme ça, je pourrai vous le dire. Vous savez, moi, je ne suis pas un adepte des réseaux sociaux. C’était quand ça ?

 

Il y a environ une semaine

Envoyez l’enregistrement et je pourrai vous répondre. Moi, je parle à tout le monde, à Boubou Cissé, à Boubèye Maïga, Assimi Goïta, tout le monde. Parce que c’est comme ça que nous allons arriver à les rapprocher et à sortir de cette situation. Les autorités maliennes savent que j’ai la plus grande considération pour elles.

 

Justement, à propos de considération, on vous entend les critiquer en parlant d’idiots. C’est pour cela que ça fait un petit peu scandale, monsieur le Président.

Les nouvelles technologies peuvent faire beaucoup de choses.

 

La justice malienne a ouvert une enquête pour atteinte à la sûreté

Ecoutez, ça, c’est une affaire des Maliens. Je ne veux pas m’en mêler.

 

Est-ce que l’arrivée éventuelle de combattants et de paramilitaires russes dans le pays voisin qu’est le Mali, ça risque de vous inquiéter ?

Nous avons dit clairement au niveau de la CEDEAO que nous sommes contre l’utilisation des personnes non-étatiques dans nos pays. Ça été dit clairement dans les différents communiqués. Donc, la position est simple. La CEDEAO et nous, sommes totalement en phase avec ces positions. Pardonnez-moi, je considère que la coopération doit être État-État. Et, c’est dans l’intérêt des Maliens. La France est un partenaire fiable. La France a perdu quand même 53 de ses enfants au Mali. La France dépense à peu près, un milliard par an au Mali. Mais écoutez, je considère que c’est quand même déplorable que nous soyons dans une telle situation. Je continuerai de dire aux autorités maliennes qu’elles doivent faire en sorte que les choses s’améliorent dans les relations. Comme on dit en Afrique de l’Ouest, il faut qu’elles mettent de l’eau dans leur gnamankoudji, c’est-à-dire dans leur jus de gingembre. Il faut que ça s’arrange. Ça ne peut pas continuer comme ça. Ça y va de l’intérêt des Maliens et de l’Afrique de l’Ouest.

 

Vous regrettez le départ de Barkhane du Mali ?

Non, c’est aux Maliens d’apprécier. Nous considérons que la lutte contre le terrorisme est quelque chose d’essentiel pour le Mali, pour le Burkina, pour le Niger et pour les pays côtiers. Donc, le départ de Barkhane et de Takouba crée un vide. Nous serons obligés d’augmenter nos forces de défense. Nous serons obligés d’accroître la protection de nos frontières. Nous serons obligés d’acheter des armes, d’avoir une plus grande professionnalisation.  Mais, c’est notre devoir aussi, les armées nationales doivent régler les problèmes sur nos territoires nationaux et c’est cela notre philosophie. Nous ferons en sorte que cela soit ainsi. Et nous prendrons toutes les mesures possibles, même si nous devons dépenser 2, 3 ou 4% du PIB sur les dépenses militaires, nous le ferons pour notre protection. Parce que sans sécurité, il n’aura pas de développement.

 

Je reviens à un autre de vos voisins qui a également connu un coup d’État, le Burkina Faso, c’était le 24 janvier dernier. D’après les contacts que vous avez avec le chef la junte, est-ce que M. le Président, après quelques semaines, vous avez l’impression qu’ils suivent la voix de leurs frères d’armes maliens ou peut-être s’orientent-ils vers une solution qui est peut-être plus adaptée à ce que vous cherchez ?

Moi, j’ai parlé au Colonel Damiba. D’abord, je me préoccupais de l’intégrité et la sécurité du Président Roch Kaboré. Il m’a donné les assurances. Je lui ai dit que nous ferons en sorte de les accompagner à condition que les règles de la CEDEAO soient respectées. Et c'est ce que nous faisons actuellement. Et je souhaite que cela se fasse bien sûr.

 

« Les députés prendront la décision qui sied en temps opportun »

 

Les premiers indices sont plutôt favorables, vous diriez ?

Je n’ai eu que deux conversations avec lui. C’est un peu tôt.  Je souhaite effectivement que nous puissions trouver une solution rapidement pour ne pas en arriver à des sanctions financières et économiques pour le Burkina.

 

« Je ne suis pas à la recherche d’un job à 80 ans »

 

Vous avez mentionné le Président Kaboré. N’est-il pas libre de ses mouvements ?

Nous travaillons à cela.

 

Vous avez obtenu des garanties ?

Je ne suis pas la CEDEAO, mais en tout cas, j’ai plaidé. Le Président m’a donné des assurances que son médecin le voit tous les matins, sa famille également et je suis rassuré et par conséquent, nous suivons cette question.

 

Malgré le putsch du 24 janvier, le procès des assassins présumés du Président Thomas Sankara a pu se poursuivre. Le procureur vient de requérir 30 ans de prison à l’endroit de l’ancien président Blaise Compaoré et de son ancien bras droit Hyacinthe Kafando. Il se trouve que le premier est refugié en Côte d’Ivoire et que le second présumé vit effectivement en Côte d’Ivoire. Est-ce que vous pensez que 35 ans après ce crime d’État, il est temps que les gens connaissent la vérité et que peut-être que les deux acceptent de comparaître devant la justice burkinabè ?

 

Posez-leur la question. La Côte d’Ivoire est un pays d’hospitalité. Nous considérons qu’ils sont chez eux en Côte d’Ivoire et que par conséquent, il n’y a pas de difficulté. Il leur appartient, avec les autorités burkinabè (j’avais entrepris des démarches avec le Président Kaboré pour le retour du président Compaoré). Je pense que tout cela se fera en temps opportun.

 

Et pour Hyacinthe Kafando ?

Je ne connais pas Hyacinthe Kafando. 

 

Mais il est en Côte d’Ivoire…

Je ne sais pas. Vous me dites qu’il est en Côte d’Ivoire. Vous savez, nous avons cinq millions de Burkinabè en Côte d’Ivoire.

 

Autre pays frappé par un putsch, c’était le 5 septembre en Guinée Conakry…

Décidemment, vous ne me posez des questions que sur des pays…

 

Il se trouve que ces trois pays sont voisins de la Côte d’Ivoire...

Ce sont des pays qui nous sont chers aussi.

 

Il se trouve que pour l’instant, le colonel Doumbouya n’a donné aucun calendrier de la transition, alors que ça fait déjà six mois que tout cela a lieu…

Je suis en contact également avec le colonel Doumbouya. Les choses se feront en temps opportun. Je peux vous dire que jusqu’à présent, il a tenu ses engagements à mon endroit et je continue de penser que ça continuera.

 

Vous pensez que le calendrier va respecter les normes ?

Il y a des institutions qui ont été mises en place. Je souhaite que soit le plus tôt possible.

 

« J’ai une demi-douzaine de cadres RHDP très compétents »

 

C’est-à-dire d’ici la fin de l’année ?

Non. Non. Je n’ai pas à imposer un délai aux Guinéens, ni aux Maliens, ni aux Burkinabè. Nous leur disons seulement que la Charte de la CEDEAO a des contraintes qu’il faut respecter.

 

Il y a eu le Mali, la Guinée, le Burkina Faso. Tout le monde semble faire face à une épidémie de coups d’État en Afrique de l’Ouest. Est-ce que vous craignez que la contagion s’étende ?

Non. Je ne le souhaite pas, bien évidemment. Pourquoi toutes ces mesures ? C’est pour éviter des situations de ce genre. L’Afrique de l’Ouest a fait de grands progrès en matière de démocratie et de respect des droits de l’Homme. Nous avons une période difficile à cause du terrorisme, la pauvreté, des problèmes globaux de réchauffement climatique…Nous avons une période difficile à passer, mais ça ne veut pas dire que tout est bouleversé. Moi, je suis confiant.

 

Et chez vous. Il n’y a pas de crainte ?

Écoutez. Vous savez, la Côte d’Ivoire est un pays qui a connu un coup d’État que tout le monde regrette. Je pense et je crois que nous avons une armée professionnelle, républicaine. Et nous sommes confiants que nous continuerons notre marche vers le développement et le bien-être des Ivoiriens.

 

Certains estiment que, comme en Guinée-Conakry, ce sont les troisièmes mandats qui ouvrent la porte à des putschs militaires. Certains pensent effectivement à votre troisième mandat…

Attendez. Ce n’est pas mon troisième mandat. C’est le premier mandat de la troisième République. Vous le savez bien. Vous deux, particulièrement. Vous m’avez interviewé à Abidjan. La Constitution ivoirienne a été votée en 2016 et j’étais candidat en 2020. Et j’avais dit que je ne serai pas candidat et cela ne veut pas dire que je n’étais pas éligible. Écoutez, des circonstances exceptionnelles m’ont amené à être candidat. Mais aujourd’hui, je suis soulagé de l’avoir fait. C’était une décision difficile pour moi, pour des raisons personnelles. Maintenant, c’est fait. La Côte d’Ivoire est en bonne marche et je suis soulagé et je continuerai de faire mon travail pour que la Côte d’Ivoire tienne bon.  Et nous continuons de faire des progrès importants au plan économique et social.

 

Une nouvelle condition exceptionnelle pourrait vous conduire à être candidat en 2025 ?

Les circonstances exceptionnelles se posent exceptionnellement, cher monsieur. En ce qui me concerne, tout le monde sait quelle était ma décision. Je l’ai annoncé au mois de mars pour des élections qui devraient avoir lieu au mois de septembre. Alors, je n’ai pas de problème à me faire. Vous savez, j’occupais quand même des fonctions importantes avant d’entrer en politique. Je ne suis pas à la recherche d’un job à 80 ans.

 

En 2025, vous ne serez pas candidat ?

Non. Laissez tomber cela. 2025, nous verrons bien, les Ivoiriens choisiront qui ils veulent. Je souhaite qu’ils choisissent quelqu’un de plus jeune que moi et mes prédécesseurs.

 

Est-ce que vous avez déjà pensé à quelqu’un qui pourrait porter les couleurs du RHDP en 2025 ?

Oui. J’ai une demi-douzaine à qui je pense. Ils sont nombreux, très compétents. Je suis persuadé que nous ferons un choix démocratique et que nous aurons quelqu’un de très compétent pour continuer de diriger le navire Côte d’Ivoire.

 

Comme vous avez posé la question de l’âge, un député a annoncé qu’il voulait déposer un projet de loi au mois d’avril à l’Assemblée nationale pour rétablir la limite d’âge pour être candidat à la présidence de la République à 75 ans. C’est une limite qui avait sauté avec la révision constitutionnelle de 2016. Je crois savoir que vous êtes favorable…

Ah bon ?

 

Peut-être que vous n’êtes pas favorable…

Non. Mais moi, je n’ai… L’Assemblée a son agenda…

 

C’est votre sentiment, monsieur le Président ?

Non. Écoutez. Les députés de mon parti prendront la décision en temps opportun.

 

Laurent Gbagbo a affirmé que pour lui, c’était totalement inacceptable…

Mais Laurent Gbagbo n’est pas la République…

 

Est-ce que vous avez des contacts réguliers avec lui ? Il se dit que vous ne vous parlez plus trop comme avant…

Non. Je lui ai parlé il y a à peine trois semaines. De même avec le Président Henri Konan Bédié. Nous avons des relations fraternelles.

 

Au nom de cette réconciliation et de cette fraternité ivoirienne, est-ce qu’après Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, et pourquoi pas Guillaume Soro, pourraient rentrer à leur tour, en Côte d’Ivoire ?

Qu’ils demandent à la justice. Je ne suis pas le juge.

 

Vous parlez pour les deux ?

Non, je n’ai pas d’opinion sur l’un ou sur l’autre. Ils ont des dossiers en cours. Des dossiers qui sont devant la justice, qu’ils règlent ces problèmes administratifs et judiciaires.

 

Propos retranscrits par Ténin Bè Ousmane et Lahassana Barro

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