L’ex-chef de l’État, laurent Gbagbo, s’est lâché en recevant le samedi 5 février 2022, dans son village, Mama, une délégation de militants de son nouveau parti, le Parti des peuples africains Côte d’Ivoire (PPA-CI). Commentant l’actualité politique, il a fait des déclarations pour le moins dangereuses.
Devant ses partisans, le président du PPA-CI a donné sa lecture de la spirale de coups d’État qui secouent l’Afrique subsaharienne. « Quand dans un pays on fait des coups d’État civils et que ces coups d’État ne sont pas condamnés, mais sont applaudis, il ne faut pas s’étonner après que des militaires fassent des coups d’État militaires (…) Quand la constitution dit qu’un homme ne peut faire que deux mandats présidentiels et qu’il en fait trois, c’est un coup d’État civil. Mais on ne le dit pas et on ne le condamne pas assez. Un coup d’État est un coup d’État », lâche l’ex-chef de l’État.
À travers ces propos, il semble justifier les coups d’État en en expliquant les causes. C’est ce qu’il dit plus clairement en ces termes : « Quand tu as écrit qu’il faut deux mandats et que tu te débrouilles pour en faire trois, le militaire, avec son fusil, se dit : « j’ai une arme, eh beh, je fais un coup d’État. Voilà les conséquences des actes des politiques » ». Pour Gbagbo, les coups d’État sont légitimes d’autant qu’ils se veulent une riposte aux troisièmes mandats. Le « démocrate » semble donner là, une prime aux coups de force. N’avait-il pas qualifié de « salutaire pour la démocratie », le coup d’État contre Henri Konan Bédié en 1999 ?
Dérapages
Le disant, l’ex-chef de l’État fait là, une analyse de courte vue, car celle-ci semble justifier tous les coups d’État par le 3e mandat. Il aurait voulu passer un message détourné à nos militaires qu’il ne s’y prendrait autrement. Par ailleurs, en n’indexant que le troisième mandat comme cause des coups d’État, Gbagbo ignore-t-il que les coups de force du colonel Assimi Goïta au Mali et du lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba au Burkina Faso n’ont rien à voir avec un quelconque troisième mandat ? Autrement dit, trois des quatre coups d’État perpétrés en si peu de temps dans la sous-région ne tirent leur source d’une quelconque volonté de se maintenir au pouvoir à travers un troisième mandat. C’est dire si Gbagbo fait fausse route en donnant une prime au coup d’État à travers ses explications tendant à en justifier le bienfondé.
Le président du PPA-CI s’est, par ailleurs, prononcé sur les événements qui ont déchiré l’Ouest de la Côte d’Ivoire durant la crise postélectorale. Il s’est, notamment attardé sur le cas du peuple wê. C’est alors qu’il a repris à son compte, le terme génocide, régulièrement monté en épingle par des cadres de l’Ouest pour dénoncer les exactions que leurs populations ont vécues durant la crise postélectorale. « J’ai été invité par les Wê et les Akyé, mais j’ai décidé de commencer par les Wê parce que ce qu’ils ont subi, frise le génocide. Je ne dis pas que c’est un génocide parce que les juristes ont des définitions propres à eux, mais je dis que ça frise le génocide », lance Gbagbo.
En reprenant ce terme qui revient souvent quand des cadres de l’Ouest décrient les exactions qui ont été commises dans leur région, l’ex-chef de l’État contribue à prolonger la propagande autour de l’idée d’un génocide qui y aurait été perpétré. Même s’il ne qualifie pas de génocide, les drames qu’ont vécus les populations de cette région, il n’en surfe pas moins sur ce concept ressassé à dessein par des fils et filles de ladite région.
Et c’est en cela que c’est dangereux parce que, tout en brandissant le terme génocide, le président du PPA-CI admet lui-même que l’on devrait se garder de crier a priori au génocide, le concept ayant une signification juridique précise. D’ailleurs, lors du procès contre Amadé Oueremi, l’ex-seigneur du Mont Peko, accusé d’avoir semé la mort dans cette partie du pays, le terme génocide n’a pas été retenu par les juges. Encore fallait-il que les faits incriminés répondent à la définition juridique du terme génocide. Tant qu’il ne peut établir clairement cela, Gbagbo devrait se garder de surfer sur ce terme, d’autant qu’il tend à nourrir des ressentiments. Lesquels ressentiments sont d’ailleurs, ravivés par le fait qu’il remue le couteau dans les plaies en réveillant les vieilles blessures.
Pour avoir contribué à faire de l’Ouest ivoirien un far west fortement militarisé où pullulaient préfets militaires et miliciens de tout poil, l’ex-chef de l’État est en partie, responsable de cette propension des jeunes de la région à se poser en chair à canon. N’ont-ils pas été pendant longtemps l’objet d’un lavage de cerveau de la part des cadres FPI de la région, visant à les préparer à défendre le régime Gbagbo d’alors, envers et contre tout ? Pour toutes ces raisons, l’ex-chef de l’État devrait se garder de faire chorus avec ceux qui agitent à tout-va, la thèse du génocide wê, depuis la fin de la guerre postélectorale de 2011.
Assane Niada