Arrêté en décembre 2019 et libéré en juin 2021, Sékongo Félicien, l’un des ex-compagnons de l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro, demande pardon à Alassane Ouattara dans cette interview.
Votre leader Guillaume Soro est en exil et vous sortez de prison. Certains de vos compagnons trouvent que le pouvoir d’Abidjan est ingrat. Regrettez-vous de vous être battu pour l’arrivée de Monsieur Ouattara au pouvoir ?
Moi, je suis dans une posture tout autre. Tout combat auquel je participe est fondé sur une vision, un idéal. Aux Forces nouvelles, c’était l’idéal de démocratie, de cohésion sociale et de la construction d’un État-nation. Sur cette base, je ne peux affirmer que je me suis battu pour une reconnaissance personnelle quelconque.
Sur plusieurs médias et les réseaux sociaux, Guillaume Soro ne manque pas d’affirmer qu’il s’est battu pour qu’Alassane Ouattara vienne au pouvoir.
J’ai du mal à croire qu’il ait pu dire cela. Parce qu’au fondement de la légitimité du combattant des forces nouvelles comme dit plus haut, il était question de démocratie, de cohésion sociale et de vivre-ensemble. À partir de cela, affirmer que l’on a mené bataille pour l’avènement d’une personne au pouvoir, n’est ni plus, ni moins qu’une tentative de dénaturation de la lutte des Forces nouvelles. S’il l’a effectivement dit, je trouve que c’est un abus de langage.
Est-ce parce qu’aujourd’hui Guillaume Soro est en exil ou bien dans le creux de la vague que vous dites que l’objectif n’était pas de mettre Alassane Ouattara au pouvoir ?
Je ne crois pas. Il suffit de visiter les différentes déclarations des Forces nouvelles depuis le déclenchement de la rébellion en septembre 2002 pour reconnaitre que les motifs se trouvent être concentrés dans mes propos tenus plus haut.
Pour vous donc, beaucoup d’entre vous n’avaient pas bien compris le sens du combat. Est-ce cela qui vous amène à créer le MVCI (Mouvement pour la promotion des valeurs nouvelles en Côte d’Ivoire) qui est aujourd’hui un parti politique ?
Le MVCI est né d’abord comme une organisation de la société civile avec pour objet de promouvoir et de défendre les minorités, participer à rééduquer le peuple ivoirien pour le débarrasser des habitudes acquises de la crise que le pays a connue. Nous avons pensé qu’il était important de réapprendre aux Ivoiriens à vivre ensemble, en harmonie. Il était donc question d’estomper les séquelles de la décennie de guerre.
Et parmi ses valeurs, n’y a-t-il pas la reconnaissance ?
Qu’est-ce que la reconnaissance en politique ? Je veux bien qu’on la définisse. Parmi les valeurs que nous défendons, se trouvent la démocratie, la liberté, la justice, l’égalité, la cohésion, la fraternité, etc. Quant à la reconnaissance, je veux bien savoir, il s’agit de la reconnaissance de qui envers qui ?
La reconnaissance de votre combat qui a amené le RDR (Rassemblement des républicains) au pouvoir…
À ce niveau, il faut dire les choses clairement. Les Ivoiriens ont manifesté leur reconnaissance vis-à-vis des Forces nouvelles. Vous êtes contemporain. Vous avez pu observer que les Forces nouvelles ont été applaudies, adulées et félicitées. Le régime qui s’est installé en 2011, a nommé des responsables des FN dans les plus hautes instances. Les militaires ont été promus et responsabilisés. À partir de ces éléments factuels, où peut-on trouver le délit de non-reconnaissance ? Très honnêtement, ce débat sur la reconnaissance est sans fondement réellement.
Pourtant, vous étiez avec Guillaume Soro et beaucoup dans son entourage disaient cela ….
Ceux qui m’ont pratiqué, savent que je n’ai jamais été dans cette logique qui me parait dégradante. On ne peut pas réclamer la chambre principale à quelqu’un parce qu’on l’a aidé à construire sa maison. J’aurais voulu que les désaccords soient idéologiques.
Aujourd’hui, concrètement, après un an et un peu plus de six mois en prison pour la cause de Guillaume Soro, quel est l’état de vos rapports ?
Il n’y a plus de rapport entre Guillaume Soro et moi.
Pas même par téléphone. Il ne vous a pas appelé depuis votre sortie de prison en juin 2021 ?
Non
(…)
Si on vous demandait, à vous personnellement, de choisir aujourd’hui entre Alassane Ouattara et Guillaume Soro…
Il ne s’agit pas d’une question de personne, mais plutôt de système social et d’offre politique. Vous me demandez de choisir entre l’existant et le non-inexistant. Entre l’inconnu et le connu. Raisonnablement, je préfère le connu.
Le connu serait Alassane Ouattara ?
Dites-moi si vous avez déjà vu ou lu l’offre de Guillaume Soro. Feu mon père était un cultivateur. Il nous a nourris avec la force de ses muscles, avec la daba. Aujourd’hui, grâce à Dieu, je suis fonctionnaire. J’ai les aptitudes acquises de mes origines. La faim ou la recherche de l’opulence ne peut aucunement guider mes pensées. Cependant, vous devez le savoir, pour les hommes de gauche, au centre de la politique, se trouve l’humain ; on parle d’humanisme.
Alassane Ouattara serait donc plus humain que Guillaume Soro ?
Je vous laisse tirer les conclusions vous-même. Pour un désaccord politique, l’on a voulu que je meurs de faim en prison. Même malade, à l’exception d’Alain Lobognon, de docteur Touré et de madame Kando, je n’ai vu personne d’autre de GPS. Pourtant, j’ai été soigné par la présidence de la République. Des personnes comme Amadou Coulibaly, actuel ministre de la communication, sont passées me voir au nom de notre amitié. Que dire de ce que le collectif des avocats qui nous défendait, avait décidé de ne pas me défendre sur ordre, cela s’entend.
À vous écouter, vous estimez que le président Alassane Ouattara a été plus humain. Pensez-vous avoir fauté à son encontre ? Et êtes-vous prêt à lui demander pardon ?
Oui. J’ai fauté par procuration.
Assane Niada