On en sait un peu plus sur les tractations qui ont eu lieu autour du Conseil national de transition (Cnt). Au lendemain de la présidentielle du 31 octobre 2020, l’opposition, vent debout contre le président élu, créé le Cnt. L’objectif, c’est de semer la confusion et espérer rallier à sa cause l’administration, les forces de sécurité et les populations. Le Cnt était donc le couronnement d’une série d’actions, depuis l’insurrection populaire lancée par Pulchérie Gbalet à la tête d’une organisation de la société civile affiliée au Front populaire ivoirien (Fpi) proche, à l’époque, de l’ancien président Laurent Gbagbo, jusqu’à la désobéissance civile, en passant par les manifestations sporadiques dans des ruelles d’Abidjan.
Le Cnt est une initiative de l’ex-président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, qui a réussi à convaincre l’opposition de sa capacité à faire plier le régime d’Abidjan. Crédité d’une expérience en la matière, il n’a pas de mal à rallier l’opposition, en l’occurrence le leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci), Henri Konan Bédié, qu’il avait menacé quand celui-ci s’était réjoui d’avoir été retenu par le Conseil constitutionnel pour compétir à la présidentielle. Naturellement, d’autres leaders de partis politiques rejoignent le Pdci. Il s’agit de Mabri Toikeusse, président de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (Udpci), Affi N’guessan, président du Fpi, Assoa Adou, leader de Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (Eds), Marcel Amon Tanoh, ex-ministre des Affaires étrangères et proche collaborateur du président Ouattara….Dans la stratégie, Bédié et le reste de l’opposition devraient s’occuper de la mobilisation de rue.
Soro, lui, prétend s’occuper du volet militaire. Après avoir échoué à rallier le président du Conseil constitutionnel, Mamadou Koné, et le candidat Kouadio Konan Bertin dit KKB, il contacte certains gradés de l’armée, via son ex-aide de camp. Un Colonel de gendarmerie, un commissaire de police (Lezou à Koumassi), d’anciens gendarmes à la retraire, un ancien instructeur de l’école de gendarmerie furent contactés. Ceux-ci entreprennent, en cachette, des réunions à Yopougon, sous la coupole d’un ex-porte-parole de l’armée. Il a été arrêté que l’escadron blindé de la gendarmerie entre en scène juste après les élections. Les populations devraient les rejoindre dans la rue.
La stratégie du chaos….
L’opposition, elle, devrait jouer son va-tout. Elle devrait accentuer la pression de rue et susciter une réaction disproportionnée des forces de sécurité pour discréditer le pouvoir en suscitant des condamnations de la communauté internationale. Devant la tension que suscitent les manifestations, Bédié est convoqué par le roi des Ashantis, au Ghana, le 12 octobre 2020. Le roi lui fait clairement savoir que la paix et la stabilité de la Côte d’Ivoire et du peuple Akan sont désormais entre ses mains. De retour en Côte d’Ivoire, Bédié enjambe les conseils du roi et durcit le ton. La tension monte dans certaines localités. Plusieurs ministres sont la cible d’hommes embusqués.
Le cortège du Premier ministre, alors Secrétaire général-Ministre d’Etat à la Présidence, essuie des tirs, le 29 octobre 2020 dans la zone d’Akoupé au Sud-Est de la Côte d’Ivoire. Le 3 novembre 2020, c’est celui du ministre de la Communication qui est la cible d’hommes embusqués alors qu’il tentait de rallier Bouaké à partir de Béoumi, au centre de la Côte d’Ivoire. Des ministres ont été immédiatement rappelés sur Abidjan parce qu’ils seraient la cible d’hommes armés. Cela participait de la stratégie de terreur promise par Guillaume Soro, qui avait d’ailleurs juré, la main sur le cœur qu’il n’y aura pas d’élection présidentielle et que le président Ouattara ne serait pas le prochain chef d’Etat. Le pouvoir, au fait des informations, prend les dispositions. Les forces de sécurité ne doivent ouvrir le feu sur personne. La situation est sous contrôle.
L’opposition durcit le ton. Elle ordonne à ses militants d’empêcher le bon déroulement du scrutin du 31 octobre 2020. Le message est entendu dans les bastions naturels de l’opposition, en l’occurrence à Bonoua, chez l’ex-première dame, Simone Gbagbo, à Daoukro, chez le président du Pdci Henri Konan Bédié, à Bongouanou chez Affi N’guessan, à Gagnoa chez l’ancien président Laurent Gbagbo. Les affrontements intercommunautaires sont particulièrement sanglants à Dabou et dans le V Baoulé. En dépit de cela, le scrutin se déroule généralement bien sur le territoire national. Les représentants des institutions régionales et sous-régionales ayant supervisé la présidentielle concluent à un bon déroulement. De quoi déstabiliser l’opposition qui joue l’ultime carte sous la manche.
Bédié s’entête…malgré tout
Guillaume Soro joint le leader du Pdci pour activer le Conseil national de transition. Le 1er novembre, une cinquantaine de jeunes du Pdci, sous l’instigation du secrétaire exécutif en chef de ce parti, Maurice Kakou Guikahué, sont recrutés et déployés, pour certains, devant la résidence de Bédié. Le reste est positionné devant la résidence de Guikahué lui-même. Très vite, ces jeunes vont perturber la circulation dans le périmètre de la résidence de leur mentor et indisposer les riverains, qui ne tardent pas à s’en plaindre.
Qu’à cela ne tienne, l’opposition préparait son coup : l’annonce du Cnt et d’un gouvernement. Entre temps, les représentants diplomatiques de la Grande Bretagne, des Etats-Unis, de la France engagent des discussions avec Bédié. Ils lui font clairement savoir qu’ils ne sont pas d’accord avec son initiative et l’invitent à l’annuler. Le représentant de l’Union européenne lui délivre le même message. Le 03 novembre, faisant fi des recommandations des ambassadeurs, Bédié entreprend d’annoncer un gouvernement parallèle, en dépit des réticences de l’ex-président, Laurent Gbagbo, qui lui fait clairement savoir que « la voie est sans issue », dans la mesure où, tente-t-il de convaincre, le Cnt ne dispose ni de leviers diplomatiques, ni financiers pour contraindre Ouattara à lâcher le pouvoir.
Les conditions des diplomates
Les choses vont s’accélérer. La police dresse un cordon autour de la résidence de Bédié, ce 3 novembre, en début d’après-midi. L’assaut est donné sur la résidence où se trouvent des cadres du Pdci, qui attendaient « l’annonce du gouvernement de l’opposition ». Sur place, Maurice Kakou Guikahué est arrêté avec quelques collaborateurs de Bédié. La directrice de la Communication, Djénébou Zongo a eu le temps de se cacher. Bédié lui-même, pris de court, est transi de peur. Assigné à résidence, il est désormais seul face à son destin.
Son épouse, indisponible à cette période, est absente. Bédié tente de joindre des ambassadeurs pour plaider sa cause. Les ambassadeurs contactés lui rappellent son entêtement et l’invitent à faire un communiqué pour disloquer le Cnt afin d’ouvrir le dialogue avec le pouvoir. C’est la débandade au sein de l’opposition. Affi N’guessan est rattrapé à l’Est alors qu’il tentait de s’enfuir. Albert Mabri Toikeusse disparait de la circulation. Assoa Adou et d’autres cadres sont assignés à résidence. L’opposition est décapitée. Du moins, pour l’instant. Le calme est instauré. Coincé, Bédié sollicite une rencontre avec le président Ouattara. Le Cnt est vite rangé au placard.
De nombreuses arrestations de militaires, policiers et gendarmes
Sur le plan militaire, il y a eu plusieurs arrestations. Ceux qui ont été chopés passent à table. Tous les éléments ramènent, soit à Guillaume Soro, soit à son entourage. Le patron du Gps fait profil bas. Les temps sont mauvais. Certains de ses contacts sur place prennent la poudre d’escampette et sont recherchés. L’un parmi eux, Ben Souk, est arrêté et croupit actuellement dans les geôles du Mali. Le Pdci, désillusionné, ouvre la voie du dialogue et prend ses distances avec le Gps.
Laurent Gbagbo revient en Côte d’Ivoire, le 17 juin 2021 et dirige désormais un nouveau parti politique. Affi N’guessan et Simone Gbagbo sont abandonnés à leur propre sort. Mabri Toikeusse se cherche. Au Pdci, de jeunes cadres tentent de d’évincer Bédié qui est littéralement vissé à son fauteuil. Guillaume Soro est abandonné par plusieurs de ses collaborateurs. Hormis quelques sorties sur les réseaux sociaux qui passent presqu’inaperçues, l’ex-député de Ferké semble perdu en Europe. Le pouvoir a la situation sous contrôle et exécute sereinement son programme de gouvernement.
Y. DOUMBIA