Bouaké, seconde ville de la Côte d’Ivoire, a connu une descente aux enfers sous l’occupation rebelle, entre 2002 et 2010. Mais depuis l’accession du président Alassane Ouattara au pouvoir, la capitale du Gbêkê est en train de renaître. Dans cette interview, Djibo Nicolas Youssouf, premier magistrat de cette ville-carrefour, jette un regard nostalgique sur le passé glorieux de sa cité et lève un coin du voile sur ses ambitions pour le redécollage de cette ville qui l’a vu naître.
Monsieur le maire, quel regard jetez-vous sur cette ville de Bouaké qui vous est chère depuis l’arrivée du président Alassane Ouattara au pouvoir ?
Je suis un maire heureux et croyez-moi, cette joie s’accroît au fil des mois. En effet, cette joie se bonifie au fur et à mesure que Bouaké se métamorphose, grâce aux chantiers de développement du président Alassane Ouattara en cours dans notre commune. Voyez-vous, en 2013, quand j’accédais à la tête de cette commune, la plupart des clignotants étaient au rouge. En réalité, nous avons hérité d’une mairie sinistrée principalement, à cause de la crise militaro-politique de septembre 2002 et de la crise postélectorale de 2011. Au plan économique, l’activité était dans un état végétatif, seule l’industrie de la noix de cajou générait la plupart des emplois et des richesses produites. Au plan social, à cause du chômage galopant et autres effets collatéraux de la sortie de crise, notamment le climat d’insécurité, l’horizon était sombre à Bouaké. Cette situation gagnait en intensité au fil du temps, avec les remous récurrents des démobilisés. Donc, il fallait des actes forts pour donner l’espoir aux Bouakéens. Je crois que dans le Gbêkê, les choses ont véritablement commencé à bouger avec la visite présidentielle des 25, 26, 27, 28 et 29 novembre 2013. Et, je peux dire que depuis ce moment, le président Alassane Ouattara est en train de révolutionner le visage de Bouaké.
En tant que maire et fils de cette ville, quel regard avez-vous sur le Bouaké de l’occupation rebelle et le Bouaké d’aujourd’hui
Ce sont deux réalités totalement différentes. Pour des raisons que nous connaissons tous, le Bouaké de l’occupation rebelle était la commune qui vivait en marge de la République, avec une économie de guerre et privée des investissements régaliens du pouvoir central. Des investissements indispensables pour faire convenablement face aux problèmes quotidiens des citoyens. C’était le Bouaké des zones Centre Nord et Ouest, une cité plongée dans l’incertitude à cause de la crise armée et du fonctionnement anormal des services de base que sont l’éducation, la santé, les finances...Peut-être que c’était un passage obligé pour notre jeune nation. Tous les grands pays du monde ont connu une telle parenthèse à un moment donné de leur histoire. Fort heureusement, cela fait désormais partie du passé. Aujourd’hui, les Ivoiriens considèrent cela comme un accident de parcours qui ne doit plus jamais se répéter. Sur ces erreurs passées, le Bouaké d’aujourd’hui est en train de bâtir une ville épanouie. Une ville dont l’un des piliers demeure la cohésion sociale et la participation inclusive de tous ses fils et filles à l’élan de développement.
« L’hospitalité est l’ADN de cette ville. Nous l’avons héritée des pères fondateurs et nous nous évertuons à la transmettre aux jeunes générations »
Bouaké, on le sait, a connu un passé glorieux au point de rivaliser souvent avec la capitale économique Abidjan. Est-ce que les éléments qui constituaient le charme et l’attraction de Bouaké ont été préservés ?
En matière de charme, vous avez pleinement raison. Qui ne se souvient pas de cette chanson du mythique de l’OFI (NDLR : Orchestre de la fraternité ivoirienne) : « Bouaké et sa piscine et ses belles rues bien éclairées » ? Cette chanson vantait les principaux charmes de Bouaké, à savoir la piscine, la belle voirie et même l’OFI. La piscine, l’OFI et d’autres valeurs culturelles avaient réussi à faire de Bouaké, la capitale culturelle de la Côte d’Ivoire. Après sa destruction suite au déclenchement de la crise de septembre 2002, la piscine de Bouaké est aujourd’hui en pleine reconstruction. Les travaux ont été lancés et le chantier évolue allègrement grâce aux appuis de feu, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly et aujourd’hui du ministre des Transports, Amadou Koné. Concernant l’OFI, il faut noter que cet orchestre a connu une résurrection de notre part. Malheureusement, ce retour n’a pas fait long feu. Nous n’avons pas pour autant baissé les bras. Ainsi, la semaine commerciale de Bouaké que nous avons rebaptisée « Foire Forum Commerciale de Bouaké », a connu le même destin. En 2013, j’avais promis à la population, le retour de cet important évènement si j’étais élu. La première édition de la Foire Forum Carnaval eut lieu du 7 au 12 avril 2015. L’objectif visé était entre autres, de faire connaître le patrimoine culturel local et régional, de rassembler les populations au-delà de leurs diversités autour d’occasions de retrouvailles gaies, d’accompagner la reprise économique, culturelle et touristique régionale et de positionner cette foire comme un produit d’appel touristique. Mais, après trois éditions successives, nous n’avons pas été satisfaits de la tournure prise par les évènements. On a buté sur le manque d’engouement des populations de Bouaké à être au cœur de cette renaissance, à être le moteur de cette résurrection de l’ancienne semaine commerciale. Le second obstacle fut la réticence des sponsors et opérateurs économiques quand il s’est agi d’investir dans la culture. Or, notre rêve c’était de promouvoir une économie culturelle à travers les spectacles vivants de notre terroir à savoir, les danses, concerts, ballets, bal populaire, etc. il s’agissait de faire comprendre que la culture est une potentialité industrielle au même titre que le cacao, le café, le pétrole, la noix de cajou…des produits à partir desquels on peut tirer des dividendes incommensurables. Cela se fait ailleurs, notamment à Ouagadougou lors du FESPACO, à Cannes, à Deauville, l’Abissa à Grand-Bassam, le Popo Carnaval à Bonoua, le Festival Dakar Music à Dakar…pourquoi pas à Bouaké ? Nous avons donc marqué un peu le pas, pour repartir sur de nouvelles bases plus adaptées aux réalités actuelles de la ville.
En dehors de la semaine commerciale et du carnaval, Bouaké a été rendu aussi célèbre par sa zone industrielle. Que reste-t-il de ces installations industrielles ?
Effectivement, la zone industrielle a fait la renommée de notre ville aux quatre horizons de la sous-région. En tête de ces usines, on peut citer sans se tromper, la Gonfreville, la Sitab, la Trituraf… De nos jours, force est de constater que cette zone industrielle s’est étiolée, suite à la quasi-disparition de plusieurs unités industrielles phares. Le déclin a commencé dans les années 1990 et le coup de grâce est survenu avec la crise de 2002. Aujourd’hui, l’activité industrielle de Bouaké est essentiellement axée sur la transformation locale de la noix de cajou. Mais, il y a un élément fondamental du charme et de l’attraction de cette ville qui ne saurait disparaître. C’est l’hospitalité légendaire des Bouakéens et cette forte volonté de vivre ensemble, malgré nos origines diverses. C’est l’ADN de cette ville, nous l’avons héritée des pères fondateurs et nous nous évertuons à le transmettre aux jeunes générations. D’ailleurs, cela transparaît en lettres d’or dans la devise de la ville qui est ainsi libellée : « De nombreux peuples, une seule cité ». Par le passé, si Bouaké a été cette ville particulièrement charmante, enviée et aimée de tous dans la sous-région, c’est grâce aussi et surtout, à cette étiquette de cité-carrefour, de lieu de rencontre de plusieurs peuples, dans une seule cité.
« Je rêve d’une ville de Bouaké redevenue ce pôle leader de la sous-région, au plan économique, culturel et industriel »
Parmi les nombreux projets d’envergure en cours dans votre ville, quels sont ceux qui font changer le visage et la physionomie de votre ville ?
Ce sont les projets phares de nos deux mandatures. Depuis peu, ils connaissent un début d’exécution et, déjà, on devine aisément le visage futuriste de la ville quand les différents travaux seront terminés. D’abord, le projet du Grand marché de Bouaké. C’est une attente forte des populations depuis 1998 où le marché précédent fut dévasté par un incendie. Depuis lors, le cœur de Bouaké battait, mais de façon anormale.
Vous savez, Bouaké est une ville essentiellement commerçante et sans son marché, c’est comme un homme sans son âme. C’est pour cette raison que nous avons inscrit la reconstruction de cet équipement marchand, au cœur des priorités de notre action communale. Grâce au président de la République, son excellence Alassane Ouattara et aux hautes autorités de la République française, les travaux ont officiellement démarré depuis décembre 2019. Nous réservons aux Bouakéens, le plus grand marché couvert de la sous-région, bâti sur 9 hectares avec près de 8000 points de vente. Le second chantier majeur est relatif aux projets Piducas (NDLR : Projet d’Infrastructures pour le Développement Urbain et la Compétitivité des Agglomérations Secondaires). Initié en 2017, avec un financement conjoint de la Banque Mondiale et de l’État de Côte d’Ivoire, le Piducas vise à développer de nouveaux pôles de croissance économique en dehors d’Abidjan, notamment la ville de Bouaké. Ses déclinaisons dans notre cité sont multiples et importantes. Déjà, la pénétrante de Tollakouadiokro, longue de 5,1 km a été bitumée sous la forme de 2x2 voies. Cela a changé positivement la vie des centaines de milliers de concitoyens qui vivent dans les localités desservies par cette nouvelle voie. Au titre des projets Piducas non encore terminés, on a d’abord, la finition de l’hôtel de ville de Bouaké, ce chantier en arrêt depuis 1979. Les travaux qui ont démarré depuis un ou deux ans, sont à l’arrêt. Tout est en train d’être fait pour qu’ils reprennent le plus rapidement possible. Nous avons également les travaux de l’aménagement du segment de la A3 qui traverse la ville. Après plusieurs années d’études, ce projet connaît une exécution à la grande satisfaction des populations. Ce chantier va radicalement révolutionner la circulation sur cette colonne vertébrale de notre cité. En lieu et place de l’actuelle voie où véhicules et piétons circulent dans un désordre indescriptible, nous aurons 8,7 km de 2x2 voies avec terre-plein au milieu et des arbres plantés de chaque côté.
À côté de ce chantier, il y a celui du stade de Yaoundé, situé au quartier Sokoura. À la fin des travaux, on aura une pelouse, une tribune couverte pour ce qui est du football. On y prévoit deux espaces pour les jeunes, une aire de jeu pour le maracana. Toujours concernant ces chantiers qui vont rendre reluisant le paysage urbain de Bouaké, nous avons les projets de la CAN 2023. À cet effet, quatre types de travaux sont en cours dans la cité : les travaux d’agrandissement du stade de la Paix de Bouaké qui passe de 25000 à 40 000 places, avec une architecture splendide dont tous seront fiers. Dans cette veine de la CAN 2023, l’ancien stade, les stades du lycée classique et du lycée technique sont aussi en chantier. Ces équipements sportifs seront des lieux d'entraînement des équipes qui seront domiciliées à Bouaké. Enfin, nous avons le village CAN qui est déjà sorti de terre au quartier Kennedy. Trois importants chantiers en cours d’exécution dans la ville méritent également d’être signalés. Ce sont les travaux du futur Centre hospitalier régional sur la route de Brobo, en face du Centre de réinsertion des mineurs, les travaux de l’autoroute Tiébissou- Bouaké et ceux de la piscine municipale. On ne saurait boucler cette partie, sans parler du démarrage des activités de la SOTRA à Bouaké. C’est une première expérience de la société de transport urbain en dehors d’Abidjan et nous l’appréhendons comme un honneur et une confiance. Nous ferons tout pour être à la hauteur des attentes placées dans ce cadre. C’est le lieu de réitérer nos profonds mots de gratitude à Monsieur le président de la République, Son Excellence Alassane Ouattara, au Premier ministre Patrick Achi, au ministre des Transports, un fils de Bouaké, le ministre Amadou Koné qui ont sorti le grand jeu pour que ce projet connaisse une exécution rapide. Dans cette partie consacrée aux remerciements, je n’oublie pas le Directeur Général de la SOTRA, Monsieur Méité Bouaké qui a également tout fait pour que la SOTRA roule à Bouaké dès cette rentrée scolaire.
En tant que premier magistrat, quel est votre plus grand rêve pour Bouaké ?
Ce rêve consacre l’unité des cadres, élus, fils et filles de Bouaké autour du développement de Bouaké. Je rêve d’une ville de Bouaké redevenue ce pôle leader de la sous-région, au plan économique, culturel et industriel. Sous la houlette du président Alassane Ouattara et du Premier ministre Patrick Achi, l’État est en train de jouer sa partition. Mais les ministres, les députés, les ambassadeurs, les officiers généraux, les directeurs centraux, opérateurs économiques…qui sont tous fils et filles de Bouaké doivent jouer pleinement la leur. En dehors du Ministre Amadou Koné, je les trouve assez timides et ma prière est qu’ils fassent tout leur possible, chacun à son niveau, pour booster le progrès de cette ville qui nous a tout donné.
Interview réalisée par Ruth Kapo (Correspondante régionale)