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Dossier/Fuite de capitaux, destruction de l’environnement, vices, insécurité…Comment l’orpaillage illégal menace le Nord de la Côte d’Ivoire

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Les agents des Forces de l'ordre surpris après la découverte d'un site d'orpaillage illégal à Boundiali. (Ph : VK)
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C’est le métal le plus précieux et le plus recherché. Son exploitation est, certes autorisée, dans la partie septentrionale de la Côte d’Ivoire, mais, si l’on n’y prend garde, l’orpaillage illégal sera une menace sérieuse pour cette partie du pays. De Boundiali à Kong en passant par Korhogo, L’Avenir a touché du doigt les ravages de ce phénomène.

L’orpaillage illégal est depuis quelques décennies, devenu un phénomène d’intérêt national au point où l’État, au plus haut niveau, a pris le problème à bras-le-corps. Préoccupation sécuritaire, économique, environnementale, l’orpaillage est certes, pratiqué dans les quatre coins de la Côte d’Ivoire, mais le phénomène est plus accru dans les zones Nord du pays et fait perdre, selon des chiffres officiels, près de 4 609 milliards à l’économie nationale. Si l’on est tous d’accord que c’est le caractère illégal qui ne respecte aucune norme qui pose problème, il faut reconnaître que le Code minier ivoirien reconnaît l'activité minière. Cependant, il limite l'exploitation minière à petite échelle à 25 hectares pour l'artisanat et 100 hectares pour la semi-industrie. Profitant de la faiblesse de l’État dans certaines zones avec le laxisme de certains agents, l’ignorance et/ou la complicité de certaines autorités coutumières et surtout des impacts de la rébellion de septembre 2002, l’orpaillage illégal est devenu aujourd’hui une préoccupation nationale, surtout dans le Nord du pays.  Les orpailleurs illégaux détruisent tout sur leur passage et sèment la désolation à tous les niveaux. Excavations béantes à ciel ouvert, déforestations, travail d’enfants, utilisation incontrôlée du cyanure et autres substances chimiques nocives, menaces sur la faune, pollution des eaux de surface et souterraines…. Bref, destruction de l’environnement, sans un mécanisme de réhabilitation. Les pratiques néfastes sont nombreuses, les conséquences socioéconomiques nocives aussi.

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Au plan économique, le préjudice se chiffre à des milliards de FCFA, parce que des quantités énormes d'or exploitées illégalement, sont exportées frauduleusement vers des pays limitrophes avec ses ramifications au blanchiment de capitaux. Ce phénomène demeure l'un des canaux privilégiés de financement et de l’expansion du terrorisme.

Le phénomène fait perdre à l’État 142 tonnes d’or l’année, soit quelques 4 609 milliards de FCFA par an. Notamment, des pertes de revenus fiscaux annuels estimées à 744 milliards de FCFA contre 3 256 milliards de FCFA au profit des orpailleurs illégaux, selon les dernières estimations du ministère des Mines, du pétrole et de l’Energie. À cela, s’ajoutent les nombreuses pertes en vie humaine par suite d’éboulements, agressions de tous genres ou des conflits communautaires comme ceux constatés à Kokumbo (05 morts) en 2002, 01 morts à Katiola en 2020, 03 morts à N’Gbovia en 2013….

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D’après la direction des Mines et de la géologie, le tableau récapitulatif de la situation de l’orpaillage illégal est sombre. Les orpailleurs frauduleux se taillent la plus grande part avec un gain potentiel de 81% des revenus, les communautés villageoise 7% et l’administration 12%.

« Si on change de méthode, les communautés villageoises peuvent bénéficier du double, soit 14% et l’État dispose d’une part importante pour poursuivre le développement du pays à travers la construction de nombreuses infrastructures », relève Seydou Coulibaly, Directeur général des Mines et de la géologie.

Insécurité, prostitution et famines : Les plus grosses menaces 

« Le fléau draine en grande partie des femmes et des jeunes qui sont pour la plupart sans activités. Ce sont des milliers de jeunes, de femmes et d’enfants qui s’adonnent à cette activité sans être conscients du danger qu’ils encourent et des dégâts causés à notre environnement. Nos cadres de vie sont menacés, nos rivières connaissent des cas de pollutions avec la contamination des poissons, nos arbres abattus, nos terres s’appauvrissent et des cas de violence qui prévalent sur les sites », déplore Mme Cissé Monique, présidente de la mutuelle de développement des femmes de Korhogo.

Le phénomène s’est accru à l’issue des crises successives qu’a connu le pays. Parmi, celles-ci, la rébellion de 2002 avec l’absence de l’administration dans les zones occupées par les ex rebelles. Aujourd’hui, malgré les efforts du gouvernement, l'exploitation illégale de l'or avec tous les risques que cela comporte, a des conséquences environnementales, sociales, économiques et sécuritaires qui n'épargnent aucune région. Le constat est alarmant.

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Ce fléau s'attaque à l'agriculture, pilier économique du pays qui souffre de dégradations multiples. Il menace les rizières, les sites abritant des parcs et réserves, les terres cultivables… favorise la déforestation, l’érosion des sols, menace la biodiversité, pollue les eaux avec l’usage de produits chimiques particulièrement toxique. Il constitue également un terreau fertile pour le développement de nombreux maux :  la prostitution, la drogue, la délinquance juvénile, le grand banditisme, les violences basées sur le genre, des conditions sanitaires dégradantes.

Le rapport d’une enquête diligentée par le ministère des Mines, du pétrole et de l’Energie, révèle que plus de 500 000 mineurs parmi lesquels des enfants sont employés dans des conditions précaires. Ledit document met également à nu l'immigration incontrôlée et son impact sur les populations qui fait naitre des tensions et fragilise le tissu social. « Nous, élus de Kong avons pris l’initiative en son temps d’alerter l’administration ivoirienne, nous avons dit qu’il y a l’orpaillage clandestin qui entraine un problème de sécurité.

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Par le passé, la localité a été attaquée à 2 reprises. Kong est une ville par laquelle des gens veulent passer par l’orpaillage illégal pour installer le djihadisme, la criminalité… », confie le député Ouattara Issiaka, Vice-président de la mutuelle des cadres de Kong.

Des propos corroborés par des cadres à Boundiali qui se sont plaints du phénomène qui a atteint un seuil alarmant, voir inquiétant dans la région de la Bagoué avec la destruction des terres arables mettant en danger l’agriculture.

« Sur les sites, il y a la prolifération des armes à feu, la prostitution est élevée, la violence sous toutes ses formes, la consommation de la drogue, l’alcool…de fortes sommes d’argent circulent... c’est un tableau sombre. Notre région est infestée de sites d’orpaillage illégaux. Des villages sont détruits. Dans mon village, nous avons lutté pendant 03 ans pour chasser les orpailleurs qui nous ont laissé 130 trous béants ayant déjà avalés des bœufs de ces initiateurs de l’orpaillage illégal », s’est plaint KK que nous avons rencontré le 19 juillet 2024 à Boundiali.

Chefs de villages, agents de l’État, élus et cadres : Tous impliqués….

De sources bien introduites auprès du ministère des Mines, du pétrole et de l’Energie, ces activités bénéficient de complicités internes. Arguments que confirment plusieurs fils et cadres de villages qui reconnaissent leur part de responsabilités dans les agissements des orpailleurs illégaux. Le point de départ sont les communautés villageoises. Après l’identification de sites, les chercheurs d’or illégaux tentent de gagner la sympathie de complices dans le village. « Des chefs de villages, des propriétaires terriens, présidents de jeunes, femmes, des chefs Dozos ou de présidents de mutuelle pour des intérêts personnels égoïstes et egocentriques favorisent l’installation de ces criminels sur nos terres, qu’ils appellent leur terre. Certains agents de l’Etat qui doivent combattre ce phénomène prennent pour eux, mangent et ferment leurs bouches parce qu’ils sont de passage. Des élus locaux et des cadres par cupidité ferment les yeux, aveuglés par l’argent.

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C’’est donc nous les responsables. Nous les fils des différentes régions concernées et les complices. Nous sommes leurs complices, aucun orpailleur clandestin ne peut s’installer dans une zone sans la complicité d’un fils du village », regrette amèrement Soro K, l’un des fils d’un village de Boundiali.

Sa majesté Issa Coulibaly, chef de canton de Korhogo, Vice-président de la Chambre des rois et chefs traditionnels, juge utile de ne pas polémiquer sur la question et se rejeter la pierre, indiquant que la Chambre s’est saisie du dossier en vue de maintenir la sensibilisation des populations sur les effets néfastes du fléau.

« Je ne vais pas revenir sur les multiples faits de l’orpaillage illégal sur l’activité économique, social et environnementale. (…) chacun de nous gagnera plus et la Côte d’Ivoire se portera mieux. Nous adhérons à l’action du gouvernement », soutient-il.

Venance Kokora

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