Au regard de l’impact de plus en plus préoccupant de l’abus du tabac, le gouvernement a décidé d’augmenter les taxes sur ce produit, avec pour objectif d’en réduire sa consommation. Pour soutenir la décision des autorités ivoiriennes, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a
préconisé une augmentation du prix de la cigarette de 10%, ce qui devrait entraîner une diminution de la consommation. Pourtant, la production de tabac a des avantages économiques dont l’emploi, les recettes fiscales et l’échange monétaire. Nombreuses sont les personnes qui dépendent totalement ou partiellement de l’industrie du tabac pour vivre. Il s’agit des agriculteurs, des ouvriers dans les usines de fabrication, jusqu’aux grossistes en passant par les détaillants.
Quand le tabac appauvrit des familles
Selon une étude réalisée par Prao Yao Séraphin, Maître de conférences en économie à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké, dont L’Avenir a reçu copie, l’abus du tabac aggrave la pauvreté parmi les fumeurs et leurs familles. Il soutient que le tabagisme affecte économiquement les familles dont l’un des membres fume ou chique du tabac à plusieurs niveaux. Notamment, par l’argent dépensé par le fumeur pour se procurer en produits du tabac, les coûts des soins de santé, quand ce dernier contracte une maladie liée au tabagisme, surtout les conséquences économiques qui surviennent après la mort prématurée du fumeur durant les années productives. « Très souvent, les fumeurs ne se rendent pas compte de ce que coûtent leurs cigarettes.
(…) En Côte d’Ivoire, le tabagisme a un coût sociétal estimé à 261 millions de dollars par an, soit plus de 130 milliards de F CFA. Cette estimation inclut le coût direct des soins de santé et de la perte de productivité due à la mortalité et à la morbidité résultant du tabagisme. À ce coût sociétal, s’ajoute un coût humain qui, en 2018, était de 9.000 décès attribuables au tabac. (…) Le tabagisme est incriminé dans 90% des cas de cancers de poumon », alerte-t-il.
La menace est plus grande chez les jeunes, qui constituent la force vive de la nation. Une augmentation de la mortalité au sein de cette catégorie est un facteur qui limiterait le développement. Il est clairement indiqué qu’une dépendance tabagiste à vie commence à l’âge de 18 ans. Or, la consommation du tabac à long terme, provoque un grand nombre de cancers et de maladies chroniques dont les cancers de poumons, de l’estomac, des accidents vasculaires cérébraux (AVC) et des maladies coronariennes.
L’État durement impacté sur le plan économique
La même étude souligne que, sur le plan économique, la lutte contre le tabagisme coûte 28,6 milliards de F CFA à l’État ivoirien par an, pour la prise en charge des maladies induites par la consommation du tabac. Un coût qui s’avère supérieur aux recettes régénérées par la taxe sur le tabac, qui s’élève à environ 18 milliards de F CFA par an. Quand la prévalence du tabagisme dans la société ivoirienne est estimée à plus de 20% et ce, aussi bien auprès de la population adulte que chez les jeunes. Dans le pays, 15,2% de fumeurs sont des jeunes élèves de 13 à 15 ans, lesquels représentent l’avenir du pays.
« Cette prévalence est pour le moins, alarmant, compte tenu de la nature addictive de ces produits, a fortiori au sein d’une société à la démographie majoritairement jeune, telle que celle de la Côte d’Ivoire où les moins de 20 ans représentent plus de 50% de la population », indique le rapport.
Le plaidoyer des organisations de lutte contre le tabac
En Côte d’Ivoire, les études plaident pour une fiscalité du tabac plus efficace. En effet, une taxation plus avancée des produits issus du tabac pourrait engendrer une hausse des recettes fiscales non négligeables. Ces nouvelles sources de financement pourraient ainsi permettre d’atteindre deux objectifs : aider à réduire la prévalence d’un fléau sanitaire en réduisant l’accessibilité économique des cigarettes pour les Ivoiriens, et lever plus de recettes publiques. Il est prouvé que les politiques fiscales ayant pour but d’augmenter le prix des produits du tabac sont les politiques économiques les plus efficaces pour combattre ce problème de santé publique. S’il est vrai que la Côte d’Ivoire dispose déjà de taxes d’accises ayant pour but de taxer les produits dérivés du tabac, ces taxes sont bien en deçà des standards mondiaux. L’ensemble des taxes d’accise sur les produits dérivés du tabac en Côte d’Ivoire ne représente que 15,9% du prix moyen de vente au détail, un pourcentage bien inférieur au seuil de 70 % recommandé par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Ainsi, une augmentation de l’imposition du tabac et la mise en place de nouveaux droits d’accises pourraient être appliquées, et cela s’inscrirait parfaitement dans le cadre de l’implémentation de la directive de la CEDEAO sur la fiscalité du tabac. Une autre recommandation de la directive de la CEDEAO, que la Côte d’Ivoire n’a toujours pas mise en œuvre, concerne le prélèvement d’un impôt spécifique sur les produits dérivés du tabac. Il est prouvé qu’une taxe spécifique (par cigarette ou kilogramme de tabac) serait simple à mettre en place et constituerait un moyen très efficace d’augmenter la charge fiscale totale des accises. D’après une étude récente menée au sein du département de l’Université du Cap, si la Côte d’Ivoire venait à mettre en place la directive de la CEDEAO, le prix de vente des cigarettes au détail en Côte d’Ivoire augmenterait de 48 %, le volume des ventes diminuerait de 24 %, et les recettes des droits d’accises augmenteraient de 177 %. Enfin, en matière d’accessibilité économique, il s’avère que de 2008 à 2018, les cigarettes sont devenues plus abordables en Côte d’Ivoire, car le taux d’imposition spécifique des produits du tabac est décorrélé de l’inflation et de la hausse des revenus de la société ivoirienne.