. De fortes sommes brassées par les acteurs du secteur
. Voici les hommes de l’ombre
. Ce qu’en pense un économiste
On les voit presque dans toutes les rues des communes d’Abidjan, les vendeurs de café ambulants. Enquête sur ce petit métier qui n’a pas encore révélé tous ses secrets.
Jeudi 9 décembre 2021. Il est 9 h 45 mn lorsque nous prenons les rues de certains quartiers de la capitale économique (Abidjan) pour rencontrer des vendeurs ambulants de café. Au grand carrefour de Koumassi, nous en apercevons au moins cinq. Au milieu de la foule et des véhicules, ils se fraient difficilement un chemin. Tenant des charrettes spécialement fabriquées de façon artisanale, ces vendeurs ambulants de café parcourent chaque jour, plusieurs kilomètres dans l’espoir d’écouler leurs breuvages. On les trouve un peu partout : Cocody, Treichville, Abobo, Yopougon et même à Bingerville. « C’est un travail comme les autres », répondent-ils presque en chœur, quand on leur demande pourquoi ils ont choisi d’exercer ce boulot. En fait, la plupart de ces vendeurs, sont d’origine étrangère. « Je suis malien, je ne comprends pas bien français. Nous sommes nombreux. Parmi nous, il y a des Maliens, des Guinéens, des Nigériens. C’est une activité comme les autres, donc tout le monde peut la faire », nous confie l’un d’eux qui a souhaité garder l’anonymat.
Voici les hommes de l’ombre
À Cocody, précisément à Faya, une trentaine de vendeurs ambulants de café squattent un immeuble en finition. Le lieu est éclairé par de petites lampes à piles. Selon un vigile qui travaille dans les environs, « une fois la nuit tombée, ils se rassemblent à cet endroit pour passer la nuit sur des nattes, des morceaux de cartons ou des pagnes. » Et, l’un de ces vendeurs ambulants que nous appelons D.S., un peu plus âgé que les autres, de confirmer : « on se réveille tôt pour le travail, précisément à 5 h du matin, on se repose un peu à midi pour reprendre à 14 h. C’est une question d’endurance. ». Selon toujours D.S., l’activité exige de celui qui s’y engage, rigueur, discipline, respect et maitrise de soi. Et d’expliquer que « ceux qui n’ont pas été retenus attendent leur tour. Il leur faudra patienter jusqu’à ce que l’un des anciens abandonne ». Selon lui, les marchandises sont livrées à crédit par des boutiquiers. Les vendeurs de café ambulants sont généralement sous la coupole de patrons qui sont dans l’ombre. Le partenariat est établi par le chef de file, lequel constitue une sorte de garantie, le temps de permettre aux débutants d’assurer leur autonomie après les premiers remboursements. « Nos patrons ont négocié avec des grossistes pour nous fournir les marchandises. Après, nous faisons le point avant un réapprovisionnement », nous confie cet autre acteur du secteur, dont nous taisons également le nom. Celui-ci nous apprend que le fabricant des charrettes est basé à Adjamé. « Avant, le prix d’une charrette à bras était de 50 000 FCFA, mais vu l’engouement, le prix est passé à 60 000 FCFA, voire 65 000 FCFA », nous précise-t-il.
Pour confirmer ses dires, nous prenons la direction d’Adjamé. Sur indication de deux vendeurs de café ambulants, nous voilà dans l’atelier de Dao Zoumana, situé non loin du siège du quotidien Fraternité Matin. Ferrailleur de son état, il nous apprend que, n’ayant pas eu la chance de faire de longues études, il a choisi ce métier. S’agissant du matériel qui lui permet de fabriquer les charrettes, il nous explique qu’il les fabrique avec du fer et sur commande. « Elles coûtent 65 000 FCFA, mais on peut la laisser à 60 000 FCFA. Dans le mois, je fabrique au moins 15 charrettes », nous confie-t-il.
Un métier laborieux mais rentable
Mais il ne suffit pas d’acquérir une charrette pour se lancer dans cette activité. C’est que la vente de café à travers les rues exige de l’endurance. En effet, les plus courageux qui bravent le soleil ou la pluie, gagnent plus que les autres, nous fait savoir Saïbou, la trentaine révolue. Il nous révèle qu’il peut faire une recette quotidienne qui varie entre 8 000 F et 12 000 FCFA. « Je sors de la maison à 5 h du matin, je me rends à la Riviera Palmeraie où je fais ma ronde. De la Palmeraie, je vais à Faya. Je fais cela jusqu’à midi. Puis, l’après-midi, je fais le va-et-vient entre Faya et Bingerville. Le matin, à cause des embouteillages, le café marche. Les automobilistes qui n’ont pas eu le temps de prendre leur petit déjeuner, sont nos clients. Quand il fait chaud, l’activité ne marche pas. Seuls les chauffeurs de Gbaka prennent du café. Alors, je me repose. Quand ça marche, je peux réaliser un bénéfice net de 12 000 FCFA », explique Saïbou.
Comme lui, T.M exerce l’activité à Koumassi. Bien que ne parlant aucun mot de français, il semble faire de bonnes recettes lui aussi en vendant du café à travers les rues. C’est une bienveillante vendeuse de sachets d’eau à la criée qui accepte de nous traduire sa réponse à nos préoccupations. « Ici, mon activité ne marche pas trop fort. Donc, je vais à Port-Bouët. Là-bas au moins, je peux gagner 8 000 FCFA dans la journée ». Outre les automobilistes, la clientèle de ces vendeurs ambulants se recrute parmi les vigiles, les forces de l’ordre, les élèves, les commerçants, etc.
Quid de la qualité de l’eau et des ustensiles ?
Le café servi par ces vendeurs ambulants est généralement fait avec de l’eau bouillante. Mais d’où provient cette eau ? Quelle en est la qualité ? Et qu’en est-il de la qualité du matériel (thermos, café, gobelet) ? Interrogé sur la question, un vendeur de café ambulant, aux initiales de F.B, lève un coin du voile sur la source de l’eau qu’utilisent certains de ses pairs pour faire le café servi aux clients. « Lorsque vous signez un contrat avec Nestlé, l’entreprise vous fournit charrettes, chasubles, pantalons, gobelets, tasses, casquettes tous estampillés Nescafé. Le hic, c’est que certains prennent l’eau dans les toilettes publiques. De l’eau chauffée dans des barriques et destinée au bain. D’autres chauffent eux-mêmes leur eau là où ils dorment pour en remplir les thermos », témoigne-t-il.
Un manque d’hygiène qui n’échappe du reste pas à certains amateurs de ce café de rue, à l’image de l’étudiant N’dri Koffi. « L’initiative est louable, mais il y a un manque d’hygiène chez ces prestataires de services ambulants. Je ne les trouve pas toujours propres. Ils sont souvent dans des tee-shirts sales et puis le matériel est promené sous la poussière », déplore-t-il. Toutefois, renchérit-il : « Je trouve leur idée vraiment formidable. L’argent se trouve dans la rue et c’est ce qu’ils collectent ». Malgré ces observations relatives à l’hygiène, les populations ne se privent pas de consommer ce café de rue, au grand bonheur de ces vendeurs ambulants. Lesquels n’échappent pas à toute imposition bien qu’exerçant leurs activités comme des nomades.
Une activité soumise à des taxes
En effet, ces vendeurs ambulants de café, comme les tenanciers de kiosques à café, paient des taxes communales. « Nous ne refusons pas de payer 500 FCFA à la mairie, mais quand ça devient un peu trop, c’est exagéré. Lorsque tu croises un agent de mairie, il te demande de payer la taxe, alors que cela a été fait avec l’un de ses collègues. Malgré le reçu, il demande que tu paies encore 500 FCFA. La nuit, c’est pareil », fulmine D.S.
Allégations balayées du revers de la main par le service financier et de transport de la mairie de Cocody où nous nous sommes rendu. « On leur fait payer des taxes sur deux mois à 6000 F, ce qui revient à 100 F par jour. Ceux qui leur prennent 5 00 F sont sûrement des membres de “syndicats”, sinon la mairie de Cocody ne fait plus de recouvrement de taxe au quotidien. Ce que nous leur conseillons, c’est d’éviter de vendre sur les grandes voies entre les automobilistes », clarifie Bamba Moussa, le chef d’équipe charrettes à la mairie de Cocody.
Venance Kokora