Ancien sélectionneur des Éléphants, Yéo Martial digère mal la désillusion de la sélection nationale contre la Sierra Leone. Pour lui, Patrice Beaumelle a failli.
Les Éléphants ont gratifié dimanche dernier, d’une prestation ternie par une erreur à la dernière minute, remettant en doute, la qualification pour les 1/8 de finale. Quelle analyse faites-vous de ce match ?
Si l’entraîneur ne pensait pas déjà au match suivant, il n’aurait pas fait autant de remplacements et on l’aurait gagné. Beaumelle aurait dû savoir qu’en gagnant ce match contre la Sierra Leone, on prenait 6 points et on était directement qualifié pour les 1/8 de finale. Aussi, à partir du moment où tu sors Sébastien Haller et Nicolas Pépé qui ont tous deux marqué, tu libères la défense adverse. En sortant Éric Bally qui a fait pour ma part, un des matches les plus aboutis, c’était une grosse erreur. La preuve, le remplaçant de Bailly est celui qui a fait l’erreur en défense. Quand on ne pense pas au match suivant, on joue à fond la partie. Le match qu’on joue contre la Sierra Leone est quasiment plié. On se rassure en étant solide et concentré dans tous les compartiments jusqu’à la fin. En 2012 à la CAN avec François Zahui, on gagne le premier et le deuxième match. Au troisième match, Zahui voulait encore aligner les titulaires. Je lui ai dit non. L’objectif était de permettre aux ténors de récupérer tout en donnant l’occasion aux autres de jouer leur chance. Le troisième match, les remplaçants ont sorti un gros match et se sont imposés. Tout le monde ressort satisfait. Pour moi, ni Haller ni Pépé, qui ont été les plus incisifs dans l’attaque des Éléphants, ne devraient sortir. Leur sortie a laissé la latitude aux défenseurs adverses de sortir et de faire le jeu. Il est rare de m’entendre formuler des critiques à l’endroit des sélectionneurs, parce que nous sommes de la même famille, je connais les réalités. Mais aujourd’hui, je ne suis pas d’accord avec les remplacements. Aujourd’hui, j’ai la boule au ventre. Le coach des Éléphants a été mal inspiré.
« Badra, papa est au ciel, il continuera de te soutenir »
Badra Ali Sangaré est celui que tout le monde désigne comme fautif de cette grosse désillusion. Comment devrait-il surmonter une telle épreuve combinée avec le décès de son père ?
J’ai parlé à Badra Ali depuis ma page Facebook, pour lui dire que ce sont des choses qui arrivent dans la carrière d’un footballeur. Il a fait l’essentiel lors du premier match, mais aussi pendant ce match contre la Sierra Leone. Qu’il se dise qu’il a réalisé des arrêts exceptionnels et que sans ses interventions, peut-être que la Côte d’Ivoire perdait contre la Guinée Équatoriale. Sans lui, on n’aurait pas ce résultat face à la Sierra Leone. Il faut qu’il garde son moral intact, car il fait un très bon début de tournoi. Les superstitieux disent, lorsque vous trébuchez sans explication logique, cela est le signe que vous allez perdre un être très proche. J’ai déjà personnellement fait cette expérience. Cette chute qui coûte à la Côte d’Ivoire, sa victoire, était quelque chose d’inattendu. Il trébuche, la même nuit, il perd son père. Sangaré Badra, sache que papa est au ciel, et qu’il continuera de te soutenir et de veillez sur toi.
Sur les réseaux sociaux, de nombreux supporters continuent de lui tirer dessus à boulets rouges. Doit-on l’incendier pour cette faute ?
Je ne suis pas d’accord avec ces personnes. Sans Badra Ali, on perdait contre la Guinée Équatoriale. Si elles s’empennent à Badra, je suis curieux de savoir ce qu’elles disent de Franck Kessié qui rate le penalty. Lui, il n’a pas eu que cette occasion, il en a eu plusieurs qu’il n’a pas réussi à transformer. S’il avait marqué le penalty et les autres occasions, on serait déjà à l’abri. Ce sont des erreurs, ça peut arriver, il ne faut pas incendier ce joueur.
« Les Algériens ont peur de la Côte d’Ivoire »
Il n’y a plus de calcul à faire, le troisième match des Éléphants s’annonce épique contre l’Algérie. Comment aborde-t-on un tel match avec un moral ruiné par ces erreurs ?
Je n’ai jamais perdu contre l’Algérie en tant que sélectionneur. Les Algériens ont peur de la Côte d’Ivoire, mais on ne le sait pas. Mentalement et physiquement, nous sommes plus forts qu’eux. Il faut faire jouer notre état d’esprit.
Les attaquants ivoiriens, à l’image de Sébastien Haller, commencent à se retrouver. Comment devront-ils entrer dans ce match ?
Après le premier match, j’ai été très dur avec Sébastien Haller. Mais avec la prestation de dimanche dernier, je ne peux que lui tirer le chapeau. Je le félicite de s’être rattrapé. Le but qu’il marque est un but de grande classe. Le gardien est parti sur le côté et il change de côté. Il n’est pas resté uniquement en pointe, il est descendu pour faire le jeu avec ses coéquipiers. C’est ce qu’on lui demande.
« Il faut que les Éléphants restent calmes et posés »
Contre l’armada offensive algérienne, comment la défense ivoirienne doit s’y prendre ?
Nos défenseurs ne doivent même pas tenter de jouer brutalement avec les attaquants algériens. Une anecdote sur Rabah Madjer et Aka Kouamé. En Algérie avant la CAN 1992, on a joué contre les Fennecs qui nous ont battus 3-0. Madjer a fait un festival de dribles sur Aka Kouamé. Pendant la CAN, avant le match contre l’Algérie, Aka vient me voir et me dit : « Coach, qu’est-ce que je fais pour le marquage de Madjer ? » Je lui dis : « Lorsqu’il vient vers toi, regarde uniquement le ballon. S’il veut danser, faire des grigris, ne le touche même pas, prend le ballon simplement sans faire faute ». C’est ce qu’Aka Kouamé a fait. Rabah Madjer n’a pas piqué pendant ce match et nous l’avons emporté. Il faut que les Éléphants restent calmes et posés. Qu’ils jouent leur jeu, rien n’est terminé. Il y a la place pour gagner. Nous avons la chance d’avoir des défenseurs qui sont techniques. Il faut profiter de cela pour les attaquer.
Manuel Zako